Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 mai 2017 1 22 /05 /mai /2017 01:33

Brian souffrait de ne pas avoir d’enfants. Les enfants sont la solution naturelle, biologique au problème de la vie. On sait quoi faire, on a une place, une direction, avec des enfants. Et de l’affection. On traîne malgré tout ses problèmes, ils ne les effacent pas, et on peut transmettre ses névroses, ses folies à sa progéniture, mais quoi qu’il en soit, les enfants sont la continuité logique vers laquelle s’orienter, et toutes les doctrines, les idéologies faussement émancipatrices ne peuvent rien contre la nature. Brian se gaussait de certaines revendications féministes. Mais, en réalité, si la reproduction est nécessaire à l’équilibre de la femme, elle l’est tout autant à l’épanouissement de l’homme.  Le conformisme actuel a tendance à se gausser de ces vérités. Cependant, la sagesse chinoise, avec son côté délicieusement réactionnaire, défend ces valeurs. Le tao immuable est le tao et ceux qui s’en détournent le paient. Aussi, Brian, plongé dans des classiques chinois, taoïstes et confucianistes, qu’ils préféraient au bouddhisme et à l’hindouisme, se délectait de leurs subversions ordonnées au flux universel. Dans « Le Vrai Classique du vide parfait », de Lie Tseu, au Chap 6, on voit Lin Lei, un vieux sage, qui se vante auprès de Tseu Kong de n’avoir rien à regretter et de ne pas craindre la mort, car sans femmes ni enfants et détaché de tout. Lorsque Tseu Kong rapporte ses propos à Confucius, celui-ci dit : « Je savais bien que c’était quelqu’un dont les propos seraient profitables ; oui, mais il n’a saisi qu’une partie de la vérité. » Le détachement de la vie sans avoir vécu, forcé, non naturel, le reploiement avec déploiement inachevé, est inaccomplissement mortifère. Seul le détachement comme conséquence progressive d’un nécessaire attachement suit l’ordre naturel, et laisse sans regrets. Et faire des enfants est inclus dans le processus naturel. Lin Yutang, dans le chapitre « La jouissance du foyer » de son essai « L’importance de vivre », développe l’idée que les succès politiques, économiques, artistiques, ne peuvent se substituer au plaisir de voir ses enfants croître et se réaliser. Il cite une anecdote sur Herbert Spencer, le grand philosophe évolutionniste, un peu oublié et néanmoins une des principales inspirations de Jack London : « On raconte que, quelques jours avant sa mort, Herbert Spencer avait les 18 volumes de la « Philosophie synthétique » sur les genoux, et que, sentant leur poids glacé, il se demanda s’il n’aurait pas mieux valu qu’il ait un petit-fils à leur place. Il est assez triste d’avoir des succédanés de sucre, de beurre et de coton, mais il serait déplorable d’avoir des succédanés d’enfants ». Rien ne remplace la nécessité vitale d’avoir des enfants. Et Brian, qui n’en avait pas, ne se le masquait pas, ne travestissait pas la vérité avec de désuètes idéologies avant gardistes.

 

Ce dont Brian rêvait, c’était le rétablissement d’une saine hiérarchie. Non pas un fascisme brutal : « Si j’entends le mot culture, je sors mon pistolet » mais un fascisme culturel, avec la société du spectacle pour ennemi, dans une veine Pasolinienne pourrait-on dire, avec pour mot d’ordre : si j’entends Kyrill Hamdoulah, je sors mon pistolet. Et justement, ça tombait bien, parce que Kyrill Hamdoulah, il allait le tuer.

