On ne mesure pas assez l'importance de la biologie, de l'implication de cette science, dans la philosophie, la sociologie, l'économie politique, et dans toutes les productions culturelles de l'homme en général !
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On a amalgamé les théories Darwiniennes avec le Darwinisme social, l'ultra-libéralisme censé être la version sociale de la sélection naturelle, et,en y ajoutant les théories très univoquess des Wilson et Dawkins ( la sociobiologie ), on a prétendu en discréditer tous les rapports avec les sciences humaines.
C'est pourquoi les Adorno, Lacan, Sartre ont stigmatisé toute la dimension pulsionnelle, incarnée de la psychanalyse. Ils ont prétendu que rattacher la liberté humaine au corps biologique était chosifier, substantifier, réifier, essentialiser l'homme. Or, l'oeuvre de Freud est justement intéressante, et quoi qu'on en dise, pour son vocabulaire physiologique, sa dimension énergétique. C'est ce qui la rend tellement plus concrète, plus réelle que les obscurs séminaires de Lacan, ou bien les développement interminables de Sartre pour concilier le déterminisme marxiste des situations matérielles avec la liberté de l'existentialisme, liberté que Sartre voulait sauver à tout prix.
C'est comme si Sartre avait été un obsessionnel , qui aurait eu le besoin de fonder rationnellement la croyance en la liberté, croyance qui lui permettait de vivre.
De même, nombre de logiciens cherchent à fonder rationnellement les critères de la certitude, et semblent ne pouvoir vivre apaisés avant de s'être rassurés par leur raisonnement.
Sartre était un philosophe qui avait besoin de la liberté, qui y rattachait toutes choses, et qui n'avait de cesse de tenter de la faire émerger, ou de la faire apparaître, dès qu'il le pouvait. Toute son oeuvre était orientée selon sa névrose.
Rien de tel chez Freud, et c'est pourquoi il est tellement plus convaincant, et pourquoi aussi le caractère réformateur ou révolutionnaire de ses vues était tempéré par le fait qu'il cherchait en quelque sorte indépendamment de ses névroses.
C'est-à-dire que les choses se tiennent d'elles-mêmes dans l'oeuvre de Freud, avec des corrections, des changements de direction, des évolutions progressives, qui ne mettent pas en cause Freud lui-même.
Sartre, au contraire, et ce malgré la pertinence de nombre de ses vues, semble incarné la névrose dans toute sa splendeur, voire même, comme Lacan à mon avis, la "tendance psychotique propre à un certain philosopher".
En effet, Sartre avait sa croyance protectrice, la liberté, et toute sa vie il a tenté d'y subsumer, d'y accorder ou de réfuter toutes les données éventuellement contraires ( le marxisme, le structuralisme, la psychanalyse ), comme si la fin de l'illusion du libre-arbitre des hommes, et donc de sa propre illusion aurait entraînée un effondrement psychique qu'inconsciemment, il sentait inévitable, mais qui ne l'était pas.
Ce compromis psychique l'a rendu hystérique et excessivement violent, et l'a empêché de se libérer véritablement de ses obsessions. Comme un théologien, il avait son Dieu posé au commencement, et il n'a pensé qu'en fonction de ce Dieu.
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D'une part on sous-estime l'importance du corps. Je suis ce que je suis par tout un ensemble d'événements, mais ce qui me détermine en premier, c'est mon corps, et son activité. Un chien est d'abord un corps de chien, et un homme un corps d'homme, organisé de telle manière qu'il permet l'émergence de propriétés, de qualités propres à l'homme.
Et je suis tel homme parce que j'ai d'abord tel corps, c'est-à-dire doué d'un ensemble de particularités qui déterminent mon psychisme, la vitesse à laquelle je pense, mes émotions, mes humeurs, etc toutes choses qui peuvent évoluer selon les circonstances, mais dans le sens ou ces circonstances affectent mon corps, le modifient.
D'autre part, on sous-estime l'aspect animal de l'homme. L'homme est un être vivant doué de raison qui cherche, comme les autres animaux, à se conserver, à se reproduire, à transmettre ses connaissances, à s'exprimer selon ce que lui permet son corps. La raison ne sert qu'à optimiser les stratégies d'épanouissement, mais le fondement, c'est l'instinct animal de survie.
Il suffit de constater quelles sont nos réactions lorsque nous étouffons, après avoir mangés trop promptement. Si perspicace que nous soyons, la pensée s'efface alors, et toutes nos aptitudes nous paraissent spontanément bien risibles sur le moment.
Toute notre attention est tendue sur l'instant, et sans pensées, angoissés, nous ne pensons qu'à une seule chose : survivre ! C'est le cas pour toutes les situations similaires, ou nous sommes confrontés à la mort.
Je pense que trop de philosophes ont voulu écarter ce côté biologisant, et c'est pourquoi ils n'ont pas compris l'enracinement biologique de l'échec des révolutions.
