Brian entendit à nouveau parler de Clara. Celle-ci devait quitter la ville. Elle se croyait libre, et elle fuyait. Elle errait. Mais il fut surpris par sa propre réaction, car des souvenirs, des images lui revinrent. Et il ne put dormir plusieurs nuits de suite, tant cette non relation avait été intense, et l’avait blessé. Mais la bulle avait crevé. Il la pensait désormais excessivement narcissique, et jouant la profondeur. Combien en existent-ils de ces êtres creux, superficiels, qui simulent la profondeur, mais esquivent ou fuient quand on s’en approche, pour ne pas être démasqués ? Manifestement, elle ignorait tout de la philo, de la littérature classique, de la psycho, des sciences, de la spiritualité, et elle donnait la fausse impression de s’y intéresser, et elle l’avait eu, comme ça, tout en se refusant à tout contact réel et surenchérissant sur le mystère. Elle se voulait bienveillante, se pensait bienveillante, mais dans les faits, elle n’apportait que de la souffrance pour les êtres qui l’approchaient. Avec une généralisation abusive, elle aurait discrédité à elle seule tout le Peuple coréen, que pourtant il aimait tant. Mais il se garderait de cette tendance de l’esprit humain, et maintiendrait son intérêt pour la culture Coréenne intacte.
Il continuait à danser. Il se révélait danseur né. Pour lui, c’était un plaisir, une libération, une divine façon de s’exprimer, de se manifester, et il était surpris du manque de passion des livres sur la danse, ou émanant des danseurs pro qu’il voyait dans des spectacles ou des documentaires. Il avait regardé des danseurs expliqués qu’ils ne dansaient que pour être vus. D’autres chorégraphies ne se dégageaient aucune nécessité vitale, aucune urgence. La danse n’était pas pour eux une question de vie ou de mort. Or, c’est quand il dansait seul que Brian se sentait le plus libre, le plus déchaîné, inspiré.
Il avait également assisté à un spectacle sans prétention, organisé par un collectif de migrants. Et les mouvements traditionnels d’une danseuse Arménienne, si nobles, et l’expression si poignante de la souffrance d’une Djiboutienne, l’avaient davantage ému que la virtuosité de Pietragalla.
Il pensait que toute danse était cathartique, et que cette dimension ne se concentrait pas dans la mode des «Danse médecine », « Danse de la vie », « Danse énergie ». Pour avoir approfondi un peu, par la Biodanza, le life art process, la danse des cinq rythmes ,il se méfiait même de ces mouvements qui lui semblaient un peu sectaires, mélange de théories new âge, spiritualité dévoyée, développement personnel fumeux, et pur charlatanisme. Mais il aimait les danses folkloriques, la bourrée, le style Russe, Indien, Balinais, le flamenco, le tango, et il s’en inspirait, mélangeant cela avec des mouvements issus du taiso, du yoga, des arts martiaux, et de la danse contemporaine comme la danse gaga d’Ohad Naharin. Et il se créait son propre mélange, son propre style, ses combinaisons, sa voie. Parfois même, la danse le prenait d’un coup, spontanément, sans échauffement préalable, comme un impérieux besoin le conduisant à la transe, une transe libératrice. Et ce qu’il ressentait alors, ce pouvait être proche de l’extase éprouvée par des danseurs africains « envoûtés ». On était vraiment très loin des définitions ratiocinantes et verbeuses qu’il lisait et qui lui paraissait artificielles, sans vérité, à côté de la plaque.
« Il faut attendre que le sucre fonde » écrit Bergson. C’est tout le problème, mais aussi tout l’intérêt de la vie.