Brian relisait Proust. Les subtilités de « La Recherche » lui semblaient un peu artificielles. Certes, Proust avait accompli une prouesse intellectuelle, et stylistique, mais il compliquait inutilement les choses. Même les très beaux passages métaphysiques avec la madeleine, les pavés, les aubépines, les clochers de Martinville, au fond sa mystique, étaient une construction hasardeuse. L’idée que, par la mémoire involontaire, on puisse associer le souvenir d’un événement passé avec les sensations matérielles qui y correspondent dans le présent, et ainsi sortir du temps en quelque sorte, le vivre à l’état « pur », c’est très théorique pour qui ne l’a pas éprouvé.
Et puis, toutes ses théories sur l’amour sont fondamentalement superficielles. On désire ce qu’on ne possède pas, et quand on le possède, on ne le désire plus. Ainsi, la vie oscille, tant qu’on désire, entre la souffrance liée au manque et l’ennui lié à la présence de l’objet désiré. Du classique Schopenhauerien. Lorsque l’être aimé nous est aliéné, il perd son attrait, lorsqu’il reprend sa liberté, on veut le reconquérir. Mais ce n’est vrai que si l’attirance repose essentiellement sur le fantasme et l’imagination. Ce n’est pas toujours le cas. Ainsi, on ne court pas toujours après une femme dont a compris qu’elle n’était pas notre type, au contraire de Swann après Odette de Crécy, et on peut également aimer ce qu’on possède, se sentir bien tout simplement avec la personne avec qui on est. Ces constatations banales semblent avoir échappé au narrateur et peut-être à Proust lui-même. Trop de rêves, d’imaginaires, et de cristallisations chez lui. Un retour au réel s’imposait. La vie réellement vécue ne se passe pas que dans les livres, et c’est une tragédie de ne vivre que par et pour les livres. C’est ce qu’avait compris Mishima dans « le soleil et l’acier » quand il racontait son évolution de l’enfermement neurasthénique à la découverte du soleil. C’est également ce qu’écrit kazantzakis dans « Zorba » lorsqu’il fait la critique des « spleeneux », qu’il rejette Baudelaire et Mallarmé, et qu’il nous donne le conseil de ne pas être des « souris papivores ».