 

Brian et Maharo, après s’être séparés pour une excursion Parisienne, chacun vaquant à ses marottes, rentrèrent chez Marek. On aimerait dire que les stéréotypes sont la plupart du temps des clichés. Hélas pour lui, pour la Pologne et pour nous, Marek était un gros buveur, un grand bagarreur, et un mauvais dragueur. Et c’est à peu près tout ce qu’on en peut dire. Il ne s’était cependant pas complètement laissé aller, comme certains légionnaires qui se clochardisent, et comme beaucoup qui, trop dépendants d’un cadre pour se maintenir d’eux-mêmes, rongés pas l’alcool et le désespoir, perdent toute condition physique. Marek s’entraînait. Il tenait à ses biceps, ses pectoraux, sa carrure. Il voulait en imposer. Alors il allait à la salle, et enchaînait les séries de développé couché, de dips, de tractions, de squats. Ravi de sa puissance, il aimait exhiber ses muscles, qui étaient comme indissociables de la structure de sa personnalité. Et puis, il avait trouvé un emploi de cordiste. Anciens légionnaires, parachutistes, ils étaient nombreux à s’être reconvertis ainsi. C’était dans leurs cordes, et ça payait bien. Marek y avait eu quelques ennuis en rapport à la boisson, mais il n’était pas le seul à mal gérer ce problème, alors on le gardait. On le gardait jusqu’à ce qu’il ne puisse plus du tout réguler les quantités d’alcool absorbées. Alors on le virerait. Et peut-être il ne pourrait plus se remettre. Adieu le travail, adieu la salle de sport, adieu les biscottos, et il se clochardiserait, comme tant d’ex légionnaires si abîmés, si décalés, si seuls. Ou peut-être il se remettrait, trouverait un nouveau souffle, vivrait véritablement et laisserait loin derrière Brian et Maharo, comme cela arrive parfois. Des hommes, dont on n’espérait plus rien, soudain se réveillaient, et en quelques mois, ou quelques années, se métamorphosaient, engrangeaient les conquêtes, se révélaient, et peut-être se trouvaient, s’apaisaient. Et d’autres, emplis de dons, n’arrivaient jamais à décoller. Des sages, accordés au tao, subissent d’atroces souffrances et meurent tôt, des sots cruels ont une longue vie pleine de plaisirs. Qui peut comprendre ? Relisons, avec Brian, quelques lignes du chapitre « Nature et destin » tiré de l’ouvrage de Lie Tseu « Le Vrai Classique du vide parfait » : « La conduite de Tcheou Sin, de Yin, ne fut pas meilleure que celle des « Trois Parfaits » ; cependant il était installé sur le trône. Ki Tcha, digne d’obtenir le fief de Wou, ne l’a pas obtenu, tandis que l’assassin Heng détenait le pouvoir à Ts’i. Yi et Ts’i moururent de faim sur le mont Cheou yang et la maison néfaste de Ki devint plus prospère que Tchan K’in. Si tout cela est rendu possible par ton seul pouvoir (dis-moi) Li (force de la nature), pourquoi donnes-tu à l’un la longévité et à l’autre une mort prématurée ? Pourquoi les bons échouent-ils et les méchants prospèrent-ils ? Pourquoi abaisses-tu les sages et honores-tu les fous ? Pourquoi la pauvreté à ceux qui ont du mérite et la richesse aux méchants ? ».

 

