Après le Temple
Cela a marché, j’étais venu pour guérir, j’ai réussi à me relever, une fois de plus, j’ai réussi à démontrer par la théorie écrite puis par la pratique qu’après une chute terrible, touchant l’enfer, je me relevai, stupéfait mais plus surpris. Cela fait une semaine que je suis revenu maintenant. Là-bas, j’ai connu la dureté puis l’assurance guerrière, enfin la dureté, les désillusions sont revenues mais imperceptiblement j’avais changé, quelque chose en moi voulait aller au bout car j’étais là pour ça. Et malgré l’absence de maîtres véritables, j’obtins le bonheur, à savoir l’assurance compassionnel, la force de l’amour, sans besoins d’extériorisations, de déposer des marques, de marquer les distances. Maintenant, j’essaie de poursuivre la vie du temple, chez moi, et me rends compte de la quasi-impossibilité de cette règle. La communauté, naturellement et si l’on est décidé, conduit à bien se comporter. Seul, tous les gestes de retenue et le comportement se détériorent car ils n’ont plus leurs « obligations ». Mon père, de plus, sape mon moral, il se plaint tout le temps et est à l’opposé de ma recherche. Personne, dans ma famille et dans mon entourage proche et lointain ne partage ma quête du dépassement, de la vérité, de la sagesse. Seulement au temple, nous avions tous un point commun, la communion dans zazen, au monastère, la communion dans la prière. Ici, rien, je suis seul avec mes souvenirs qu’il faut pourtant oublier. Le travail doit être l’échappatoire miraculeux, c’est ce qui doit me permettre de me concentrer sur un seul point à la fois, de vivre dans l’instant présent, ici et maintenant. Cependant, qu’il est dur de se concentrer sur l’action parfois, notamment lors d’un travail de longue haleine. « Hic et Nunc ».
Le mal est revenu. Sans affections, au temple, je n’en avais pas non plus mais l’internat nous rendait plus proche. Sans vrai but. Mon but là-bas était d’aller au bout, au bout la récompense, la satisfaction, le bonheur, les démons battus. Là mon but est de poursuivre mes études, de passer mon bac dont finalement je me contrefiche, et de travailler pour cela. L’homme, plus il est sensible, plus il a besoin de deux choses, le but, la voie mystique est la plus dure, la plus riche, essentielle ; s’il ne peut suivre cette voie, alors il lui reste des passions, et ces passions doivent être vécues car elles ne peuvent s’oublier qu’à travers une pratique spirituelle dans un cadre précis. Sinon combattre ses passions revient à les retourner contre soi-même ; vouloir s’isoler parmi les hommes pour ne pas être affecté de leurs folies est ridicule car un ermite s’il est isolé n’est pas parmi les hommes et un moine, s’il est isolé de la plupart, vit dans une communauté d’hommes dont il ne s’éloigne pas. Ainsi, soit on est, soit on n’est pas, mais si on est, on doit être. Hier, la tentation a été grande de boire, j’ai résisté et mieux que cela j’ai médité, je me suis entraîné. Cela a servi un moment, je me suis réellement senti mieux une heure puis je suis retombé à nouveau, enfin une idée ridicule, mais intéressante, faire zazen jusqu’à ce que je trouve, je dois rester dans la position jusqu’à à ce que le bonheur m’éclaire, mais incompatible avec la vie sociale, je suis limité ici par le temps et je ne dois avoir dans mon esprit aucune limite. Donc, je me suis laissé aller hier soir, je n’ai pas salué, ce matin non plus, je n’ai pas travaillé l’anglais et l’espagnol, je n’ai pas médité, j’ai écouté de la musique interdite. Puis ce matin à nouveau, je me lève à neuf heures trente, je paresse, je fais n’importe quoi, j’écoute de la musique interdite, je suis sale, ma chambre n’est pas claire, c’est une chambre de perdant, de déprimé, ma posture est mauvaise. Mais Dieu, peut-être m’endormais-je ? a voulu me montrer à quel point ma force était relative et mon équilibre fragile. Un simple changement de voix, problème ultra-classique, qui cependant, a atteint son paroxysme, et un problème de concentration sur l’instant présent fait que je m’identifie à cette voix qui n’est plus vraiment moi, un démon, et qu’elle devient moi, me transforme ; de même, les yeux me contrôlent parfois, c’est une preuve qu’il ne faut pas s’arrêter là, même après avoir un bonheur et un équilibre certain, tout est relatif car sa personnalité même change avec cependant un reste de conscience suffisant pour se rendre compte et souffrir. Mais, paradoxalement, c’est justement ce reste de conscience qui entraîne à la faiblesse et vers le fond. Sans cette conscience, plus d’ego mais plus d’identifications non plus, les organes et leurs affectations subsistent mais la psychologie qui condamne disparaît et alors c’est, de toutes les façons, la liberté. Le vrai problème consiste à supprimer l’ego, à s’oublier mais surtout à atteindre le point de non-retour où nirvana, car pour celui qui atteint, pour un moment, la suppression de l’ego, et donc la vraie force, le retour à la vie « normale » et le retour sur soi entraîne bien plus de souffrances par cette terrible différence d’état et de perception que l’on a de la vie et que les autres ont de nous, qui en plus, cette fois-ci, nous atteint et nous afflige. Ainsi, je ne crois plus qu’à la force de l’amour, la force de compréhension, qui seule, de maître à disciple, peut changer vraiment l’homme. Les écrits ne suffisent pas…
Mais comment faire, moi, être archi sensible et ultra complexe, dévoré par les passions, ayant malgré tout le sentiment d’être sur la bonne voie, pour avancer, si je n’ai personne, ni maîtres, ni amis, ni famille, pour me comprendre, m’épauler, m’enseigner et quand je tombe, me forcer. Il ne faut pas oublier que les bonnos sont la racine du Satori, et qu’il sera d’autant plus grand que les bonnos sont affligeants.
