Brian, parfois, était pris de craintes irrationnelles, délires plutôt, mais pas réellement irrationnelles. Avant d’aller dans certains endroits, il craignait de perdre les mots, et d’être placé en institution pour idiots, de ne plus avoir droit à la parole, d’être traité comme un abruti, sans intériorité, à l’intériorité déniée. Or, outre qu’il l’avait été dans sa famille dysfonctionnelle, qu’il avait été réduit au silence, c’est, aussi, ce qu’il avait vécu réellement. Sa famille voulait le faire taire, l’empêcher de s’exprimer, de dire la vérité, de se confronter à leurs propres failles, et comme il le tentait, ils l’avaient étouffé, brimé. On lui reprochait son manque de docilité, on le rappelait à l’ordre san cesse, quand un excès de docilité l’avait tétanisé, rendu incapable de parler, de se lever d’une chaise en classe, de s’affirmer. On n’est pas élevé sous l’injonction « perinde ad cadaver », « obéis comme un cadavre », sans en subir les conséquences. Et, ne pouvant parler, prendre sa place, il avait été, longtemps, considéré comme inexistant par ses camarades. Il lui avait fallu s’en sortir par la violence. Mais, toujours, il ne parlait pas vraiment, et il avait, par incapacité, parce qu’on l’avait empêché de s’exprimer, de dire la vérité, été placé en institution plus jeune. Cette peur qu’il avait, c’était exactement ce qui lui était déjà arrivé, une intériorité brisée, pas prise au sérieux, niée, rentrée. Et sa famille ne reconnaissait rien. Il était, pour elle, coupable de tout. Il n’était pas assez méritant, n’avait pas fait assez d’efforts, était un cas social, n’avait jamais rien vécu de dur etc. Des murs, qui l’avaient conduit droit dans le mur. Et il était, toujours, mû par un désespoir atroce, des pulsions auto-destructrices, et destructrices.
Il avait entendu dire par frère Tang, qui le tenait de Chao, que le monstre s’amusait sur Paris, que les chinois étaient eux-mêmes surpris de son efficacité. Il voulait le rejoindre, aider la communauté, et, dans un suprême dégoût de l’humanité, torturer le plus d’ordures possible.
Le regard de l’autre, quand il était fixé sur lui, intrusif, évaluateur, lui était insupportable, intolérable. Sa famille en était l’origine, qui ne l’avait jamais regardé vraiment, regard qui absorbaitsans distance, qui rejetait comme étranger, mais qui ne le regardait pas comme différent, comme quelqu’un d’autre, avec ses besoins propres, son irréductible identité, son propre cheminement, regard qui lui faisait violence, paroles qui lui faisaient violence, sans aucune empathie, dans une sorte de fusion destructrice d’autonomie, annihilatrice. Et tout ceci était nié, parce qu’ils ne pouvaient s’en rendre compte, parce qu’ils s’épaulaient, se confortaient dans leurs folies, leurs évitements, leurs dénégations, leurs systèmes psychotiques, leur rationalisation perverse. Tout était faux en eux, construit sur des mensonges, sur la négation de la vie.