La grande passion de Brian restait la littérature. Les grands romans, en plus de l’affect, de l’identification aux personnages, de l’amour pour eux, contiennent les vues les plus perspicaces en philosophie, sociologie, politique, art, psychologie, métaphysique, ou géologie.
Des grands comme Balzac, London, Proust se réfère constamment à la science par exemple, comme l’évolutionnisme, ou usent de métaphores botaniques ou animales.
Brian relisait peu les œuvres qui l’avaient marqué. Il savait que les goûts évoluaient avec les besoins. Il ne pouvait pas relire Proust et Dostoïevski, qu’il avait pourtant vénéré pendant des années. Parmi les œuvres qui avaient compté pour lui, on trouvait « La peau de chagrin », « Splendeur et misère des courtisanes » de Balzac, qui le fascinait, « Le voyage au bout de la nuit » de Céline, « Les mots » de Sartre, «La promesse de l’aube » de Gary, « Le miracle de la rose » de Genêt, les « Essais » de Montherlant, « Le diable au corps » de Radiguet, les premiers volumes de « La Recherche » de Proust, jusqu’à «Du côté de Guermantes », dont la suite s’embourbait, « Le soleil et l’acier » de Mishima, « Le jeu de l’eau et du feu » de Ya Ding, « Le loup des steppes » de Hesse, « La montagne magique » de Mann, toute l’œuvre de Dostoïevski, « La sonate à Kreutzer » de Tolstoï, « Père et Fils » de Tourgueniev, « Oblomov » de Gontcharov, « Le désert des Tartares » de Buzatti, « Le portrait de Dorian Gray » de Wilde, pratiquement tous les livres de Bukowski, John Fante, Kerouac, Goodis, « La conjuration des imbéciles » de Toole, « Le loup des mers », « Martin Eden » de London, « La crucifixion en rose : Plexus, Nexus, Sexus » de Henry Miller, « La société des vagabonds » de Martinson, « Zorba » de Kazantzakis… Il y en avait beaucoup d’autres, mais ceux-là émergeaient. En fait, il y en avait tellement !
Après une prédilection pour la littérature russe, il avait trouvé à son endroit une analogie avec la réflexion de Sartre à propos de Kierkegaard. Sartre écrivait que Kierkegaard s’était sorti de l’esprit de système Hégélien et avait valorisé l’individu, mais s’était replongé, et abîmé, dans une idéologie particulière au mépris de l’universel, le protestantisme, (comme un technicien du savoir, mais qui serait de bonne foi).
Eh bien, on pouvait appliquer cela à beaucoup d’écrivains russes, qui se limitèrent par un repli vers l’orthodoxie, même si cela confère également un charme distinct à leurs œuvres.
Quelque part, ils sont sortis de leur névrose individuelle par une adhésion à une folie collective, névrose obsessionnelle de l’humanité, comme l’écrit Freud, mais comme ils sont écrivains et lucides, ils ne peuvent se duper complètement, annihiler leur esprit critique, et finalement ils renforcent leur névrose.
A l’inverse les américains prennent le risque, directement, de l’individuation, de l’émancipation personnelle, donc de la folie, mais leur chance d’aboutir à une libération réelle, un équilibre relatif, est plus concret, repose sur la confrontation avec les éléments bruts.
Brian prenait donc désormais davantage de plaisir dans la fréquentation d’auteurs américains. Et puis, il était saturé d’idées. Après Balzac, Proust, Dostoïevski, Mann ou Musil, il est agréable, sain peut-être, de chercher et de trouver une littérature moins chargée.
A l’inverse, quelqu’un qui s’est contenté de polars et veut creuser certaines interrogations trouvera dans Dosto par exemple, les développements qui rassasieront son intellect. Mais on se lasse de ses développements, et beaucoup sont ceux qui, passionné par Dosto dans leur jeunesse, ne peuvent plus s’y concentrer dans leur maturité.
La littérature du Royaume-Uni, malgré Wilde, Dickens, les deux Lawrence, l’attirait moins. Il trouvait Shakespeare un peu boursouflé, et avait été ravi d’apprendre que Tolstoï le pensait ainsi.
La littérature de langue allemande, avec notamment Goethe, Mann, Musil, Zweig, Rilke, Hesse lui paraissait trop philosophique, privilégiant le fond sur la forme, trop lourde, et manquer l’équilibre typique des russes qui fait les grands romans.
Brian lisait peu de contemporains. On encensait Virginie Despentes, mais même s’il y a des perspectives intéressantes, de l’émotion dans ses livres, elle ne sait pas écrire. Un écrivain, c’est aussi un style. Elle se veut accessible, désire amener des êtres normalement indifférents à a littérature. Un écrivain n’a pas à se préoccuper de cela. Il n’a pas à amoindrir son talent, se rendre plus populaire pour plaire. Il doit juste écrire ce qu’il a à écrire, sans se soucier des lecteurs, qui viendront à lui, ou ne viendront pas s’ils sont trop en deçà, à côté, ou au-delà.
De temps en temps, Brian découvrait des œuvres récentes qui le stimulaient. S’il n’appréciait pas Houellebecq par exemple, il avait pris beaucoup de plaisir à la lecture de « L’élégance du hérisson » de Muriel Barbery, de « Profession du père » de Sorj Chalandon, de « Limonov » de Carrère, Limonov dont il avait apprécié les livres originaux par la suite.
Il lisait peu de revues, mais il s’était enthousiasmé à la lecture d’extraits de Charles Juliet, de Barbara Israel dans la NRF, ou de Eric Vuillard dans « America ». Il y avait encore de la vraie littérature en France. Rassurant, il n’était pas tout seul.
Une autre des passions de Brian, c’était le cinéma. La peinture permettait de renouveler son regard sur les choses, mais cette impression ne durait pas. Le cinéma procurait des émotions qui, parfois, donnait accès à une autre dimension de la conscience, ouvrait et pacifiait l’esprit. Il évitait de revoir des films qui l’avait éveillé parce que ceux-ci correspondaient à un moment de son évolution. Il avait ainsi été déçu en revoyant « Amarcord », « Nous nous sommes tant aimés », ou « Barry Lindon », qui l’avaient pourtant marqué autrefois. Parmi ses films favoris, on pouvait compter « Miracle en Alabama » d’Arthur Penn, « Lawrence d’Arabie » de Lean, « Lord Jim » de Richard Brooks, « Accatone », « Mamma Roma », « L’évangile selon Saint Matthieu » de Pasolini « La cité des femmes » de Fellini, « Parfum de femmes » de Dino Risi, « Ludwig, le crépuscule des dieux » de Visconti, « Les ailes du désir » de Wenders, « Aguirre, la colère de Dieu » de Herzog, « Le cycle Antoine Doinel » de Truffaut, « Matrix » des Wachowski, «Dogville» de Lars von trier, « Fanny et Alexandre » de Bergman, « Lolita » de Kubrick, « The Barber » des Coen, « Printemps, été, automne, hiver » de Kim ki duk, « Hamsel et Gretel » de Lim pil-seong, « Breathless » de Yabg ik-joon. .
Il suivait assidument les séries américaines, qui recelaient suspense, tension, humour, humanité et intelligence, parmi lesquelles : »Friends », « Scrubs », « My name is Earl », « Spartacus », « Orange in the back », « Americans », «Rectify », « Oz », « Sopranos », « Dexter », « Six feeth under », « Boss », « Twin Peaks », « Kung Fu », « Desperate housewives », « Homeland », Breaking Bad », « The big bang theory », « How I met your mother ».