Maître Hakuin Ekaku, disait :
« Les êtres sensibles sont par essence des bouddhas
C’est comme l’eau et la glace
Il n’y a pas de glace sans eau
Il n’y a pas de bouddhas hors des êtres sensibles. »
« Il n’est de nuit si longue qui ne trouve le jour »
Shakespeare
Que m’arrive-t-il ? Avec tous mes acquis et toute ma force, je n’arrive pas à remonter la pente, les démons me submergent, je suis las et dégoûté de tout. Je dors toute la journée, debout, avachi. Mon programme me semble bon mais je ne le respecte pas, pas assez motivé, plus de foi, pas de soutien. Pourtant, tout cela c’est très simple, j’ai la technique. Oui, c’est vrai, même pendant zazen, des obsessions me tourmentent, des images, des pensées me font souffrir. Mais je connais la réponse. Je suis un être promis à l’éveil. J’ai ça dans la peau, j’ai ça dans le sang. L’éveil ou la mort. Peut-être après tout une simple psychanalyse suffirait à me guérir, mais j’ai peur qu’elle me détruise, de ne pouvoir supporter la pression et le renoncement à la foi. Mais il est vrai que ma recherche est atypique. Je ne recherche pas l’amélioration, ce n’est pas un choix, je survis. Ca ou la mort, et ce n’est pas moi qui veut, c’est comme ça. Aussi les grands paris insensés d’autrefois, s’asseoir jusqu’à trouver, ne plus bouger, comme le Christ, comme Bouddha. Mais cela nécessite une forte volonté, que j’ai par ailleurs, et surtout une forte croyance, une foi inébranlable en la position, la concentration, et toute la mythologie zen, celle des Bouddhas et des Patriarches. Cela suppose aussi du temps. J’ai compris que les obsessions, les tourments du mal, il ne fallait pas seulement viser à les supprimer quand ils apparaissaient, ni à empêcher leurs apparitions mais aller plus loin, couper la racine du mal, ainsi l’âme en accord avec elle-même, le conscient avec l’inconscient, rien de superflu n’apparaît dans l’âme, tout est justifié, et les tics et autres rituels et maladies nerveuses disparaissent. Comment couper la racine du mal ? Par l’hypnose, par la psychanalyse, par zazen… d’autres méthodes… L’hypnose, ça a été prouvé, ne supprime pas la racine des maux mais se contente de déplacer ceux-ci et leur prête d’autres formes, et l’homme souffre encore. La psychanalyse ne marche que pour les problèmes simples et avec un minimum de contact. Pour un « gros » patient, il faudrait un homme aussi bon que Freud était doué, bref un homme saint et savant, autant dire introuvable. Reste « zazen », qui est la voie la plus dure. En s’ayant toujours à l’esprit, en s’affrontant constamment, forcément vient un moment où on touche l’enfer mais après ce passage redoutable vient le paradis qui se transforme à nouveau en enfer puis en paradis jusqu’au nirvana.
L’éveil est la prise de conscience du potentiel merveilleux de l’homme, après avoir atteint un certain niveau ; le nirvana est ce niveau atteint à son paroxysme et vécut de manière permanente et sans fin. C’est la suppression des racines de l’ego les plus enfouies. C’est l’unique et vraie liberté, la seule liberté.
Je suis foutu. Les vacances se sont relativement bien passées mais ce n’était pas parfait, ce n’est jamais parfait. Les problèmes se succèdent aux problèmes. Les vieux, les éternels, comme les modernes. Le dernier en date, une folie, un blocage qui m’empêche de comprendre tout ce que je lis, à moins de m’y reprendre de nombreuses fois. « Elle » m’obsède toujours. J’en rêve presque toutes les nuits, sans jamais lui faire l’amour. Elle aime, je crois, l’homme fort, mais l’être sensible… Je ne l’aime pas et pourtant si. Il est possible qu’il y ait un blocage, dû au passé entre nous et qui nous empêche de vraiment nous communiquer nos sentiments, qui nous faussent l’un à l’autre. Mais je parfois je me demande si tout ceci n’est pas une vaste illusion. J’ai besoin d’aide. Ainsi, je suis maudit. Jamais personne ne m’aimera que j’aimerai. Jamais l’étreinte passionnelle, à laquelle plus que tout autre je serai sensible, ne me sera donné à jouir. Alors, si Dieu veut cela, pourquoi pas la contrepartie sereine contraire à la folie mais la folie elle-même ? Ludwig m’a influencé, je me suis fourvoyé, j’ai cru que je pourrai échapper à mon destin, mais comme d’habitude, en moins de sept jours, il m’a rattrapé. Plus le temps passe, plus l’heure terrible approche. Si là, je n’ai pas atteint le niveau, alors je mourrais…
La « Mort du Loup » de Vigny est un très beau poème, qu’un oncle ascétique et énorme travailleur avait pris pour modèle et devise. Mon oncle n’est pas moi et cela ne me suffira pas. Mais l’idée générale simpliste m’influence et je vais peut-être la retranscrire et, dans ma chambre, l’accrocher.
Après avoir vu toutes les souffrances, avoir vécu tous les martyres , craquerai-je maintenant ? Cette nouvelle épreuve est si inattendue, mais les autres, si elles m’ont souvent détruites ne m’ont pas anéanti. Ainsi, comme d’habitude je ne demande pas aux Dieux de m’épargner, je demande leurs aides pour lutter et une vie longue, pour, avant de mourir, m’être réconcilié, et mourir heureux. Je veux apprendre… Je veux être prêt.