Brian n’avait pratiquement connu que la violence. Il ne savait rien de la vie ordinaire des gens, rien du bonheur. Il ne tiendrait plus longtemps comme ça.
Au fond, la philo l’intéressait peu. Ce qu’il aimait, ce dont il ressentait le besoin vital, c’était de contact humain, et notamment avec les femmes qui lui plaisaient, la vie affective dont il avait toujours été privé. Proust avait tout faux. La vraie vie, elle n’est pas dans les livres, elle est dans les rencontres et l’affectivité qui s’y déploie.
L’hypocrisie terrifiante de l’Etat, relayée par les médias, le révoltait de plus en plus. On glorifiait un « héros de la République » qui avait sacrifié sa vie pour des concitoyens, et on en faisait un grand spectacle insupportable. Certes, cet homme avait été courageux, mais pourquoi dire : « un homme qui sauve des concitoyens est la plus belle action ». Un Italien ou un Algérien valent bien un Français non ? Et puis, cette corruption des élites que tout le monde connaît, cet acharnement judiciaire et financier sur les exclus, ce chômage voulu qui génère des centaines de milliers de morts par suicide, dépression, addictions, ces armes vendues aux dictatures, les centaines de millier de Rwandais que la France a laissé mourir, c’était plus grave que la mort de 3 personnes par un type qui n’avait peut-être pas sa place dans la société. Les vrais coupables, c’étaient Napoléon et les hommes au pouvoir, avides et sans scrupules, et la situation en resterait là jusqu’à ce qu’elle soit changée par la force. D’ailleurs, sans les luttes sociales, les enfants travailleraient encore dans les mines 14 heures par jour.
Et c’est jusqu’à Robert Badinter qui incarnait toute l’hypocrisie, la bonne conscience bourgeoise, qui le révulsait. Lors d’un reportage, il le vit brandir des photos de femmes en prison, qui avaient été maquillées, embellies par Nathalie Reims. Il dit que c’était bien qu’elles soient mises en valeur, comme personnes. Mais ces femmes resteraient en prison ! Quelle lamentable Tartufferie ! En réalité, 90% de ces femmes n’ont rien à faire en prison, et il faudrait les libérer immédiatement. C’est encore et toujours une oppression de classe, et la formule de La Fontaine toujours d’actualité : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » Une femme surendettée qui va resquiller le train, voler de la nourriture et même des accessoires de beauté (et pourquoi, parce qu’elle est pauvre, devrait-elle se priver de ses moyens de séduction et de bonheur), va se trouver condamnée, quand une femme qui a une villa à Saint-Trop et une villa à Mégève grâce à un financier ou un vendeur d’armes pour mari ou pour père, n’aura pas à franchir l’illégalité, et ne sera pas inquiétée. Le livre de Jack London « Le Talon de fer » excelle dans ses développements sur ces thèmes.
Brian, comme le Ferragus de Balzac, « chef des dévorants », leader d’une société secrète constituée progressivement, éliminerait les puissants, les vrais tyrans. Il avait déjà commencé, mais il fallait attendre le bon moment pour bouleverser le système lui-même. Pour l’heure, sa violence serait infructueuse, et se retournerait contre lui-même. Il prendrait perpétuité.