Brian encaissa mal ses déboires sentimentaux. Comme dans la série Rectify, il sortait d’un long cauchemar, et il ne savait s’il y arriverait. Comment tenir le coup ? L’ami afro-américain de Holden lui dit, en apparition après sa mort, qu’il ne lui en voudrait pas s’il se sabordait. Une amitié inconditionnelle, sans jugement. C’était une des séries préférées de Brian. Il s’identifiait à Holden. Comme lui, il avait été retenu longtemps prisonnier d’un monde de violence, et il partageait sa sensibilité, son goût pour la littérature, des expériences méditatives. Et le rapport aux femmes du héros, différent et plus attentif que la plupart des hommes était aussi le sien.
Heureusement, la danse l’aidait. Une véritable catharsis. Elle lui permettait de se révéler, de trouver en lui-même une vérité, une inspiration, et il pouvait, grâce à elle, exprimer du plaisir, une souffrance extrême, de la joie, exacerber son côté masculin, ou au contraire évoluer sur un mode très féminin, exposer sa combativité, ou sa fragilité, alterner les postures et les expressions. Et cela, le yoga ou la méditation, qui avaient leurs vertus propres, ne le lui permettaient pas.
Il eut envie de se replonger dans « Martin Eden », un des chefs-d’œuvre de Jack London, un écrivain qu’il affectionnait particulièrement. Il se retrouvait dans le héros, physique, avide de savoir, critique, mal à l’aise avec les prolos, mal à l’aise avec les bourgeois, en quête de reconnaissance et d’amour, et travaillé par l’autodestruction.
Il préférait London à Conrad. Il trouvait l’écriture de Conrad trop psychologisante, et un peu molle. Et puis il avait compris que ce qui le fascinait dans la marine marchande, c’était le mythe « Lord Jim », l’image romantique et fantasmée si bien incarnée par Peter O’Toole. Peter O’Toole, voilà un acteur formidable. Brian avait remarqué que les grands acteurs masculins étaient tous rongés par des failles et avaient un aspect féminin très marqué. Brando, Delon, Depardieu, Dean, Clementi, Dewaere, Clift ont un charisme que n’ont pas Mitchum, Wayne ou Ventura. Et il faut qu’émerge une vraie souffrance. Il ne comprenait pas ce qu’on trouvait à Romain Duris, acteur insipide s’il en est. Mais Mickey Rourke, Joaquim Phoenix, ou Duvauchelle ont cette détresse, et une présence, une voix.
Et donc, O’Toole sublima le personnage de Lord Jim dans l’adaptation de Conrad par Richard Brooks. Mais ce qui attirait Brian dans les périples au long cours, ce n’était pas la mer, mais les escales, les ports, les villes de plus en plus lointaines, et les rencontres avec de belles femmes à Hanoï, Buenos Aires ou Valparaiso. C’étaient les femmes plus que la mer en fin de compte.
Plutôt que lire « Fortune », il se replongerait dans « Martin Eden » et tenterait d’y trouver un nouveau souffle, de nouvelles forces, puis, peut-être, s’immergerait-il à son tour dans la mer et s’y fondrait-il comme Martin, apaisé, fusionnant avec la nature, et s’y perdant positivement, sans plus lutter. Une belle fin.