Psychanalyse, psychiatrie actuelle et thérapies cognitivo-comportementalistes(TCC).
Nous assistons à une offensive très violente qui vise à discréditer la psychanalyse, de la part d’un courant qui nous vient des Etats-Unis, le cognitivo-comportementalisme. Comme son nom l’indique, il est censé être une synthèse des sciences cognitives et des théories comportementales de type Behaviouriste, Pavlovienne, se réduisant en un sommaire circuit d’action-réaction. Il s’agit de considérer le symptôme comme un simple trouble sans signification, à éradiquer.
Or, pour la psychanalyse, le symptôme à sa place, sa fonction, et il ne sert à rien de forcer l’individu à le supprimer brutalement, car s’il disparaît effectivement, il reparaîtra sous d’autres formes tout aussi invalidantes, n’étant pas la source des maux du patient, et donc son effacement forcé n’apportera pas d’amélioration globale de la situation du patient.
Le torturer à affronter une phobie directement par exemple, sans se soucier de ses antécédents, son rôle, ce qu’elle peut servir à masquer, solution complexe mais qui finit par générer des problèmes plus conséquents que celui ou ceux qu’elle a primitivement et partiellement réglés de la sorte, ce ne peut être qu’une réponse superficielle, et elle ne touchera pas à l’essentiel de la problématique du sujet.
Et puis, il est aisé de classer les individus par catégorie en procédant par généralisation abusive, avec prescription de tels médicaments, et tels exercices pour chaque groupe, avec seulement des variations d’intensité selon les individus et leurs réactions au traitement, mais la psychanalyse, même si elle a ses catégories (névrose d’abandon, d’échec, de transfert, obsessionnelle…) respecte l’individualité du sujet, son unicité, son parcours particulier. Elle ne réduit pas l’individu au concept.
Paraphrasant Bergson, on pourrait dire que l’individu est plus que la somme de ses névroses, qu’il faut donc traiter chaque patient au cas par cas, et que le sujet n’est pas réductible à sa maladie.
La façon de procéder des cognitivo-comportementalistes est proprement normative, adaptative, et ils ne s’interrogent jamais sur ses présupposés, sur le bien-fondé, la légitimité du modèle auquel ils tentent de conformer leurs patients. Il leur faut rendre tout individu aussi performant que possible dans le cadre de la société actuelle, à savoir une société basée sur la compétition, les rapports de force, l’homogénéisation des pratiques culturelles, et l’absence forcée de toute remise en cause de cette façon de vivre. Dans son idéal, tous les individus doivent se ressembler, être mesurés, suivre le mouvement imposé, et elle condamnerait presque –elle le fait à mots couverts- l’originalité comme pathologie nuisible et à supprimer. Ses tenants favorisent donc une propension au totalitarisme inquiétante. Or il est notoire que les psychiatres ont souvent servi de caution aux régimes en place, quels qu’ils soient, et qu’ils ont servi de garde-chiourme au pouvoir, annihilant la crédibilité des critiques en les classant comme malades mentaux, comme fous, en les plaçant en institution psychiatrique, voire en les lobotomisant, opération criminelle que les adeptes des TCC essaient de réimplanter sous le nom plus commode de psychochirurgie – où comment rendre définitivement conformes, voire complètement débiles, des patients par la force pure.
Toute autre est la démarche psychanalytique, d’essence individualiste. Il s’agit d’aider l’individu à se libérer de ses « démons », sans altérer par l’absorption de psychotropes et autres neuroleptiques son énergie libidinale, ses capacités en leur ensemble, tout en considérant les efforts nécessaires de conciliation avec le principe de réalité qui seuls permettront la réalisation effective, non fantasmée , de ses désirs reconnus authentiquement comme les siens. C’est pourquoi tous les totalitarismes ont combattu la psychanalyse, car leurs meneurs savaient que sa démarche de libération foncièrement individualiste constituait un péril pour la perpétuation de l’uniformité, de l’homogénéisation impersonnelle qu’ils s’efforçaient d’imposer.
