Brian en avait marre. Il rencontra, enfin, une femme, avec qui il put se livrer, et vivre des aventures, puis d’autres femmes. Il parcourut la campagne, s’ouvrit à de nouvelles pratiques, musées, concerts classiques, chambres d’hôtes. Mais ses doutes, son malaise persistait. Mais, jamais, il ne rattraperait le temps perdu. Sa jeunesse avait été d’une violence extrême, et il n’avait pu vivre les rencontres amicales, amoureuses, érotiques indispensables. Et ça, c’était foutu, pour sa vie unique, jamais il ne pourrait le vivre, et donc ce serait pour l’éternité, foutu. Jamais il ne vivrait d’amour adolescent. Et puis ses genoux étaient si abîmés, ses mains aussi. Les nerfs étaient détruits. Il était monté à Paris, finalement, avec Chao, pour aider les Chinois, mais ceux-ci, en quelques mois, s’étaient si rapidement organisés qu’ils n’avaient plus besoin d’aide. Lui en avait besoin, au sommet de son arbre, attaché, incapable de s’envoler, de se délivrer. Schopenhauer écrit que la misère du monde est partout, impossible d’y échapper. Brian s’était dit qu’à Paris, il trouverait peut-être, dans l’anonymat, sa place. Mais, au cinquième étage d’un immeuble de la rue Olivier Metra, où il logeait avec Chao, il se sentit si seul. La vie n’avait pas de sens, les religions n’étaient que des stratagèmes sélectionnés par l’évolution pour que l’intelligence de l’homme ne se retourne pas contre lui-même, mais ses artifices ne fonctionnaient pas pour tous les hommes, et, trop lucide, il s’apercevait, de plus en plus, qu’il serait toujours seul, partout, qu’il ne parviendrait jamais à être reconnu pour ce qu’il était, à être vu. Il avait des millions de choses à partager, pourtant, mais c’était aussi trop à supporter, cette force, et désir d’expression, cette urgence. Il ne serait jamais vraiment compris, ni aimé. Tous ses malheurs provenaient de ce manque d’amour initial, de cette négation de ses aspirations, de cette intrusion perverse, de cette docilité inhibitrice imposée. Et tout ceci l’avait tellement tordu qu’il lui était impossible de coïncider avec lui-même, de savoir qui il était, et de s’apaiser. Il y avait donc toute cette haine de lui-même, ses doutes sur ses qualités, son asociabilité, ses images d’agression violentes qui, parfois, défilaient en son esprit pendant des heures, sans s’arrêter.
Alors, il arriva une chose étrange. Il avait développé une phobie avec le temps, un vertige qui entravait ses déplacements. Il ne pouvait, par exemple, se mettre sur un balcon placé à une certaine hauteur, ou franchir des ponts configurés sans échappatoire. Mais il ressentit l’abandon de ses peurs, soudainement. Il s’aperçut qu’il n’avait plus peur. Il n’avait plus peur, parce qu’il allait sauter.