En attendant le moment de buter Jolloré, Brian continuait à danser. Il avait un projet de danse solo. Il voulait montrer de façon esthétique et belle son évolution des arts martiaux durs et destructeurs, synthèse personnelle entre shotokan, kyokushin et divers apports, à une pratique martiale apaisée et harmonieuse, préservant agresseur et agressé, et enfin à la pure joie de danser. De la danse de mort, il passerait à la danse de la vie. Puis il terminerait par un seppuku qu’il ne parviendrait pas à aboutir. C’était de l’histoire vécue. Il l’avait tenté avec un cran d’arrêt, adolescent, dans un moment de désespoir. Mais c’était contre nature, et il avait échoué. Il désirait montrer que la dureté conduit au désespoir et à l’effondrement, et le manifester par une alternance entre le maitien trop rigide et droit et l’écroulement. Puis il se redresserait, et trouverait l’équilibre.
Seul Brian pouvait faire vivre cette histoire. Personne d’autre. Et personne d’autre ne pouvait bouger comme lui.
L’idée, c’était donc de « danser sa vie », d’exprimer sa vie. On était en plein concept de danse contemporaine. Il avait découvert les fondements de la mutation moderne avec les innovation de François Delsarte, pour qui le corps entier doit être mobilisé pour l’expression. Ainsi, les mouvements corporels traduisent l’état intérieur, et l’influencent en retrour. Ce précurseur français méconnu eut un rôle pour le développement de la danse en Amérique, grâce notamment à son disciple Steele Mc Kay, qui créa une méthode, les « harmonic gymnastics »
Puis, il y eut l’immense Isadora Duncan, dont la vie fut tragique et passionnante. Elle voulut réconcilier, contre les artifices de l’académisme, le corps et l’âme par des mouvements naturels. Elle s’inspira également beaucoup de la Grèce antique.
« Je suis venue en Europe pour provoquer une renaissance de la religion par la danse, pour exprimer la beauté et la sainteté du corps humain par le mouvement. »
Puis Ruth Dennis, influencée par Geneviève Stebbins, combina le delsartisme avec l’inspirante Duncan et y ajouta une technique rigoureuse et une pratique méditative. Danser était pour elle un acte spirituel.
Ces découvertes progressives exaltaient Brian. Il voyait s’ouvrir devant lui de nouvelles perspectives. La pratique quotidienne le réconciliait avec lui-même. Les stages et ateliers lui permettaient de s’initier à de nouvelles techniques, et de rencontrer des hommes et des femmes différents des pratiquants d’arts martiaux. Et comme il était d’un naturel bouillonnant, pressé, il avait du mal à contenir sont excitation.
Lors d’un échauffement collectif de Jumpstyle, avec La Horde, il réalisa les exercices proposés, assez physiques, à côté d’une délégation d’étudiants et d’enseignants coréens. Il remarqua de très jolies jeunes filles, mais elles se ressemblaient toutes par leur beauté, indistinctes, et comme le narrateur de « La Recherche », elles n’étaient pour lui que des jeunes filles en fleur, et son attention disposait de trop peu de temps pour s’attacher à une figure en particulier.
Il remarqua quelques coréennes plus âgées. De l’une d’elles, grande et mince, se dégageait une profonde intelligence, et elle était pourvue d’une souplesse remarquable dont Brian se demanda si elle provenait du yoga, ou d’un art traditionnel coréen.
Mais son attention fut surtout accaparée par une petite coréenne, jeune encore bien que plus âgée que les étudiantes, sans doute une enseignante, ou un personnel de l’encadrement, qui était placée à quelque distance devant lui, à sa droite, moins belle mais douée de plus de charme, dynamique, généreuse et qui amusait Brian. Ils se regardèrent. Il eut l’impression qu’elle l’avait remarqué. Elle se déplaça et se mit juste derrière lui, seule. Elle le regarda et lui fit un signe d’encouragement et de sollicitude sur un geste ardu. Il lui montra de la connivence. Puis l’échauffement prit fin. Brian ne sut que faire. Elle s’était un peu isolée, les mains sur les hanches. Il resta sans bouger, indécis. Comment l’aborder avec le groupe Coréen resté très proche ? Finalement, il mit son manteau sur ses épaules, prit son sac et se changea dans les toilettes de la Maison des Etudiants. Puis il se dit qu’il avait merdé. Avait-il fui ? Il aurait du rester un peu plus longtemps, et la regarder plus longuement, car elle lui plaisait. Et elle l’avait distrait quelque temps de son attachement excessif pour Clara, française d’origine coréenne qu’il avait cru d’abord d’origine chinoise. Il n’y avait pas que Clara, c’était rassurant, même si la probabilité d’une nouvelle rencontre avec la petite coréenne était bien faible. Bon sang, quel tropisme pour les Coréennes tout de même ! Comme s’il partageait une âme commune avec ce Peuple. Il irait peut-être vivre en Corée, et si les choses tournaient mal, et qu’une bombe lui tombât sur la tête, il se dit qu’il mourrait volontiers avec les Coréens, au sein d’une patrie aimée et désirée. Et pourquoi pas ?
Il ne comprenait toujours pas les résistances de Clara. Elle était, se rendait inaccessible. Et il se demandait si elle ne contribuait pas par ce procédé à stimuler son intérêt. Quoi qu’il en soit, elle restait ferme et résolue dans son refus de le voir. C’était dingue parce que tant de femmes cherchaient sa compagnie, sa conversation, mais il fallait se rendre à l’évidence. Sans être indifférente, pourtant elle le fuyait.