Le moment d’agir approchait. Maharo restait détendu, confiant,  naturellement et constamment concentré, prêt. Brian était plus nerveux, plus angoissé, toujours parasité par quelques idées, obsessions, ses démons familiers et néanmoins forces occultes le submergeant, et parfois, le rendant étranger à lui-même. Et s’il n’était pas essentiellement Docteur Jekyll luttant contre Hyde, si sa vraie nature était Hyde, l’inquiétante étrangeté, pulsionnelle, et le gentil Jekyll une façade ? D’ailleurs les monstres ne se voient pas ainsi, et ils se justifient leurs actes, sans quoi ils ne pourraient se supporter et vivre. Ainsi des criminels de guerre. Et avec ce qu’il allait faire, ne serait-il pas comme eux, un monstre se masquant la gravité de ses crimes en les idéalisant ? Mais Brian, pas plus que les autres, ne pouvait se voir comme cela, accepter cette image de lui-même. Du reste, il s’interrogeait. Il était plus proche de la psyché tourmentée de T.E Lawrence que des justifications hasardeuses D’Eichmann. Et puis, les découvertes Freudiennes ont montré l’importance des forces inconscientes et pulsionnelles. On peut prendre le parti de Thomas Man, et considérer qu’il faut d’autant plus les contrôler et les canaliser au profit d’un surcroît de conscience, de surmoi et de censure. On peut aussi prendre le parti des surréalistes, regretter la perte de l’essentiel de notre vraie personnalité, étouffée par les contraintes de la civilisation, et chercher à la privilégier, à la retrouver, à la faire dominer. Et si c’est Hyde qui doit l’emporter ? Eh bien il faut l’accepter, aimer sa violence, sa vulgarité, ses excès, sa partialité, y adhérer. Et Brian ne se transformait-il pas en Hyde ? En réalité, il avait été Hyde autrefois, lorsqu’il brutalisait des camarades, au Collège, en maison de correction notamment, mais peut-être était-ce la contrepartie d’un excès de refoulement, du rôle joué trop longtemps de l’enfant sage théorisé par Alice Miller, et qu’au fond, sa vraie nature, s’épanouissant spontanément, l’aurait conduit à faire émerger davantage de Jekyll que de Hyde. Comment savoir qui il était vraiment, à présent ? C’était trop tard. Un faux self suivi d’un faux self et précédé d’un autre. Un lavage de cerveau suivi d’un lavage de cerveau et précédé d’un autre. Et puis un moi éparpillé, dispersé, non unifié, qui se retrouvait et se demandait : qui assassiner ? Qui assassiner avant d’imploser soi-même ? Et il avait choisi pour cible une personnalité qu’il exécrait, qui incarnait tout ce qui est bas en l’homme, et qui, s’il l’avait connu en privé, lui aurait peut-être été sympathique. Comment savoir ? Et était-ce si important ? « Un remord vaut mieux qu’une hésitation qui se prolonge » écrivait Montherlant. On tuait et mutilait des animaux par millions, par milliards, alors tuer quelques hommes, qui intrinsèquement et pour l’Univers, n’ont pas plus de valeur que les animaux, et qui par leurs comportements dégradent hommes et bêtes, était-ce si important ? En bien comme en mal ? Si ça n’avait pas grande importance, on pouvait laisser faire, laisser aller. On pouvait aussi agir, intervenir sur le flux, en extraire quelques éléments. Et c’est ce que Brian avait l’intention de faire, supprimer quelques individuations de l’essence, quelques manifestations du vouloir vivre.

 

Ils mangèrent, Brian Maharo et Marek, quelques pizzas. Le plan était simple. Attendre que Kyrill rentre chez lui, dans le quartier du Marais, y aller vers 2h du matin. Maharo rentrerait le premier dans le loft, grâce à une série de manipulations qu’il avait apprises on ne sait où –il avait aussi ses secrets- peut-être un stage co annexe, et « neutraliserait » le garde du corps, sans le tuer. Puis il laisserait le champ libre à Brian. Il pouvait tout aussi bien tuer Kyrill lui-même, maintenant qu’il était lancé. Mais c’était l’idée de Brian, son projet, alors il laisserait faire Brian. Il aimait bien Brian. Bien que travaillé par ses propres démons, il était moins complexe, et il ne comprenait pas sa complexité, mais il sentait qu’elle le dépassait, et il la respectait. Les atermoiements de Brian, ses fragilités auraient pu l’agacer. Et pourtant Brian l’impressionnait. Quelque chose en lui le fascinait, l’intriguait, un mystère qu’il n’aurait su expliquer. Mais il aimait l’idée de mettre sa force, ses compétences à son service, et que ça allait continuer.

Partager cet article
Repost0

commentaires