Vu une interview récente sur Micheline Tissier, qui m’a laissé perplexe. Ca a plutôt tendance à me confirmer dans mon orientation actuelle.
Elle parlait de sa passion pour l’aïkido, en employant régulièrement le terme « forcément », comme si l’inconscient émergeait et qu’elle se forçait au fond à pratiquer. Elle disait que la plupart des vieux pratiquants qu’elle connaissait étaient « cassés », et qu’elle-même avait des problèmes à l’épaule et aux genoux. Elle disait que s’il fallait recommencer, elle cesserait les sauts dans la danse et le footing pour s’épargner les genoux, mais pas le karaté, car cela lui permettait de voir les « ouvertures » dans sa pratique de l’aïki. Je me suis dit : Tout ça pour quoi ? Moi aussi, je les vois les ouvertures, et ça sert à quoi ? La voyant pratiquer incessamment les mêmes techniques, Sokumen, ikkyo etc… je me suis demandé quel en était le but.
La démarche pacifique dans l’art martial, et dans l’aïkido en particulier, s’inscrit dans un contexte spécifique. Je suis dans un état où j’ai à me battre souvent, je dois être efficace, je détruis mes adversaires pour survivre. Puis, parvenu à un niveau exceptionnel, au sabre, à mains nues etc… je déambule dans les rues, vois par exemple un ancien adversaire à qui j’ai cassé le cou, paralytique, je culpabilise et me dit : Aurais-je pu faire autrement ? Aurais-je pu l’épargner, atténuer les dommages causés tout en me préservant ? Mais cette démarche s’inscrit dans un contexte guerrier, où il est nécessaire d’avoir à se battre et où l’on peut s’interroger sur ses techniques, leur finalité etc… Et modifier pacifiquement ses techniques est alors compréhensible et louable.
Mais pourquoi pratiquer pendant des années un art de projections et de clés, y compris si cet art est orienté vers la préservation, pourquoi s’y faire mal, dans un cadre de vie relativement apaisé où l’on n’est pas forcé de se battre ? Il n’y a plus de nécessité, d’utilité à la pratique, comme être expert au sabre ou au bâton ne sert à rien aujourd’hui. Alors certes, il y a le plaisir du mouvement, la richesse technique, la maîtrise de la coordination, la sociabilité, mais on peut trouver tout cela dans d’autres activités moins traumatisantes. Donc je repose la question : Pourquoi passer des années à projeter, à se faire projeter, se faisant à se forger le corps certes mais aussi à l’abîmer, et donc à réaliser des techniques que nous n’utiliserons jamais ?