Brian s’étonnait également que la perte du sexe, ne plus bander, ne préoccupait par ces baroudeurs. Ils étaient à ce point détachés de leurs corps que la mort qui le supprimait ne les effrayait pas, même pour çà. Brian, lui, tenait à ses capacités, intellectuelles, physiques, sexuelles, dont il lui faudrait bien accepter l’amoindrissement et la disparition un jour.
Le point de vue de Franceschi sur les Stoïciens était intéressant. Il louait les mérites des Grecs, dont Zénon, mais n’adhérait que peu aux Romains, Sénèque, Epictète, Marc-Aurèle, essentiellement préoccupés par la mort. Or, que pouvons-nous en dire ? Les sages chinois écrivent parfois qu’il n’y a rien d’important comme le dévoilement des décrets du Ciel, et parfois qu’on ne doit pas s’en préoccuper parce qu’on n’en peut rien savoir. Montaigne prétend parfois qu’il faut toujours avoir une pensée pour la Mort, et d’autres fois, que c’est peut-être une erreur, comme Spinoza par la suite pour qui l’homme libre ne pense rien moins qu’à la mort, et que finalement il faudrait ne jamais y songer, Les « Pensées » de Marc-Aurèle donnent l’impression d’un type s’efforçant de s’autopersuader avec des maximes auxquels il ne croyait pas. Mishima intéressait davantage Brian. Au moins était-il crédible. Se suicider jeune et offrir à la mort un corps beau et affuté, avant de décliner ! La première impression de Brian quant aux samouraïs, remontant aux alentours de ses dix/onze ans, avait trait à un guerrier en armure tiré d’un film de Kurosawa, vu dans Okapi magazine. Un mec impressionnant.
Il y avait aussi l’image, dans un livre illustré, d’un samouraï, avec la légende « ils se battent jusqu’à la mort ». Dans son esprit d’enfant, il avait compris que, même mort, le samouraï, pendant un court moment, se battait encore. Putain, quels guerriers que des types qui continuent de se battre une fois mort. Mystère ! Ca l’intriguait.
Longtemps après il y avait eu la lecture de Yoshitaka « La Pierre et le sabre », un peu l’équivalent Japonais et contemporain d’ « Au bord de l’eau » mais moins encombré par la fréquence lassante des combats.. Et puis, bien sûr, Mishima. Combien l’avait stimulé « Le Soleil et l’acier » ! Un des seuls livres, avec « Le loup des mers », auxquels il revenait régulièrement. Tous ces truands et autres membres de gangs qui se prennent pour des durs en prison, ne sont au fond que des lopettes. On leur dit de baisser leur froc, et ils obéissent, on leur fouille le cul et ils acceptent, penchés en avant, cette soumission. La plupart des aristocrates, français, allemands, anglais ou espagnols, comme les samouraïs, seraient morts au combat plutôt que déchoir de cette façon. Et si les yakusas actuels vont en prison, c’est un peu dans leur fonction, mais beaucoup de descencants de samouraïs préfèreraient encore le suicide à cette déchéance. Ce sont d’authentiques guerriers. De même, entre la mort et l’esclavage par le travail, il est plus noble, plus vertueux, plus digne de préférer s’ouvrir le ventre. La liberté au risque de la mort plus que l’asservissement, attitude partagée aussi bien par les aristocrates français que les samouraïs ou les vagabonds chinois ! Une fois la lame bien plantée, enfoncée, c’est mieux, l’espace des quelques moments encore à vivre, de ne pas regretter le geste et la vie, bien sûr. Drôle d’effet, les tripes à l’air, que de se désoler de cet acte. Mais c’est trop tard pas vrai !
Plus Brian lisait François Roustang, plus il se disait que ce type avait une force, une compréhension, un équilibre que peu de thérapeutes partageaient. Même Irvin Yalom lui semblait moins structuré, moins « assis ». Et Alice Miller lui semblait moins sereine également.