On peut dire que les révolutionnaires ont abusé du pouvoir. Mais c'est en un sens inévitable, car ce sont des hommes, pas des machines. Si on dit que c'est à cause de leur volonté de puissance, qu'il faudrait combattre, on ne résoud rien, car l'existence de cette volonté est incontestable, elle est naturelle donc indépassable.
Tout au plus peut-on essayer de modifier les structures sociales de façon à ce que toutes les volontés de puissance puissent cohabiter avec le moins de dégâts possibles, et ainsi s'harmoniser, et s'affirmer.
Freud s'illusionnait moins sur la nature de l'homme que les révolutionnaires marxistes ou les anarchistes.
Je pense qu'un auteur comme Bourdieu était moins naïf que ses prédecesseurs.
Pour dévoiler l'asservissement social, il emploie les termes de stratégies de reproduction, de domination, de lutte pour le pouvoir, et il décèle cette "struggle for life" partout, ce qui, malgré un aspect parfois paranoïaque, n'escamote pas les problèmes inhérents au principe de réalité.
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Un autre problème, que je voudrais étayer, c'est le rapport éventuel entre le conformisme et la biologie.
Et si certaines normes et valeurs, certaines tendances, s'enracinaient dans une nécessité d'ordre biologique ?
Comment comprendre que le conformisme domine dans tous les milieux, ( y compris dans les milieux "critiques" : sociologie, philosophie, scientifique )?
Pourquoi la pensée unique est-elle si pregnante que celui qui s'en écarte risque l'exclusion, l'ostracisme, voire le lynchage ?
Est-ce parce que l'homme est avant tout un animal de meute ( Freud )?
Est-ce parce que sa plus grande crainte, c'est la solitude, plus que la castration, ce qui implique que l'homme, non seulement n'exprime pas tout ce qu'il dit, mais encore qu'il s'auto-censure inconsciemment, c'est-à-dire, q'il se met des oeillères, s'interdit de penser différemment du groupe auquel il appartient pour conserver son confort de vie ( Eric Fromm ) ?
Ou est-ce dû au processus mimétique comme fondement des sociétés humaines ( René Girard ) ou au principe d'imitation qui en règle le cours ( Gabriel Tarde ) ?
En fait, il se pourrait qu'à notre insu, la survie de l'espèce humaine obéisse à des conventions, des automatismes, des anticipations spontanées d'interactions, et même des stéréotypes, que l'on ne cesse de critiquer, et qui reviennent sans cesse.
Mais pourquoi reviennent-ils toujours, et parfois renforcés ?
Par exemple, pourquoi, après des périoses de féminisation des hommes, on assiste à un retour caricatural des types?
Le jeu de rôle imposé par la société qui oblige l'homme et la femme à se conformer à des types répond-il à une différenciation nécessaire des sexes ?
On prétend que l'identité sexuelle est en partie façonnée par les normes sociales. Mais on ne s'interroge pas sur les raisons qui font qu'à la femme a été associée telle ou telle attitude, et à l'homme telle attitude opposée. Pourquoi cela s'est fait ainsi, et pas à l'inverse par exemple ?
Après tout, "jouer à la femme" convient peut-être mieux à la femme que "jouer à l'homme", et "jouer à l'homme" est-il peut-être plus adapté à la morphologie masculine que lorsque les hommes empruntent des poses féminines.
Si on apprend à l'enfant de sexe féminin à s'occuper de maisons de poupée, c'est parce que la femme est naturellement irremplacable pour ce rôle ( elle développe des hormones spécifiques pour ce rôle ). Il suffit d'observer la manière dont la majorité des femmes regardent les bébés, et les embrassent, comme fascinées. Je n'ai jamais vu d'hommes fusionner de cette façon.
Et si on apprend aux garçons à vaincre leur peur, ce n'est pas seulement pour obéir aux stéréotypes machos, c'est aussi parce que la vie masculine exige un genre d'extériorisation, une audace, qui ne peuvent se développer si on les inhibe trop.
La catégorisation des genres est universelle et perdure depuis des millénaires, et elle serait due au seul hasard, ou au seul arbitraire des conventions sociales ?
Et pourquoi le handycap, ou la vieillesse sont-ils rédhibitoires pour plaire ? Comme Albert Cohen l'avait vu, il suffit que le partenaire ait une simple dent cassée pour que l'attirance cesse, mais qu'est-ce qui rend cette dent si précieuse ? Est-ce l'incorporation de normes sociales détachées de tout motif biologique, ou celle d'un d'impératif biologique inconscient et régulateur, ou l'un et l'autre, les attirances propres aux membres d' une société étant plus ou moins accordées à la nature, nature prodiguant plus ou moins de champ aux possibilités humaines ? En tout cas, je ne pense pas qu'on puisse complètement couper le social du naturel, contrairement à tout un pan de la pensée contemporaine.
Pour finir, Sartre pouvait gloser indéfiniment sur la liberté, il n'en restait pas moins attaché à séduire les jeunes filles fascinées. Comme quoi, "chassez la nature, elle revient au galop". Sa philosophie non essentialiste était pur artifice comparé aux exigences pulsionnelles enracinées dans le corps !