Brian n’était pas qu’un intellectuel tourmenté à l’efficacité virile. Ses goûts dévoilaient un tempérament plutôt féminin. Il n’aimait ni le foot, les sports avec un ballon en général, ni les voitures, ni les jeux vidéo, ni le bricolage. Il aimait lire, écrire, le cinéma, le yoga et la danse. Alors certes, il pratiquait intensément les arts martiaux, et appréciait peu le shopping, mais tout de même, il y avait du féminin en lui, un guerrier à la voix tendre, avec un aspect presque fleur bleue, un tempérament de midinette. Il avait remarqué, chez les paras autrefois, la propension marquée des asiatiques pour les chansons sentimentales françaises. Les types, de solides combattants, recelaient eu eux une douceur romantique qui contrastait avec leur apparence. Ca l’avait touché.
Si Brian était super élitiste sur le plan intellectuel, il était surprenant de constater son inclination pour les musiques populaires qui imprégnèrent son imaginaire d’adolescent. Elles devaient toucher un aspect émotionnel plus primitif, la sensibilité sans médiation.
Il n’avait aucun snobisme en la matière. Piaf, Brel, Dalida, Goldman, Souchon, Lavilliers, Joe Dassin, Adamo, Aznavour, Manset, Niagara, C Jérome et tant d’autres pour la France, A-ha, Talk talk, Alphaville, Modern talking ou Cock Robin, et tant d’autres pour les USA et le reste du monde, les chansons qui le remuaient, valorisées ou déconsidérées, visibles sur you tube, se comptaient par centaines ou milliers. Quand il avait un accès prolongé au net, et qu’il s’y laissait prendre, il pouvait, hypnotisé, enchaîner tubes après tubes, et plonger dans un bain nostalgique et émotionnel, glacé aussi, car, figé, il attendait d’être gelé avant de rompre le sortilège et d’amorcer un mouvement. Il était satisfait de pouvoir renouer avec une part masquée de sa personnalité. De même qu’il ne pouvait être lui-même, se montrer tel, sans masque et sans carapace, qu’avec les animaux, avec lesquels il pouvait jouer et manifester son affection et sa sensibilité sans honte ou crainte d’être offensé ou rabroué, ses chansons le connectaient avec un aspect qu’il aimait de lui-même mais qu’il dissimulait pour se protéger, qu’il ne pouvait trop exposer, faire emerger, triompher, et pourtant qui était davantage lui-même, son vrai moi, que ce que son visage et son attitude hermétique laissaient paraître.
Ainsi, « Je suis malade », « Emmenez-moi », « Les amants d’un jour », « Je rêvais d’un autre monde », « Il voyage en solitaire », « Envole-moi », « Et si tu n’existais pas », « Le bagad de Lann-Bihoué » et ainsi de suite mettait Brian dans tous ses états, et il les reprenait, les fredonnait avec timidité. Il aurait voulu les chanter avec force, pleinement, avec toute sa puissance et son vécu, mais il ne le pouvait pas. Ca restait bloqué en lui. Il lui aurait fallu assumer jusqu’au bout ses fragilité, pouvoir se montrer empli de tendresse, et c’était tabou, l’équivalent d’une faiblesse à surmonter, à cacher. Il ne pouvait pas montrer qui il était vraiment, depuis toujours, hormis parfois grâce à l’alcool. Il en souffrait. On lui avait fait croire qu’il était nécessaire de tricher, de mentir, de se camoufler, comme si quelque ténébreux secret épouvantable était tapi quelque part et pouvait se révéler. Pourtant, lui, des secrets à taire, il n’en avait pas enfant. On en avait peut-être pour lui. Et à force, comme on le croyait porteur de secrets, il le croyait aussi, il s’enfuyait, s’imaginait des choses, des situations, ça lui donnait une aura de mystère, il s’identifiait à tous ces rôles, il cherchait à plaire, il se mettait à y croire. Il avait intériorisé les croyances et les drames, il avait joué les situations, et maintenant, il portait de vrais secrets.
Il était devenu un meurtrier. Certes, il croyait bien faire, tel « l’homme irrationnel », et peut-être était-ce vrai. N’aurait-il pas fallu tuer Hitler, ou ceux qui l’ont si mal éduqué, comme les malfaisants abrutisseurs de la société du spectacle rejetant aux marges tout effort intellectuel et toute vertu, toute dignité ? Il n’empêche, il avait désormais des choses réelles à cacher. La poisse.