Avant le Temple
J’écoute Prokofiev, le malheur et la tristesse sont bien là, comme moi. De ce cercle on n’échappe pas. La musique est divine, j’écris, ce n’est pas une sensation de vide mais de soulagement et de grandeur, avec la musique, je veux dire. Ils sont tous là rassemblés, ils parlent, l’éclat mystique jaillira-t-il sur eux ? Je tourne en rond, je me cherche, je cherche mais… rien ne vient ; le déclic est survenu, il a commencé à œuvrer, j’ai commencé à œuvrer, je l’avais prédit. Eclat et fureur mystique, transcendance, illumination peut-être, nirvana, je cherche l’issue, le zen sera-t-il la solution ? En fait, plus exactement, tout groupe animé de bonne volonté spirituelle me suffirait car je ne suis qu’ouverture et désireux d’apprendre, sincère.
La voie est bien difficile. Moi, des plus hauts sommets, je tombe en totale décrépitude. Les sources jaunes, l’on y reste, l’on ne renaît pas. Les moines Shaolin ont une preuve concrète de l’existence de la force, ils sont là, puissants et sûrs. Je ne sais exactement vers où me diriger. Ne me suis-je pas trompé ? L’école zen est-elle la bonne école ? Y a-t-il plusieurs bonnes écoles ? La magie de l’écriture n’est pas suffisante pour exorciser tous mes problèmes. Je commets l’erreur fatale à tout celui qui cherche, je suis seul. Aucun maître, aucun ami, aucun guide et conseiller, aucun compagnon d’infortune avec le même espoir que moi. Je me lamente mais mon sort n’est-il pas le moins enviable de cette planète ? Bon, la sainteté m’est promise, j’ai la compassion pour tous les êtres, j’aime même les insectes. Seulement, mille, ou bien plus, démons me détruisent l’esprit. Je ne peux lutter contre eux. Mes entreprises sont insensées mais il faut comprendre que je n’ai pas le choix. Mon âme ne fait que découvrir le paradis, découvrir l’enfer, puis à nouveau redécouvrir le paradis, redécouvrir l’enfer. Rien n’est sûr, je ne suis inconstant, j’ai une parole mais quand le Diable la domine, ce qui arrive souvent, ainsi que mon corps, mes pensées, ma voix, mes yeux, ma faculté de concentration et de projection, alors, je suis perdu. Et là actuellement je suis perdu. J’aime Elodie Bouchez, elle est inaccessible, c’est pourtant moi en version féminine et complémentaire. J’aime la sagesse, je suis atteint de la pire des folies. De même, c’est quand je me sens le plus beau et le plus aimé que le lendemain, je m’effondrerai. Le démon est malin, il sait choisir le moment. Il ne vous prend pas lorsque vous être faible et sans défense, non, il vous prend lorsque vous êtes au plus haut. Ainsi, le contraste est plus terrible. Ainsi vous avez tout perdu, ainsi j’ai tout perdu. Mais je ne suis pas lâche, la lutte continue, je connais les pièges, j’irai jusqu’au bout, c’est-à-dire je chercherai et j’étudierai la voie jusqu’à la mort et même bien plus, je me tuerais s’il faut en passer par là, si l’étape est nécessaire, bref je donnerai tout. Mais trouvez moi quelqu’un je vous en prie, qui que vous soyez, trouvez moi quelqu’un. Je suis prêt à faire le sacrifice de tout mais je ne céderai au Diable en usant de toutes les pratiques. Je choisirai, ou plutôt vous choisirez, je suivrai.
Un sursaut d’espoir ? J’ai cru la force venir du contrôle de la pensée, c’est-à-dire des mots et de l’imagination. Tout problème spécifiquement humain donc psychologique en était non pas la cause mais la conséquence, et si tout cela s’inversait ? En réalité être bien reviendrait à tout contrôler. Rien ne serait donc contrôlable sans la base. Le contrôle des sens, de soi, s’effectuerait après avoir traversé différentes épreuves qui rendraient le pratiquant heureux. L’assurance se gagnerait donc, par, aussi avec les mots, exclusivement avec les mots ? Toute ma théorie serait alors fausse et il n’existerait un sentiment « d’éveil » qu’en tant que sentiment heureux et donc puissance moindre. Ainsi, les beaux rêves n’existeraient pas et l’implication de l’homme dans les mots et dans l’art, s’il n’est pas désespéré, devrait être totale. Et pourtant, le sentiment, la sensation projectionnelle, n’est-ce qu’une fiction due à mon imagination, et la toute puissance qu’elle procure ? Ceci mérite éclaircissement.
Toute la force de l’homme vient de sa faculté d’oubli. Mais les souvenirs forment et obligent l’homme aux nécessaires questions. Chaque homme oublie ce qu’il veut ou peut mais inconsciemment, toujours il lui reste une impression, une image, un mot qui traîne dans son esprit, aussi l’accord total passe par l’oubli total. Et cela ne peut s’obtenir que par zazen car d’autres manières sont efficaces mais beaucoup trop longues et l’homme risque de devenir fou. Un maître, zazen, c’est le bonheur.
