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23 mai 2018 3 23 /05 /mai /2018 23:58

Pour se distraire, Brian regarda le film comique « Les trois frères, le retour ». Il le trouva vulgaire, violent. Un ami lui dit que le premier volet des « Trois frères » était nettement supérieur. Il le réserva à la médiathèque, puis il le regarda. Il fut consterné. Comment un film aussi minable pouvait avoir eu autant de succès ? Et aussi démago ? La violence la plus insupportable, ce n’est pas l’élimination de quelqu’un, c’est de rire de l’humiliation et de l’avilissement infligés à un être vivant, animal ou homme. Et qu’y a-t-il de drôle dans le fait de traiter une femme de salope parce qu’elle ne désire pas donner d’argent, dans le fait d’insulter et de frapper un avocat, certes incompétent, ou de rabaisser un huissier en le poussant à dire de lui-même qu’il est une « grosse merde », en le frappant et en lui mettant un slip sur la tête ! Et cette violence est censée être drôle, est plébiscitée, fait rire les gens ? Insupportable. Et même incompréhensible. Il avait hâte de se débarrasser du film, d’un film horrible, plus violent à ses yeux qu’ « Orange mécanique ». Thèse scandaleuse. Orange mécanique, il connaissait en vrai, et cette violence était pour lui beaucoup moins choquante que la TV réalité, le divertissement d’Ardisson à Coe, où l’humiliation, généralisée, était en plus censée faire rire.

 

Il lut un extrait du nouveau livre d’Edouard Louis, « Qui a tué mon père ? » dans « Lire ». Il était assez critique envers cet auteur, son style. On était très loin de Genêt. Mais l’extrait était bon, pertinent. Il était question de son père , brisé corps et âme par l’oppression sociale, les préjugés d’un milieu  prolo où il n’est pas permis de  se plaindre, de lire, d’aimer la danse, de pleurer, d’exprimer un aspect féminin. Des critiques du « masque et la plume » sur France Inter s’en moquèrent. C’était assez abject. La plupart, c’étaient de grands bourgeois qui avaient une villa à Deauville, un chalet à Mégève, qui avaient tout obtenu par piston, jamais envoyé, comme Emmanuel Carrère l’écrit sur lui-même, de CV ou de Lettres de candidature, et ils se gaussaient d’un écrivain censé découvrir l’injustice sociale. La différence, c’est que Louis l’avait vécue dans sa chair, en avait souffert, et qu’il décrivait la situation de sa famille, la déchéance de son père, et qu’il avait toutes les raisons d’être énervé contre ce système et les ordures de grands bourgeois sévissant notamment sur France Inter. Tout cela encourageait Brian dans la voie qu’il avait prise.

Le monde était violent, plus violent que lui, beaucoup plus délicat, et cette violence l’avait rendu fou et encore plus violent que le monde.

Et pourtant, il se trompait aussi quelque part, et il ne savait pas où. Il existait d’autres êtres comme lui, différents, et qu’ils soient misanthropes ou non, ils étaient sûrs d’eux-mêmes et ne souffraient pas des abjectes réactions et goûts de la foule. Il lisait « Etudes sur Tchouang-Tseu » de Jean-François Billeter. Ca l’interloquait. Il y  a chez Tchouang Tseu un éloge des gens rustres et simples qui est quelque part une idéalisation, comme des moujiks chez Tolstoï. Ca n’a rien de réel. Quand on connaît vraiment ce monde, on y trouve beaucoup de bêtise, de conformisme, de méchanceté. Les vrais ouvriers ou paysans ne sont ni plus ouverts ni plus épanouis que les bourgeois. Et les vagabonds ne sont pas libres, mais la plupart sont délabrés, psychotiques, alcooliques et drogués, détruits. Et en même temps, l’abondon du vouloir par des méthodes de transe, de méditation, d’hypnose lui semblait une piste intéressante. Quelque part, tous les efforts de Brian avaient été vains. Les milliers de livres lus, le travail exténuant, le besoin viscéral de reconnaissance, tout cela avait échoué à lui assurer sa propre reconnaissance. Il repensa à l’indispensable narcissisme de base dont tout homme a besoin pour vivre et à l’image positive de soi que les parents doivent donner à l’enfant. Sans cette assise narcissique, on passe tout son temps à essayer de l’obtenir, à conquérir le monde pour pouvoir prouver qu’on peut être aimé, parce qu’ « il faut être aimable pour être aimé » comme le serinent les mauvais parents. Il ne se trouvait pas. Or, il est écrit qu’il faut d’abord se transformer pour transformer les autres. Et peut-être s’y prenait-il mal ? Le besoin pathologique qu’il éprouvait de conformer le monde à son image pour s’en protéger exprimait une faille narcissique que des hommes et des femmes pourtant encore plus intelligents ou sensibles que lui, qui s’éloignaient davantage de l’homme moyen, ne ressentaient pas. Donc il était possible de se mouvoir au milieu de la foule, de s’en distinguer par l’esprit, sans vouloir absolument la hisser à son niveau pour se faire comprendre, pour pouvoir en être compris, commes les sages Taoïstes.

 

 Brian se trouvait laid, mais en observant, contre son habitude, les gens se déplacer dans les rues, il les trouva plus laids que lui. Ca le rassura. Il ne ressentit ni empathie ni attirance, moins que pour les chiens, et se demanda s’il n’était pas sociopathe ou psychopathe. La plupart semblait souffrir du drame d’être humain. Leurs visages exprimaient complexes, doutes et névroses. Et pour l’essentiel, ils étaient affreux, ou passables. Une misère dans la diversité, qui le choqua comme Bouddha. Une expérience très valorisante pour lui, aussi, qui le remit dans le flux de la vie. Lui qui ne supportait pas son image, putain qu’il était beau, en comparaison ! Il suffisait de se noyer dans tous ces visages, ces corps difformes, sans grâce ni intelligence, pour retrouver sa juste place, plutôt que toujours se confronter à soi-même et avoir pour seul juge la sévérité d’un implacable surmoi. Bordel, comment ces gens pouvaient se regarder dans une glace, se supporter, et s’aimer quand même ? Leurs façons de s’apprécier était totalement indépendante de critères esthétiques, mais provenaient d’une assurance solide, d’une estime ancrée très profondément, enracinée en eux dès l’enfance par l’amour inconditionnel de leurs parents. Et cela expliquait aussi pourquoi des types comme Vittorio Gassman, Mike Brandt, des acteurs et des actrices très beaux ne se supportaient pas. Alleluia !

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