Cette démarche de réappropriation de son désir et donc de la conduite de sa vie, que la cure psychanalytique, l’analyse se propose de donner ou de restituer à l’analysé, ne peut conduire à penser que la collectivité n’intéresse pas la psychanalyse, qui voisinerait alors avec l’anarchisme de droite. Car les progrès de la collectivité sont justement intéressés par le progrès et la libération des individus qui la composent. La maîtrise de sa propre vie, puisqu’elle n’est plus fantasmée, apprend à l’individu à faire face aux obstacles réels, concrets, avec lesquels nous devons tous apprendre à composer pour devenir vraiment autonomes et épanouis.
Il ne s’agit donc pas d’outrepasser ses droits, et de faire fi d’un certain nombre d’obligations imposées, d’exclure le sentiment d’appartenance et de gratitude à une communauté qui nous fait vivre, nous nourrit et nous protège, dont l’existence nous précède. Mais cette recherche du bien commun n’interdit pas la critique et la volonté de mener sa barque librement, en dépit d’aliénations et d’imperfections parfois gravissimes, caractéristiques de la société particulière dans laquelle nous sommes situés.
Dans la perspective de discréditer la psychanalyse, les partisans des TCC font valoir la nécessité d’une évaluation des diverses méthodes, théories et pratiques, pour l’amélioration de l’état du patient, de la levée de ses impossibilités, car ils prétendent que l’évaluation établira clairement que leur approche est plus efficace.
Le problème, c’est que le but de la psychanalyse et des TCC n’est pas le même, et que les grilles chargées d’évaluer, de mesurer les résultats obtenus sont toutes à l’avantage de ces dernières. En effet, il est logique que le fait d’affronter directement un symptôme présenté comme un trouble, par exemple une phobie, va agir plus rapidement sur le symptôme, que ne pas forcer les choses et approfondir l’état général, le parcours du patient. Dans la perspective psychanalytique, les symptômes disparaîtront d’eux-mêmes quand ils n’auront plus de raisons d’être, donc naturellement, accompagnant le processus général de guérison. Par définition, puisque la façon de procéder dans l’analyse exclut de confronter le patient à la situation pathogène de manière trop abrupte en considérant qu’elle n’est qu’une conséquence et pas la clé du problème, qu’il est donc inutile de faire souffrir le patient par cette confrontation, les progrès quant à l’amoindrissement de l’irritabilité à cette situation pathogène seront moins rapides qu’une stratégie qui vise principalement à cette diminution, misant sur la tendance naturelle de l’émotion à décroître progressivement au bout d’un laps de temps calculable scientifiquement. Seulement cette disparition progressive et forcée de l’angoisse face à la situation pathogène ne prouve nullement que le patient ait réglé le fond de ses problèmes, et qu’il ait le sentiment de redevenir le maître de sa vie, l’auteur conscient des orientations qu’il pourrait lui faire prendre s’il s’était vraiment libéré de ses névroses.
Or, cette libération du patient, certes moins rapide, plus laborieuse que l’atténuation de la souffrance occasionnée par la tentative de soulagement du seul symptôme, est infiniment plus riche de sens, plus valeureuse, plus émancipatrice que l’espèce de conditionnement réductionniste auquel astreignent les TCC. Il s’agit davantage, dans la psychanalyse, de déconditionnement que de conditionnement, de déprogrammation que de programmation, bref de liberté retrouvée. Et il est aisé de comprendre que ce but nettement plus fécond dérange un certain type de pouvoir, qui désirerait des éléments dociles, conformistes, peu aptes à la critique, et rapidement adaptables pour remplir des tâches parfois sans intérêts, même véritablement aliénantes. La psychanalyse, désinhibant progressivement l’intelligence du patient, lui permet, en outre, de développer une vision lucide sur les travers de la société dans laquelle il est immergé, et d’en émerger un peu. Le cognitivo-comportementalisme colle à cent pour cent aux exigences parfois absurdes de cette société. Il ne permet pas aux patients de changer leur vie en profondeur, et d’améliorer rétroactivement cette société par leur contestation constructrice.
