Brian devait beaucoup au yoga et à la danse.
Lors de crises d’angoisse intense, que des anxiolytiques de plus en plus forts ne calmaient pas, il avait décidé de suivre les exercices d’un Dvd de yoga. Son angoisse déclina, ses attaques de panique furent endiguées. Il s’inscrit dans un club à Niort, dont la prof ne le laissa d’ailleurs pas indifférent, pour améliorer ses postures et se socialiser. Cela lui apporta, mais un poste de remplacement comme prof de philo en Bretagne, à Dinan, au lycée « La Fontaine des eaux », joli nom, l’obligea à quitter ce club. Il continua de temps en temps la pratique solitaire, et retrouva un enseignement sur Poitiers, interrompu à nouveau par un accident. Il pratiqua aussi dans son fief, seigneur discret, à Saint-Malo. C’était plus facile en groupe, soutenu, entraîné. Seul, le yoga confronte à ses démons, peurs et obsessions, et la détente finale, où on s’expose, allongé, ouvert, sans défenses, qui apporte peut-être le plus est aussi ce que redoutait davantage Brian. Il s’y était cependant remis. Il avait sa routine. Il alternait course, muscu, taiso, yoga et danse. Il se plaçait, centré, s’échauffait avec du Qi Gong, puis se contorsionnait, s’élançait, saluait le soleil ou la lune. Il terminait parfois l’enchaînement par une méditation. Il aimait aussi nager en mer l'été, même s'il avait peur des requins. Les requins, c'est comme des gros chiens, pas méchants, affectueux, mais quand ils veulent s'amuser et te goûtent, évidemment ça fait pas le même effet.
Et puis il y avait la danse, toute une histoire. Herman Hesse, avec « Le loup des steppes » l’avait poussé dans cette direction. On y rencontre le personnage principal, le « loup », intelligent, cultivé, solitaire, désabusé. Lors d’une sortie, une femme vient vers lui, et lui dit qu’il est blasé, croit avoir tout vécu, mais un truc aussi simple, danser, il ne le fait pas. Brian s’était identifié au personnage. Il s’était dit « moi c’est pareil ». Tout le temps, quand des femmes l’invitaient à danser il n’y allait pas. Malgré les années d’arts martiaux, il n’était pas à l’aise avec son corps et une gestuelle différente de la martialité et du contrôle. Alors, il s’était inscrit à un cours de danse de salon. Il n’avait pas trop accroché en fait, s’était trouvé un peu ridicule, mais il y était allé. Il avait évolué, s’était ouvert.
Et puis, des extraits de films où un personnage dansait le touchaient. Ainsi, dans « Timbuctu », un djihadiste qui n’a pas étouffé toute sa sensibilité montre un des rares moments d’humanité quand il se met à danser. Dans le film « Le locataire » de Kim Ki Duk, le personnage principal est un instant enfermé dans une cellule. Il se met à danser. Il se libère de l’endroit. C’est très beau.
Brian avait tenté quelques mouvements, hésitants. Il avait besoin de cours. Il avait essayé la « biodanza », trop sectaire pour lui, la danse contact, avec un aspect intimidant. Ce qui l’avait le plus débloqué, et inspiré, c’était la danse gaga, fondé par l’Israélien Ohad Naharin.
La danse contemporaine le déridait, plaisait à son corps. Comme les arts martiaux, le yoga reste un système contraignant. Dans la danse, on peut créer n’importe quel mouvement, c’est la liberté. La seule limite, c’est le corps et ses possibilités. Alors Brian dansait.
Il se mettait en caleçon, ou nu, et se libérait, sautant, plongeant, se ramassant au sol, s’étirant, esquissant des pas improbables, se fixait, puisait dans l’aïkido, le karaté, le yoga les mouvements gaga quand il avait une panne, et reprenait l’improvisation. Il planait, communiquait avec les esprits, son esprit, le Cosmos, les étoiles. Il était un chaman en communion avec l’Univers, qui se livrait à une danse rituelle et sacrée venue de lui et d’on ne sait où.
Parfois l’élan se brisait. Son père l’avait appelé récemment, et il avait été brisé dans sa course. Il s’était senti surveillé, regardé, évalué, jugé. Il s’était éprouvé, de nouveau, comme ridicule. Le surmoi destructeur, l’œil du Diable était revenu et l’écrasait.