Au Temple
Voilà, j’ai fait ma première séance, étonnant mais dure. Il faut faire le vide si l’on ne veut pas se décourager, il est certain que zazen procure une sensation de bien être et de sérénité. Mon problème des yeux et des vertiges est par contre lui toujours présent. On verra bien. Je remarque aussi que les gens présents ici ont tous l’air endormi et ne sont pas si épanouis que cela. Mais ils n’ont pas compris que zazen était le but et qu’il fallait lutter toute la journée et agir. Ah, Taisen Deshimaru, pourquoi n’es-tu plus là ? C ’eut été si simple avec toi. Une question et la réponse, mon esprit serait sauvé, malgré tout aide-moi.
Le chat est sur moi, c’est au moins ça d’agréable. Je ne savais que c’était si dur, la méditation, mes facultés de concentration sont nettement moins bonnes ici qu’à la maison. J’ai travaillé un peu hier, mais c’est vrai que nous n’avons pas beaucoup de temps libre. Il ne fait pas très beau mais le temps ne me dérange pas. Mon inaptitude à la méditation et à l’oubli me pose davantage de problèmes et de préoccupations. Mais le défi que consiste la session, c’est dur, me plaît, bien que je sois en train de me demander si je ne fais pas la plus grande erreur de ma vie. Je ne comprends toujours pas tout, mais c’est pour cela que je suis là et j’ai conscience de ma très grande lucidité. Pour que zazen ne me fasse plus peur et mal, il faut que zazen lui-même soit mon but.
L’enseignement a été relativement mauvais, mes idées dépassent hélas les siennes, ce n’est pas un maître et cela saute aux yeux. Mon problème classique est revenu. Il me faudrait Ueshiba pour me guérir de toutes angoisses. Ah ! un vrai maître, enfin, mais puisqu’il faut en passer par là. Je ne sais que faire. Taisen Deshimaru m’aidera-t-il ? Je suis moins heureux qu’au monastère mais je me souviens que les premiers jours j’avais aussi eu des problèmes psychologiques importants, les mêmes d’ailleurs, mais les causes et ma compréhension de ceux-ci sont différents maintenant. Seul pour moi, le nirvana sauvera.
Merci, cette journée, comme les autres, fut rude, car ils ne sont pas rayonnants ici, ils n’ont pas compris le message et tournent tout à leurs avantages. Ce que les maîtres ont compris, ils l’appliquent sans savoir qu’il faut d’abord un haut niveau de maîtrise pour cela, ils maquillent avec des mots mais le but, car il y en a un, pour l’oublier comme il convient, il faut travailler dur et souffrir et que la souffrance ne devienne plus une étape mais un but en soi, sourire à la douleur même, être joyeux quand elle arrive, elle n’existe pas, c’est la voie.
C’est vrai, la vie est dure ici, il y a des hauts, il y a des bas. Mais les hauts sont très hauts et pour une fois les bas ne sont pas très bas mais simplement bas, il reste de l’espoir, mes grandes craintes au niveau des yeux sont terminées. J’atteins parfois un certain niveau en zazen, ce qui est important, et essaie de prolonger l’instant. Zazen est l’oubli conscient et si l’on peut émettre des doutes quant au nirvana, il est indéniable que bien exécuté, il apporte joie et bonheur, assurance et force, équilibre puissant. Car zazen est ce qu’il y a de plus dur, par-delà la souffrance, par-delà la posture, par-delà la respiration, réussir sans mouvement est réussir en mouvement. Si, même dans l’immobilité la plus totale, les démons n’envahissent pas l’homme, alors dans le mouvement non plus, ils ne l’envahiront plus. Parfois, comme il n’y a ici la « bonne personne », je pense à Taisen Deshimaru, au Dalaï-lama, à Ueshiba, André Nocquet, à un instructeur des moines Shaolin que j’ai vu, entendu et qui m’inspire, à un jeune guerrier japonais inscrit totalement dans la voie du sabre et du zen dont j’aime la posture, le visage et la sensation qu’il dégage, de force guerrière pacifique, et enfin à Taisen Deshimaru encore qui est le maître des lieux, à Kodo Sawaki, son maître, et à Bouddha Shakyamuni.
La conférence ce matin du Godo, l’homme qui dirige cette session, a été minable. Il ne connaissait pas les fondements, balbutiait presque en certains endroits, était gauche, mal assuré, il ne rayonnait pas, et sa parole n’était pas juste. Comment avancer sur la voie avec un tel maître ? De plus, il est timide et ce qu’il montrait, des écrits sur un tableau, n’était même pas visible. Dissocier érudition et sagesse est totalement faux. Si l’érudition peut mais ne mène pas forcément à la sagesse, la sagesse mène forcément à l’érudition, c’est-à-dire la parole juste, les répliques ont un sens qui est le parfait sens, les arguments, les exemples ont un sens qui est le parfait sens. Un homme atteint de sagesse peut expliquer tout ce qui est explicable et même expliquer pourquoi le reste ne l’est pas. Point de mots en trop, juste le nombre suffisant, l’intonation parfaite, le regard parfait, l’attitude parfaite découlent du nirvana. J’avance, péniblement parfois, mais j’ai conscience d’évoluer sur la voie. Un jour, ici et maintenant, je trouverai « Alea jacta est », « Si mon esprit grimace, mon corps grimace » Kodo Sawaki.
Le troquet est minable, mais tout est bon pour la voie, on se mesure ainsi, on voit ce que l’on donne dans les différents milieux, on se teste, voir si l’on vit l’instant présent, si l’on n’est pas dérangé par les autres, c’est amusant et dur aussi. La concentration aujourd’hui est difficile à trouver, il n’y a pas zazen. Demain, la Sesshin, demain la délivrance et le bonheur, les difficultés et les démons. Tenir pendant dix jours, non huit, c’est un effort véritable. L’ambiance du troquet est plus déprimante que le monastère car ici, personne ne cherche rien, c’est sûr. Taisen. J’ai revu les bases de mon entraînement et ai donc retrouvé un niveau agréable, le démon de la folie s’agite dans mon crâne, mais hier aussi, et il est parti. Peut-être en ai-je aussi été le responsable, de son départ. Mais le mal vient de ce que je ne travaille pas assez, mon anglais, mon espagnol, et tout s’arrange.