Brian se morfondait dans ses idées noires, comme dans la chanson de Lavilliers, se sentait glisser vers la parano, quand Maharo sonna à sa porte. Lui, d’un esprit plus scientifique que littéraire, gardait le moral. Il trouvait toujours à s’occuper, et s’il était secoué par quelque difficulté existentielle, allait courir 15km ou enchaînait pompes et tractions. Brian n’était pas homo, mais comme l’a dit Van Damme, on est tous homo, et si le corps des femmes, même lorsqu’il est empli d’imperfections, est sexuellement plus attrayant, Brian aimait regarder des corps d’hommes en forme, comme doués d’une énergie qui était également la sienne. Or, Maharo était grand, élancé, et ses muscles exhalaient la puissance, la combativité. Il n’était ni trappu, ni bodybuildé, plutôt comme on imagine le physique de Queequeg dans «Moby Dick», ou de Larsen dans «Le loup des mers». Et c’était un plaisir de le contempler.
Son ami lui parla d’une connaissance commune qui, trop las des violences vues et son esprit incapable de s’en détacher, avait rejoint le Cosmos sous une autre forme. A chaque fois que Brian apprenait le départ définitif d’une connaissance, proche ou non, ça l’affectait profondément. Même la mort de gens célèbres le remuaient. Amy Whinehouse, Mickael Jackson, David Bowie, Whitney Houston, Halliday, Dolorès O'Riordan, ça le plombait. La mort, merde, la fin de la vie, des rencontres, de l’amour, plus d’échanges avec les femmes. Vraiment terrible.
Il était décidément plus proche de Kerouac que de Miller. En plus de sa misogynie, il y a une sorte de distance constante derrière les plaintes incessantes de Miller. Il a peut-être trop souffert dans sa jeunesse, alors il semble détaché de tout. Il est souvent cynique lorsqu’un de ses amis meurt, paraît indifférent, s’en vante même. Pas pour rien qu’il a intitulé sa trilogie « Plexus, Nexus, Sexus » : « Crucifixion en rose » .
Chez Kerouac, comme chez Brian, il s’agirait plutôt de « Crucifixion en noir ». Kerouac était extrêmement tourmenté, et pratiquement toujours îvre. Dans « Vanuité de Duluoz », il écrit que tous ses périples, sa création littéraire, sa gloire, ses efforts, tout ça n’a servi à rien. Miller lui, a vécu beaucoup plus longtemps, et jouissait de sa célébrité. Il n’avait pas recours sans cesse aux substances pour supporter la souffrance. Kerouac n’a pu colmater l’abîme initial parce qu’il n’a pas su défusionner d’une mère envahissante. Il est revenu vivre chez elle, et y mourir. Miller a souffert des insuffisances maternelles, mais il a coupé les ponts rapidement, et comme un héros de Mark Twain, tôt, il a fait sa vie. Il s’est davantage autonomisé, et était ainsi plus blasé que mélancolique. Il était donc également plus libre et moins fragile. Il semble aussi moins fermé, moins mutique, plus sociable que Kerouac. Mais ses failles, associées à son génie, le reléguèrent longtemps aux marges.
Maharo conta quelques histoires de la légion à Brian. Sortis du service, beaucoup de légionnaires se retrouvaient clochards ou allaient en prison. Ils avaient besoin du cadre et ne parvenaient pas à se motiver seuls, à entretenir une discipline personnelle. Cela plus la violence passée et la boisson, et c’en était vite fini de leur superbe, et de leur prestance. Ils perdaient leur silhouette martiale et prenaient une allure pitoyable. Maharo, lui, n’avait pas besoin du cadre. Il avait aimé s’y éprouver, se confronter à ses limites, ses faiblesses. Désormais il se débrouillait sans. Et il gardait son corps affuté, préparé pour la guerre. Sorte de prince du combat, ses qualités auraient mieux trouvé à s’employer en des époques plus lointaines, ou Brian l’imaginait volontiers, tel Sasaji Kojiro, vaquant de combat en combat, bien droit, seigneurial, l’épée dans le dos. Il était taillé pour ce genre d’aventures, aristocrate de la guerre.
Quant à Brian, lui, il restait l’insatiable malouin, toujours insatisfait, épris d’ailleurs, mélancolique, triste et seul. Un vrai breton, comme Kerouac.
Il aimait les femmes du Sud. Les filles du Sud-Est Asiatique, les filles des ïles, les espagnoles, les italiennes, les arabes. Il trouvait les anglaises laides et vulgaires, et même les Nordiques, les Scandinaves sur lesquels beaucoup d’hommes fantasmaient, le laissait indifférent. Certes, la beauté de belles blondes aux yeux bleus était parfois impressionnante, mais ça ne le touchait pas. Il avait une inclination particulière pour les femmes arabes. Il les trouvait chaleureuses. La peau mate le réchauffait, même mentalement. Elles étaient souvent énergiques et gentilles, ce qui pour des Occidentales est plutôt contradictoire. Il aimait leur physique, leurs manières gestuelles très expressives. Lui, breton, ne parlait pas avec les mains, et c’était un plaisir de les voir se mouvoir. Et puis, les françaises issues des pays arabes sont partagées entre deux cultures, et ont donc souvent des problèmes d’identité, et cette fragilité liée à la quête identitaire leur ajoutait encore quelque chose, et touchait Brian qui, pour d’autres motifs, partageait cette faille.
La grâce toute royale de certaines arabes, la dignité princière de leur port, et le haut degré de raffinement, d’intelligence, et de sensibilité qui émanent de leurs visages et de leurs expressions l’incitaient, lui le breton, à voyager vers le Sud, et à sortir de sa forteresse Malouine, à s’élancer vers des femmes complémentaires, aux visages moins bornées, moins dures et granitiques, plus colorées que les femmes de sa région. Ceci dit, les bretonnes peuvent également avoir du charme, notamment pour les hommes du Sud, et même Brian était parfois touché par une belle Nantaise au style typique du coin. Ca lui arrivait, aussi, mais moins souvent. Il préférait la chaleur au froid, et l’impression de chaleur générée par l’aspect physique, même réduite à être une impression illusoire, lui suffisait. D’ailleurs, elle n’était pas qu’illusoire. Elle était réelle.