Ce que je préfère chez Sartre, ce n'est pas "L'Etre et le Néant", trop jargonnant et inutilement alambiqué, c'est quand il concilie pensées profondes, clarté, et énergie enthousiasmante. Par exemple, "Les Mots", les préfaces à "Aden Arabie" et aux "Damnés de la terre", les "Situations", "Qu'est-ce que la littérature?"
Las, je me suis replongé dernièrement dans "Matérialisme et révolution", "Plaidoyer pour les intellectuels", et "Qu'est-ce que la littérature?", mais le coeur n'y est plus. L'impression que malgré son intelligence exceptionnelle, et sa perspicacité, c'est daté, trop empreint de vues et vocables hégéliano-marxistes pour durer. Je crois que "L'homme révolté", daté lui aussi, est moins plombé par une terminologie désuète à en devenir lourde.
Et la place de Proust, dans un tel système? En effet, Proust serait considéré comme un véritable écrivain, puisqu'il dévoile des perspectives nouvelles sur le monde et l'homme, mais on ne pourrait pas le considérer comme un écrivain réellement engagé dans le processus de libération politique, donc il devrait rester secondaire, mineur. Et néanmoins, il n'est pas contestable qu'il soit bien supérieur à tous les écrivains dits engagés. On ne fait pas de bonne littérature avec de l'engagement. Ca invalide un peu tout le processus, lui-même dévoilant, de Sartre sur les ressorts cachés de la littérature et son évolution supposée. Exercice brillant, éclairant (sur le surréalisme notamment) mais au final, me paraissant somme toute dogmatique.
Ceci dit, on situe mieux la place exacte de Jean D'Ormesson dans un tel système. Ormesson, lui, n'est ni engagé ni dévoilant. Il n'apprend rien, ne donne rien que le lecteur ne sache déjà. Il ne le dérange donc pas le moins du monde. Il est l'écrivain petit bourgeois par excellence, l'auteur de best-sellers qui conforte, prolonge, distrait et n'éveille ni ne réveille. Et quand il prétend s'attaquer aux divertissements, c'est pour faire l'éloge implicite de l'unique nécessaire (Pascal), qui est le suprême divertissement en réalité, le grand escamotage, ce qui détourne de l'essentiel, se réaliser en cette vie, par l'occultation de la mort. J'ai déjà d'ailleurs ridiculisé le pari Pascalien en montrant qu'une unique vie finie prenait valeur absolue et donc valait la vie infinie qu'on risquait de perdre en ne pariant pas sur Dieu. En effet, si, en pariant sur Dieu, on sacrifie sa vie pour une hypothèse, on risque de passer à côté de son unique vie si cette hypothèse est nulle et alors on perd tout, donc autant que ce que l'on peut gagner s'Il existe. Sans compter le simple argument que nous vouant égoïstement à la Terre, Il nous sauverait peut-être quand même!
Après, pour être juste, on peut probablement aussi réussir sa vie en pariant sur Dieu, comme être désespéré de ne pas y croire. Ainsi ça équilibre les 2 partis, mais il ne paraît plus comme préférable de parier sur Dieu.