Je ne sais pas quelle est l’explication la plus pertinente pour élucider le fait d’être surdoué. Peut-être y a-t-il une convergence entre différents déterminismes. Est-ce que le biologique , la complexité corporelle prime ? En tout cas, il faut un substrat suffisamment organisé pour que les propriétés spécifiques du surdoué puissent émerger. Et après ? Cette « différence » est-elle proche de la définition du génie par Sartre : « Le génie n’est pas un don, mais l’issue qu’on s’invente dans les cas désespérés, ou le désespoir surmonté à force de rigueur ». Est-ce aussi proche de l’apport psychanalytique, un détournement des pulsions érotiques vers des objets de savoir, un surinvestissement, une surcompensation qui implique une métamorphose cognitive ? Toujours est-il qu’on ne mesure pas encore à quel point il est difficile de ne pouvoir échanger qu’avec un nombre restreint de personnes sur ce que l’on aime. Certes, l’affection peut se trouver ailleurs, et j’aime être en compagnie de gens qui m’apportent autre chose, de la chaleur humaine, de l’attention et du réconfort. Je dirai même que c’est l’essentiel. Mais le constat est là. Je n’aime ni le foot, ni le bowling ou la pétanque, les jeux vidéo, les voitures ou le bricolage. J’aime, de façon même obsessionnelle, la littérature, la philo, le cinéma, les sciences humaines en général, les divers courants de spiritualité, et les sciences exactes. Et les arts martiaux, le yoga et la danse. Et, heureusement, je rencontre des hommes et des femmes qui partagent ma passion pour un, deux, ou trois de ces domaines, et avec qui je peux aller loin, m’exprimer sans frein. Mais j’ai aussi, souvent, l’impression d’être seul de mon espèce parmi la foule, et je me console à la pensée qu’il y a encore plus doué, plus obsessionnel que moi, et que ces individus, pas tous, ont pu vivre, peuvent vivre malgré tout.