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21 août 2018 2 21 /08 /août /2018 20:40

Dans un bar, Brian rejoignit une connaissance américaine, un peintre dont l’essentiel du temps était concentré sur le jeu d’échecs, ce qui traduisait peut-être une forme de folie obsessionnelle, Ca lui évoquait « La défense Loujine » de Nabokov. L’américain lui avait demandé son avis sur un texte qu’il écrivait où il associait la peinture avec Deleuze et Bergson. Il désirait remettre du mouvement, du temps pour ainsi dire dans ce qui était figé par essence. Comment s’y prendre ? Cette fois, il lui demandait son avis sur ce que pouvait l’art contre le mal. Ils échangèrent sur ce thème quelques heures. Brian lui exposa son pessimisme structurel, sa croyance en quelques rencontres amicales bénéfiques, mais son scepticisme sur un véritable progrès moral de l’humanité. L’histoire lui donnait, O combien, raison. Il avait vu un documentaire sur Arte la veille, centré sur l’histoire d’un officier russe méconnu, Stanislas Petrov, qui avait désobéi au protocole et évité une troisième guerre mondiale et nucléaire. Cet homme, toujours vivant, pensait qu’un jour ou l’autre, une bombe serait utilisé. C’était aussi l’avis de Brian. Si avec cinq pays sur cinquante ans, on avait échappé de peu plusieurs fois à la catastrophe, à « Stalker », comment, sur cinq cent ans, l’éviter quand cinquante pays auront la bombe ? C’était peut-être ce qu’avait prévu la Nature. Elle avait tâtonné pour créer l’homme, avait tenté un essai, mais comme le propre de cette conscience réfléchie, c’était la folie, et le fait qu’elle ne se supportait pas elle-même, que la conscience de soi n’aspirait qu’à se délivrer de la conscience de soi, par tous les moyens, travail, sport, loisirs, jeux, alcool, drogue, religions, pratiques méditatives, sommeil, eh bien c’était la preuve manifeste que cette conscience réfléchie était une erreur, que la créature qui en était pourvue ne pouvait pas l’assumer, et comme en plus elle provoquait des monstruosités sur sa propre espèce et le monde, elle s’autodétruirait. Eh bien, très bien ! C’était triste pour les enfants, pour les hommes sympathiques mais ,de toute façon, tout le monde souffrait. Il suffisait de s’attabler à une terrasse de café et d’observer les gens défiler pour prendre conscience de l’affliction inhérente au fait d’être un homme. Ce n’était pas une bénédiction d’être incarné dans cette forme, comme l’écrivaient les religions, mais une malédiction.

Or, la conversation avec cet Américain dévia sur Cuba. Quel était l’avis de Brian sur Fidel Castro. L’américain lui dit que les exilés Cubains à Miami était tous liés à Batista, qu’Ochoa était, comme Trotsky, un traitre. Il défendit Lénine et Staline. Brian lui parla du compte rendu de Gide après son voyage en URSS, des dissidents emprisonnés, du Goulag, de Soljenitsyne, des Allemands de l’Est qui rêvaient de l’Ouest. Et d’un coup, son interlocuteur s’emporta, et lui dit qu’il ne désirait plus parler politique. Il s’emporta, à vrai dire, violemment. Plus jeune, Brian serait entré dans le jeu. Ca se serait envenimé, et il l’aurait cogné. Mais il était blasé de tout ça. Il se contenta de dire qu’il était surpris, étonné, qu’il trouvait la réaction de l’américain bizarre, qu’il ne s’y attendait pas. Kerouac disait que si un communiste venait le chercher, il sortirait la carabine. La conversation reprit et Brian exposa son penchant pour l’anarchisme, dans la grande tradition émancipatrice américaine. L’américain lui répondit par une citation de Marx comme quoi les anarchistes n’avaient jamais rien apporté à l’histoire. Et il se lança dans un monologue barbant. Brian aurait pu lui objecter que le penchant à l’anarchisme de Tolstoï ou que Bakounine, Thoreau ou Miller avaient plutôt apporter des choses positives aux gens, sans trop de violence, et n’avaient pas cent millions de morts sur la conscience, mais l’autre était fanatisé, et ça se serait terminé en du pancrace et un massacre d’américain. Brian se dit même que la réaction virulente de l’américain était louche, qu’il était peut-être un agent de la CIA jouant la couverture communiste avec trop de conviction et d’enthousiasme. Quoi qu’il en soit, il sentit l’adrénaline monter. Ca l’énervait, ces types optimistes sur la nature humaine, qui se prétentent ouverts, qui croient en la paix universelle, et qui, communistes, anarchistes ou libéraux ne supportent pas la contradiction, et disjonctent si l’on n’est pas d’accord avec eux, sont persuadés d’avoir toujours raison, et sont même prêts à en venir aux mains à la moindre confrontation, ces êtres qui paraissent incapables de s’inclure dans la catégorie des cons et de l’erreur potentielle. Ils s’exemptent de la bêtise, et ne semblent pas conscients du ridicule de leurs positions, défendre la possibilité de l’harmonie universelle et de la paix, mais s’emporter, ne pas se contrôler si on pense différemment. Le fait même de s’emporter est déjà un signe de maladie, de dysfonctionnement, de pathologie psychique, et inquiétant, car ces gens qui prétendent que le pouvoir ne corrompt par nécessairement montrent par leus excès qu’ils seraient les premiers à envoyer leurs contradicteurs au goulag. En réalité, ils sont sans doute même moins équilibrés que les dictateurs qu’ils défendent, et ils en seraient les pions, le servile troupeau dès qu’il le pourraient. Ce sont les pauvres gens ordinaires, incapables de pensées et de prises de risques vraiment personnelles. Encore heureux pour l’américain que Brian choisissait ses cibles avec soin, et qu’il souhaitait éviter avec force une dérive totalitaire. Mais de Batman ou de Bane, quelle direction fallait-il choisir ? Il hésitait, encore.

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