Le plus dur pour moi?
Un isolement total. La conscience très claire d'avoir tout raté. Je n'appartiens à aucune communauté. J'envie les Juifs, les Algériens, tout ceux qui appartiennent à un groupe, qui s'entraident, et qui ne sont jamais vraiment seuls.
Savoir qui je suis est peut-être moins important que ne plus avoir de problèmes avec moi-même. Quand je pense à tous les efforts accomplis. Et pour quels résultats? Je suis coupé de tout, n'ai aucun avenir. Je n'aurai jamais de maison, jamais de vie à moi sans doute.
Je n'ai pas de racines, et suis un errant.
Un misérable instinct de survie me retient à la vie, et je sais pourtant que je ne suis rien pour l'Univers, que je ne compte pas. La vie est trop courte pour tant souffrir, ne pas vivre, n'avoir pas vécu, ne pas arriver à vivre. Les années passent.
"C'est peut-être la seule au monde
Dont le coeur au mien répondrait,
Qui venant dans ma nuit profonde
D'un seul regard l'éclaircirait!...
Mais non, -ma jeunesse est finie...
Adieu, doux rayon qui m'as lui,-
Parfum, jeune fille, harmonie...
Le bonheur passait, -il a fui!"
C'est ce que je ressens à chaque instant, le sentiment d'un immense gâchis. Je n'ai pas ma place en ce monde. Je ne l'ai jamais eue, ne parviens pas à la trouver, et aucune ne m'a été donnée.
Kerouac, à la fin de "Vanité de Duluoz", écrivait que, malgré tous ces efforts, malgré la reconnaissance, au fond cela n'avait servi à rien, tout était vanité. Et il avait la gloire, plus de soucis d'argent, des femmes et des amis, mais tout était vanité au fond. Sans doute eut-il mieux valu ne pas naître qu'être travaillé par ce besoin d'expression non assouvi, doué d'une intériorité méconnue et niée.