Un imprévu tragique accéléra les processus en cours. Le père de son ami Alexeï passa dans l’autre monde. Brian, proche de son ami mais également de sa famille, assista à l’enterrement. Bien sûr, il voulait soutenir les proches dans cette situation de douleur extrême. Il avait cependant, aussi, la prémonition qu’une jeune femme qu’il aimerait y apparaîtrait. Et, étonnamment, ce fut le cas. L’attirance fut immédiate. Il fut subjugué par sa beauté et son charme, son aura singulière. Il était comme aimanté. L’exception s’offrait à lui, venait à sa rencontre. Et elle, Maria, semblait être attirée, de la même façon, également aimantée. Pour Brian, il était impossible de ne pas la regarder, son attention captivée. Il la surprit à raconter quelques bribes de sa vie à un de ses cousins éloignés. Elle habitait Bordeaux, avec un homme et la fille de 9 ans de cet homme. Brian fut découragé, et s’éloigna, pensant que c’était une souffrance inutile de s’attacher à cette femme prise dans une relation et une vie rangée. Pris de doute, il revint sur ses pas et ne la vit que lors de son départ, échangeant avec elle un bref regard.
Avait-il fui ? Avait-il, par sa faute, gâché une chance, une opportunité sans prix ? Son ami Alexeï lui dit qu’elle était sa cousine. Brian aurait voulu lui dire qu’il la désirait parce que c’était elle, qu’elle était très belle, dynamique, généreuse, mais qu’il existait des femmes aux qualités semblables qui lui étaient indifférentes, mais qu’elle, c’était elle et c’est pour cela qu’il voulait être auprès d’elle, puiser à sa présence tout le bonheur d’une vie, et lui donner ce bonheur.
Les jours suivants, il fut terrassé par les regrets, la souffrance. Il ne pouvait plus penser à autre chose. Il demanda à Alexeï le numéro de sa cousine. Son ami lui répondit qu’il lui demanderait d’abord si elle voulait le lui donner. Mais Brian hésitait. Que lui dirait-il ? Elle avait sa vie, son travail, son couple à Bordeaux. Lui habitait Poitiers, et ils ne s’étaient même pas parlés. Cela paraîtrait bizarre, insolite, effrayant peut-être ! D’un côté il n’avait peut-être rien à perdre à faire le premier pas. Et puis, tout risquait de s’estomper s’il attendait. Mais il fallait peut-être attendre un peu, se concentrer, méditer pour savoir quoi faire. Et puis, le charme s’estomperait peut-être quand il la connaîtrait. Allait-il prendre le risque de bouleverser sa vie pour une impression peut-être décevante ? Pouvait-il lui offrir quelque chose de mieux que ce qu’elle avait déjà ?
Toute la beauté de la vie était ramenée à cette femme, concentrée en elle. Et l’imagination de Brian ne cessait de broder sur elle et lui. Bien sûr, il s’était mis à délirer. Par exemple, il attendait qu’elle l’appelle, ce qui était irrationnel. Mais il le savait, et ne pouvait s’en empêcher. Il n’essayait même plus de chasser ses pensées. Elles portaient en elles quelque chose de plus important que les livres, le sport, la danse ou le yoga. Il était obligé de les laisser faire, même si elles étaient sans issue.
Elles évoquaient, représentaient, ressassaient ce qui lui manquait, l’essentiel. Il aurait délaissé toute la philosophie pour de l’amour, un peu d’affection vraie, un échange avec une femme pour qui il ressente vraiment quelque chose. Il ne vivait que pour ça.
Comme le personnage de « The Barber », toutes ses tentatives de rédemption échouaient. Il avait connu un moment de paix lorsque, comme le héros du film, il en fit un livre, "carapace", publié sous le pseudo de Lawrence King. Mais ça ne lui suffisait pas. Il lui manquait quand même l’essentiel.
De retour chez lui, il ne put qu’écouter de la musique classique, spontanément. Pourtant, il en écoutait peu. Mais toute autre musique, émission, le silence, lui était insupportable. Il avait non seulement le cœur, mais l’âme brisée. Etait-ce l’échec, la fuite, la promesse de bonheur, d’amour non réalisé de trop ?
Il s’était longtemps cru un monstre, comme Elephant man . En réalité, il était beau. Mais une part de lui-même ne le savait pas. Il n’osait pas aborder les femmes qui lui plaisaient. Il avait peur de faire peur, d’être méprisé, rejeté, de laisser s’écrouler les dernières illusions sur ses possibilités d’être aimé.
Il tenait le coup, dans une solitude si éprouvante, aidé notamment par Tolstoï, qui écrivit à un ami tenté par le suicide quelque chose comme : « Qui te dit que les 3 dernières semaines que tu ne vivrais pas si tu te tuais ne seraient pas celles qui t’auraient fait tout comprendre, qui auraient tout expliqué, justifié toutes les souffrances, t’auraient réconcilié et libéré ? »
Mais il n’en pouvait plus.
Malgré tous ses efforts, le manque de confiance en soi tenace, les problèmes relationnels, l’incapacité à montrer ses émotions, à se laisser réellement approcher et connaître, la carapace si difficile à fissurer le condamnaient à l’isolement et à la mort affective.
Qu’allait-il faire ?
Comment survivre à cette approche du vrai bonheur qui s’était enfui, peut-être par sa faute ? Et pourquoi survivre, encore, et encore lutter, et encore tenir, sans affection, sans tendresse, sans chaleur humaine, sans amour, sans elle ?
Breathless