Sans alcool, sans cigarettes, sans drogues pour m’égarer ou m’occuper, je suis seul face à la contemplation de mon esprit et me fais laminer. S’il ne passe par l’oubli total et l’absorption du regard, alors l’esprit qui fait le vide à moitié souffre deux fois plus que tout être ordinaire. L’oubli total, c’est l’oubli des autres. Un chien ne gêne pas comme un homme…ni un chat.
Qui es-tu, femme du même monde, semblable à moi, la même peau, la même odeur, le même contact, ou n’est-ce qu’une illusion, qu’un rêve. Les femmes sont l’opium des hommes, leurs poisons le plus violent et le plus terrible. Les guerres leur sont dues, la destruction, la tristesse de tous les hommes. Ainsi, il faut s’en détacher.
Faire le vide à moitié, ne pas arriver à l’oubli, c’est être entièrement et malgré soi concentré exclusivement sur soi. Cependant, malgré le doute et les apparences, c’est la bonne voie car un moment viendra où les efforts seront récompensés et la projection et le bonheur forcément total et parfait ; le contact sans entraves et divin, inexplicable mais bien réel s’effectuera.
L’univers et les animaux me posent problème, je compatis pour eux. Savoir que ces êtres qui vivent n’ont pas droit à la projection et au bonheur tranquille m’effraie non seulement pour eux mais pour moi-même car je suis semblable à eux et si tous les êtres ne peuvent atteindre la sérénité et le bonheur, pourquoi pourrais-je l’atteindre moi ? Serions-nous différents des animaux, les trisomiques et les enfants resteraient-ils hommes pour autant ? Mais j’aime les animaux, et les insectes, savoir un être qui souffre, n’importe lequel, me touche. La projection, dont je doute lorsqu’elle se retourne contre moi, existe, dépasse les mots, car je l’ai vécue à maintes reprises et toujours, j’ai été subjugué par le bonheur et la toute puissance qu’elle m’a procuré. Ainsi, pourquoi douterai-je ? Dans ma grande expérience du nirvana, j’ai senti à quel point l’univers était grand et l’homme qui y participait heureux, d’un bonheur parfait, sans causes classiques, sans euphorie, sans envies particulières de le communiquer qui lui aurait nui, mais une sensation de paix et de puissance qui émane. De toute évidence, j’ai besoin d’un maître, Ueshiba, Jésus Christ, tels sont mes véritables modèles, ceux auxquels je voudrai ressmbler. Trouvez-moi André Nocquet, et je lui donnerai tout ce que j’ai.
Quand les mots emprisonnent, que le cerveau est fou et embrouillé, une seule solution, faire zazen, quand le désespoir est profond, que les problèmes sont insolubles, faire zazen, zazen est la voie, ultime, la réponse à tous les problèmes, les anxiétés, les angoisses, zazen harmonise tout, naturellement, vive zazen car zazen est grand.
Ce qu’il me manque, c’est un maître. J’aimerai qu’André Nocquet soit là, ce qu’il faut, c’est résister au suicide, ma mort ne servirait ni à moi, ni aux autres. Mon désespoir est si grand que je crois, comme à chaque fois, que je ne vais pas en sortir, je suis malheureux et dépourvu mais je sais aussi qu’à chaque fois j’en sors différent et aussi fort qu’avant j’étais faible. Mes craintes sont celles de la méditation, j’ai l’impression d’être différent des autres, c’est-à-dire que je pense que mon corps ne le supportera pas. Chaque fois que chez moi, avec une mauvaise technique il est vrai, j’ai pratiqué, j’ai ressenti une douleur à la tête, les paupières lourdes comme si j’avais trop dormi, quand j’essayai de lire ma vue se troublait et j’avais l’impression de loucher. Plus j’insistais, plus les maux s’aggravaient et j’en arrivais même à entendre un bourdonnement dans les oreilles et à avoir des vertiges. Là, je me posai la question de savoir si vraiment, j’étais sur la bonne voie, et je fis un trait sur la méditation, la considérant néfaste pour moi, prétextant que les êtres forts existaient en Occident sans avoir recours à ces diverses pratiques. Et si j’étais leur égal, je n’en avais donc pas besoin. Mais ils n’avaient pas, c’est vrai, ma lucidité. Pour en revenir à mon actuelle préoccupation, c’est à dire mon profond chagrin, ma grande désespérance, mon horrible clairvoyance et la conscience de mon état, ceci est peut-être tout simplement l’enfer qui doit servir de transition au paradis, enfer ou soit je resterai s’il n’existe qu’un enfer soit je sortirai s’il existe le paradis. Mais tout cela était prédit par moi-même, aussi suis-je déçu mais aucunement surpris, seulement j’ai peur.