Pour être dandy, il faut encore avoir la force de prendre la pose. Oh, Limonov, comme Brian comprend ton besoin de reconnaissance, et ton imaginaire sans cesse élaborant des plans. Ses crucifixions ne furent pas roses, mais noires, bien noires Vivre ses rêves plutôt que rêver sa vie, un cliché, et pourtant.
Charly Graf, une pensée pour toi. Et à toi aussi Ed Bunker.
Le retour de l’antisémitisme est dur à encaisser. Il n’a jamais réellement disparu. Il couvait, et le conflit israëlo palestinien a ravivé le processus, les hommes tellement contents de nier leur propre monstruosité et de la projeter sur une cible facile, les Juifs en l’occurrence. Le processus du bouc émissaire est très répandu, dans les cours d’école, en prison, un peu partout. En général, un groupe lynche plus faible et pas plus criminel que lui. Brian n’était pas certain que toute société était fondée sur des rivalités mimétiques et un crime originel, comme le théorise René Girard, mais c’est un fait que la violence s’exerce souvent sur l’étranger, le différent, le plus fragile et sans réponse audible, thèse magnifiquement illustrée dans « les animaux malades de la peste » de La Fontaine. Les hommes s’efforcent de nier leur propre dangerosité, meilleure manière, l’ignorant, d’y céder. Les pires criminels de l’histoire n’étaient ni des serial killer psychotiques, ni des schizophrènes, ni des tueurs à gages, ils étaient des hommes ordinaires, la foule. Ils ont tué 20 millions de Russes, 20 millions de Chinois, 1 million de Cambodgiens, 110000 Japonais d’un seul coup par la bombe A, brûlé Dresde quand c’était inutile, massacré femmes et enfants à Nankin, tué, parmi les 5 millions de juifs, on l’oublie souvent, 1 million et demi d’enfants. Le monstre le plus effroyable, c’est l’homme ordinaire, conformiste, grégaire, soumis, docile, se gavant de toutes les imbécillités divertissantes, se croyant un brave homme, et, occultant sa propre violence, tuant, après des centaines de millions, des milliards d’animaux torturés, des centaines de million d’hommes !
L’homme commun dans toute son horreur !
Brian appréciait ce que la culture juive, la tradition herméneutique, avait produit comme grands hommes. Il remarquait cependant que les plus féconds, comme Spinoza, Freud, Einstein ou Allen étaient critiques avec la religion. Les monothéismes posent problème. Ils établissent une séparation radicale et mal fondée entre l’homme et l’animal, coupe l’homme de la nature, ce qui légitime l’exploitation des autres créatures, et s’accorde moins avec la science que l’animisme ou le panthéisme par exemple. Ils sont de plus exclusifs donc excluant, et peut-être pour cela par nature intolérant. Les juifs sont moins prosélytes, parce qu’ils n’en éprouvent pas le besoin. Ils croient, en effet, que Dieu a scellé une Alliance particulière avec le peuple d’Israël. Ils ne ressentent donc pas la nécessité de convertir. Ils sont à part. Cette idée, comme beaucoup d’autres dans le Christianisme, l’Islam, les religions orientales, choquait Brian. Il fallait imaginer, dans tout l’Univers, un Dieu tout puissant et personnel, ce qui déjà n’allait pas de soi. Mais pourquoi préfèrerait-il les Juifs aux Chinois par exemple, ou aux Polynésiens, aux Amérindiens ? Cà ne tenait pas.
Les inconséquences pullulent dans toutes les religions. Il faut les dévoiler.
D’autre part, cela explique l’inégalité dans la réciprocité. Les Juifs sont la base et ont la reconnaissance des chrétiens et des musulmans, les chrétiens celle des musulmans, les Musulmans aucune. En effet, un musulman, puisqu’il vient après, peut reconnaître Abraham ou Jésus comme prophètes, et rester musulman, mais un chrétien qui reconnaîtrait Mahomet comme le sceau des prophètes serait logiquement amené à changer de religion. Par conséquent, quoi qu’en disent les tenants de l’œcuménisme, on ne peut reconnaître la légitimité de Mahomet si l’on reste Chrétien, comme on ne peut reconnaître celle de Jésus si l’on reste juif. Ceci explique que les Chrétiens sont plus prosélytes que les juifs, et les musulmans plus que les chrétiens. Ils ne peuvent faire autrement s’ils désirent être reconnus, et tant qu’ils le désirent.
Qu’après la seconde guerre mondiale, les enfants juifs français ne puissent être scolarisés où ils le veulent, parce que dans des écoles publiques, ils seraient persécutés, que cela se sache et qu’on laisse faire, que l’antisémitisme puisse s’exprimer un peu partout scandalisait Brian. Après la deuxième guerre et ses atrocités, on permet ces manifestations de haine dans les écoles, sur les réseaux sociaux. S’il avait été juif, la colère de Brian contre le laxisme de la France aurait été ingérable. Il ne l’aurait pas supporté. Il aurait quitté le pays, pour Israël, les Etats-Unis, l’Asie peut-être.