Brian, tourné vers le passé, nostalgique depuis l’enfance, pensait aux proches morts. C’était choquant, d’assister à des enterrements, puis aux enterrements des personnes présentes aux enterrements, bien vivantes alors, et ainsi de suite. Pas de doute, on y passerait tous. Souvent des événements, des impressions lui rappelaient des moments de son passé. Il songea à son vieil ami Schonberg. A chaque fois qu’il écoutait les Innocents, les Guns N' Roses, Abba ou Pink Floyd, qu’il écoutait souvent avec son ami, il se souvenait des bons moments passés, et la tristesse l’envahissait. Ce vieil ami Schonberg, compagnon de tant de luttes !
Il se rappela Clara. Cette jeune femme l’avait obnibulé et il souffrait encore de cette rencontre manquée. Mais des informations qui lui parvenaient à son propos le confortaient dans ce qu’il avait compris, un hyper narcissisme, et une grande dureté. Et lorsque Brian percevait une méchanceté bien réelle à son encontre, la volonté de l’enfoncer plus que l’élever, il était capable de ruptures définitives. Clara était ainsi devenue une ennemie à ses yeux. Par ailleurs, il vivait son Coming out Macronien. Habitué à désirer des femmes plus jeunes, il aspirait à être compris et il s’apercevait que seules des femmes plus âgées avaient le vécu suffisant pour intuitivement le comprendre, et il s’ouvrait à des femmes de 20 ou 30 ans plus que lui. Il éprouvait une reconnaissance pour leur écoute. Elles étaient à la frontière des attentions maternelles, protectrices, amicales et érotiques, et il se sentait bien en leurs compagnies.
A chaque fois qu’il repensait à ses parents, la colère le prenait. Que faire avec des êtres et sadiques et masochistes qui agissent comme s’ils cherchaient à être tués après tant de violences et manipulations ? Cherchent-ils à en finir avec un sentiment de culpabilité, ou est-ce encore une perversion morbide ? Brian se demandait souvent pourquoi les rescapés des camps semblaient s’en sortir, socialement, mieux que lui. Il pensait que l’explication se fondait dans l’amour propre, le narcissisme sain donné dans l’enfance par les parents, l’entourage. Si celui-ci est assuré, les humiliations endurées par la suite ne sapent pas les fondements de la confiance en soi, ancrée, enracinée. Mais si celle-ci manque, alors toute nouvelle épreuve, tout traumatisme vient renforcer les failles initiales, d’où des difficultés plus importantes si les bases affectives manquent (voir orphelinat roumain) même si les épreuves endurées par la suite sont bien moins violentes que celles des camps. Brian avait lu un livre, « Le sang du ciel » de Piotr Rawicz, où le narrateur, juif, racontait son enfermement avec des Polonais Chrétiens. Il servit de bouc-émissaire, et son moyen de s’en sortir fut de se taire, un silence complet pour ne pas donner prise. Or, Brian avait subi un tel lynchage par ses parents qu’il avait trouvé le même stratagème pour se protéger. Mais sa famille était en quelque sorte pire que les co détenus du « baron » car elle n’avait pas cessé de le harceler, de lui reprocher son mutisme, son attitude, de tenter des manœuvres intrusives, sapant toute distance dans le tragique d’une fusion extrême refusant toute autonomie et différence. A la lecture de ce livre, Brian compris mieux l’intensité de la violence subie.
Il pensa que s’il avait été homosexuel dans les années 20, ses parents, par souci des normes, surtout ne pas faire de vagues, l’auraient lobotomisé. Ils confondaient, comme l’écrit Aristote, l’honneur (la réputation) et la vertu. Surtout cultiver son jardin, s’écraser, être docile. « Tu n’es pas assez docile » ne cessaient-ils de lui répéter quand un excès de docilité avait tué toute intériorité en lui. Il avait été le fou de la famille, tour à tour autiste, schizophrène, dyspraxique et j’en passe, c’était sa fonction. Ils ne comprenaient même pas le sens du concept de fusion où le « qui suis-je » de la quête identitaire, trop éloignés d’eux-mêmes par la construction d’un faux self, être le gentil garçon, obéissant, la fille sage et raisonnable. « Sage comme une image » qu’ils disaient, et c’était là leur idéal, ce à quoi l’enfant devait aspirer à ressembler, être une image docile, qui devait obéir comme un cadavre, et cette conformité à un idéal désastreux du moi ne pouvait conduire qu’à la folie ou à la salutaire révolte, révolte comme issue, mais incomprise, et durement réprimée.
Un film afghan, « Wajma », lui rappela des souvenirs. Une fille afghane, qui couche avec un garçon, enfreint les traditions, et le père est extrêmement dur. Il dit à sa fille qu’elle a déshonoré la famille, il la frappe, veut la tuer, et lui dit qu’elle ne doit pas crier à cause des voisins. Or, le père de Brian n’avait que le mot honneur à la bouche. Cet imbécile se prenait pour un bandit Corse. Reconnaître ses problèmes et se faire aider était pour lui un déshonneur, et son fils avait maintes fois déshonoré la famille, et il était arrivé à Brian la même mésaventure qu’à l’afghane, son père l’ayant frappé jusqu’à ce qu’il ne dise plus « aïe », par souci des voisins et désir, volonté d’un parfait contrôle et dressage.
Comment pardonner et pourquoi ? Pardonner, comme l’écrit Alice Miller, empêche de prendre conscience de la gravité des actes subis. Et puis, la monstruosité du père, son hypocrisie, capable de grande violence mais qui voulait se réconcilier avant la nuit pour bien dormir, comme si de rien n’était, sauver son sommeil, ne pas culpabiliser, la bonne conscience Chrétienne héritée des années passées au séminaire.
Si le génie, c’est avoir des intuitions originales, des obsessions créatrices, comme l’écrit Redmond O’Hanlon dans « Atlantique Nord » à propos d’Einstein, Darwin ou Hamilton, qui permettent d’approfondir plus que quiconque un sujet, un thème, ou de dévoiler de nouvelles perspectives sur le monde, alors Brian, concentré sur ses intuitions et poussant les approches au bout, et selon divers angles, philosophiques, sociologiques, psychologiques, scientifiques, était assurément un génie.