Brian vivait de grands changements. Il s’aperçut que ce qui l’avait passionné pendant des années lui était devenu totalement étranger. Il avait commencé un livre de Oulitskaïa, « Daniel Stein, interprète », mais ce bouquin, l’histoire d’un juif déporté qui se convertissait et devenait moine en Israël, était truffé de discussions, controverses théologiques qui le laissaient désormais complètement indifférent, comme s’il était saturé de tout cela. Et il avait, également, laissé tomber un bouquin d’Etienne Marcel, qui avait tout pour lui plaire, l’isolement dans la montagne, le baroud en Chine et en Afrique avec un regard critique, les références au transcendantalisme américain et à ceux que ce mouvement a influencé, Whitman, Thoreau, Emerson, Henry Miller, Kerouac, Alan Watts, Gary Snider, et des références au Bouddhisme zen, au Taoïsme, tout cela avec intérêt et distance, et pourtant, il n’avait pu lire ce livre, comme s’il en avait là aussi épuisé les possibilités, qu’il n’y avait plus rien pour lui à y trouver.
Il vivait ce qu’il avait désiré vivre pendant toutes ces années de désolation, ce pourquoi il avait tenu toutes ces années. Il vivait les trois semaines qui sauvaient tout de Tolstoï, et plus que cela, et cela durait. Il s’aperçevait, aussi, qu’il serait toujours différent, aussi décalé, pas adapté au monde dans lequel il vivait. Il ne se ferait jamais à la violence, à la vulgarité, à la bêtise omniprésente. Il comprit, après ces trois semaines et plus, que c’était bon, qu’il pouvait partir, qu’il ne trouverait jamais l’apaisement. Il est impossible d’échapper à la brutalité, à la violence en ce monde, même les animaux ne font que lutter, feintent, se camouflent, trichent pour survivre, tuer, se reproduire, manger, protéger leur territoire, leur intégrité. Qui pouvait seulement garantir que mourir ne conduisait pas, dans un multivers, à un univers encore plus violent, à une vie encore plus violente ? Les Bouddhistes auraient raison. Et s’il était impossible d’échapper à la violence autrement que par une extinction définitive ? Le suicide assurerait-il cette extinction ? Brian n’en pouvait plus. Tout son harassant effort, toute sa culture n’avaient servi à rien pour trouver sa place en ce monde. L’art était impuissant à le sauver de ses démons, et l’amitié, et la philosophie, et la spiritualité, et les thérapies. Même l’amour se révélait insuffisant pour le rééquilibrer, le pacifier. Mais il avait vécu ses trois semaines et il ne pouvait plus rien espérer d’autres. Tout cela, le sens, pourquoi était-il là, pourquoi lutter, lui échappait toujours. Toujours ils souffrait. Il ne trouvait pas la paix en ce monde.