Mes aspirations littéraires sont éminemment évolutives. J'ai des phases pendant lesquelles je suis obsédé par un auteur en particulier.
Je vis la même chose pour la philo et le cinéma.
Par exemple, j'ai été un moment fasciné par Fellini, par Pasolini, par Visconti, par Eisenstein, par Tarkowski, par Bresson tour à tour ou successivement.
Mais, lorsque la phase de découverte et d'euphorie impliquée par la renaissance à moi-même prend fin, je conserve en mémoire ce que ces oeuvres m'ont apporté mais je n'y reviens plus, soit que je pense en avoir épuisé le suc, soit que je les envisage comme des réponses à mes besoins spécifiques d'antan, soit que je désire conserver intacte la première impression et que je craigne la déception.
En philosophie, j'ai eu une période Kantienne. J'analysais toute ma vie en fonction de critères Kantiens. Je cherchais à savoir si elle était conforme aux divers impératifs, et à l'y contraindre le cas échéant.
J'ai eu une période Schopenhauerienne, Bergsonienne, Teilhardienne, Sartrienne, Freudienne.
Mais je n'éprouve plus le besoin ni l'envie de m'y replonger, comme si j'y avais consacré suffisamment de temps et d'énergie pour les avoir assimilés et dépassés oserai-je dire, en en découvrant les failles.
En littérature, j'ai eu des périodes concentrées sur Balzac, sur London, sur Proust, sur Montherlant, sur Wilde, sur Genêt, sur Céline, sur Dostoievski, sur Fante, ce qui ne signifie pas que je ne me nourrissais pas ailleurs, mais qu'ils étaient des Pôles majeurs, des références autour de quoi tout tournait.
Certains m'occupèrent l'esprit de façon obsessionnelle pendant plusieurs mois ( Montherlant, Fante, Genêt ), d'autres plusieurs années ( Balzac, Proust, Dostoievski, Céline ), mais quand mes centres d'intérêt changent, et lorsque mes obsessions décroissent, mon attirance pour l'oeuvre des auteurs qui les partageaient suit cette évolution, et en même temps mon regard critique ose évaluer ce que je sacralisais et pour lesquels j'étais même prêt à faire autrefois le "coup de poing", tant j'étais immature et intolérant.
Le plus choquant pour ainsi dire, ce sont mes opinions sur Proust et Dostoievski, qui furent vraiment intouchables pour moi, même si j'ai pensé tôt que Proust l'emportait car ses thèmes sont universels, tandis qu'il faut être un peu spécial et obnubilé par la chute, la rédemption, la complexité torturée des personnages par exemple, pour pénétrer Dosto.
Mais je ne peux replonger ni dans l'un, ni dans l'autre, ni dans Céline d'ailleurs.
Quelque chose m'en empêche, une impression, une intuition, comme si je sentais d'instinct, biologiquement quelque part, que j'y avais suffisamment participé et que pour moi la vie était désormais ailleurs.