Peut-être, comme le bavardage futile qui ne cesse pas, les émissions de divertissements, y compris les plus pitoyables et abrutissantes, répondent à une nécessité biologique. Il est faux de prétendre que la philosophie est faite pour tous. Des hommes de tous milieux s’y intéressent certes, mais ils ne sont qu’une minorité. Il faut avoir des dispositions pour cela. A l’homme qui ne se demande pas : que faire ? que faire ?, Confucius disait qu’il ne pouvait rien pour lui. Ce qui choquait Brian, dans les émissions de variété, c’est aussi qu’elles lui rappelaient les conversations adolescentes débiles auxquelles, trop intelligent, il ne pouvait alors participer, préoccupé de littérature, de philosophie, et trop profond pour s’intégrer. Et c’était comme si ces gens n’avaient pas évolué, n’étaient pas sortis de l’insignifiance, et parvenus à l’âge adulte, ça donnait quelque chose d’absolument grotesque et choquant, révoltant. Et ces animateurs, ces shows étaient plébiscités par des millions d’hommes et de femmes, sur toutes les chaînes de TV et de radio. C’était comme une tyrannie du grand nombre, et l’imposition permanente de tout ce qui dégrade en l’homme. Et les hommes d’affaires entretenaient cette médiocrité, la favorisaient. Et les politiciens, lâches, cherchaient à plaire. Ainsi, ils prétendaient aimer, ou regarder ce genre d’émissions, parce qu’elles étaient populaires. Et ils le faisaient savoir. Et il leur fallait prétendre aimer le foot, le tour de France, s’y montrer. Pire que des putes ! Eh bien, Brian n’aimait pas le foot, et il méprisait tous ces joueurs décérébrés crachant lamentablement sur le terrain
Après s’en être pris à l’animateur, Kyrill Hamdoulah,, qui lui semblait la pire expression de l’époque, il était juste de s’attaquer à l’homme d’affaires infâme qui tirait les ficelles, et encourageait l’abrutissement des masses, le puissant Laurent Jolloré. Un type à éliminer, sûrement. Lui et tant d’autres tyrans, industriels, hommes de médias, politiques, contribuaient à maintenir ce système, qui leur était avantageux. Il fallait commencer par une ordure de
premier plan. Laurent Jolloré serait sa prochaine cible.
Plongé dans ses réflexions, Brian eut l’envie de lire Zarathoustra pour prendre des forces. Bizarrement, il ne l’avait jamais lu en entier. Quelque chose de naïf chez Nietzsche le rebutait. Il lui préférait Freud, Nietzsche sans le délire en quelque sorte, même si moins poétique. Lou Andréas Salomé ne s’y est pas trompé, elle qui pris Freud pour maître. Mais la lecture d’une adaptation en bande dessinée lui en montra la richesse et de nombreuses similitudes avec sa propre pensée.
Relisant les Taoïstes, quelque chose le heurtait un peu chez leurs principales figures. Celles-ci louaient l’ignorance et fustigeaient la technique. Mais est-ce aller dans le sens de l’accroissement ? Intelligent et énergique, peut-on se renier et travailler contre soi et ses facultés ? Ainsi des architectes se stimulent en créant des tours toujours plus hautes, merveilles de technologies et d’ingéniosité. Et par ces créations, ils s’expriment, développent leurs dons, prennent leurs places, se déploient. Devraient-ils se limiter, s’empêcher volontairement de fructifier leurs virtualités, de se pousser jusqu’au bout ? Cela semblerait contre nature, dans le sens d’un détachement artificiel, et à l’ascèse, au renoncement Chrétien, Bouddhiste, Hindouiste, Taoïste, nihiliste, Schopenhauerien, Brian préférait les visions de Spinoza, Darwin, Nietzsche, plus cohérentes et stimulantes.