Dans le sillage des TCC, il a été question, avec la manie des abréviations de la part des cognitivo-comportementalistes, après les TOC, « Troubles Obsessionnels Compulsifs » se substituant à la richesse et à la complexité de la névrose obsessionnelle, des TOP, « Troubles avec Opposition », censés cataloguer et stigmatiser tout enfant et adolescent doué de plus de virulence que la moyenne, voire de plus d’esprit critique et d’à propos.
Or, on réduit ces troubles à une pathologie constitutive, sans chercher à en comprendre la genèse, les explications éventuelles, liées à l’environnement par exemple.
Dans cette perspective, la solution est simple. Orientation précoce, voire dès l’âge de trois ans –comment peut-on juger un individu sur la base de ce qu’il a produit à trois ans, l’y réduire, y circonscrire ses possibilités futures ?- apprentissage, métiers manuels, déni de ses éventuelles capacités ou aptitudes diverses sous prétexte qu’elles sont momentanément perturbées, parasitées, hors d’usage, envoi dans des instituts spécialisés, anciennement Instituts de « rééducation » (IR) - où la parole des « rééduqués » n’était pas des plus aisée à faire entendre, il était difficile d’y être pris au sérieux- nouvellement rebaptisés Instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques (ITER), cela passe mieux.
Et puis, des pressions sont exercées pour qualifier de handicapés ces enfants présentant des troubles psychiques ou comportementaux sans altérations fondamentales de leur capacité intellectuelle, si ce n’est son dysfonctionnement passager du fait de leur situation et de leur problématique existentielle propre.
Cette qualification de handicapé, véritable ostracisation qui ne correspond pas aux qualités de l’enfant, peut être désirée, en plus du désir de classification rapide, arbitraire, et peu scrupuleux des détails des instances dirigeantes, par la famille, à des fins financières, de reconnaissance sociale de leurs problèmes, bref pour leur faciliter la vie.
Elle est par contre terriblement destructrice pour l’enfant, l’adolescent, qui, doutant déjà avec la plus grande violence de lui-même, peu assuré dans son identité et ses possibilités, sur la défensive, risque de perdre définitivement pied, de sombrer dans un mépris de lui-même sans bornes puisque rejeté par l’autorité -ceux qui ont l’autorité, ceux qu’elle investie de suffisamment de pertinence dans le jugement pour statuer, décider de qui il est, le placer dans telle ou telle catégorie- dans les pas normaux, les irrémédiablement hors-normes, les sans espoirs pour personne.
Cette réduction infondée de ses capacités lui ôte toute perpective de crédibilité, de légitimité.
On limite son être même à la réification de ses seuls symptômes et on dénie la possibilité de son irréductible et inattendue créativité
On empêche même toute chance à l’originalité d’advenir par manque d’écoute des vrais besoins et surdosages médicamenteux.
Or, ces problèmes s’expliquent, et la psychanalyse dispose d’un matériau considérable pour cela.
Mais au lieu de poursuivre en cette voie, le pouvoir persiste et signe. Les firmes pharmaceutiques l’emportent donc
Qui n’est conscient pourtant des risques que comporte la manie de classer ces enfants et adolescents aux comportement difficiles, comme porteurs de troubles quasiment admis comme constitutifs de leur personne, dont seule la camisole chimique pourrait venir à bout ?
Et puis, reprenons notre questionnement sur les « Troubles avec Opposition ». Les autorités n’admettront-elles bientôt pas d’opposition sans troubles afférents, concomitants, c’est-à-dire ne toléreront-elles l’opposition que comme médicalisée, comme phénomène pathologique à supprimer, dans le sillage des totalitarismes.
Dès que quelqu’un s’oppose un peu, trop –un peu, c’est toujours trop- (ex Julien Coupat), on le décrédibilise, malgré la pertinence de ses propos, et on laisse faire, on favorise même les Bernard Tapie et les Dassault qui empochent leurs milliards, détruisent le monde et pillent les contribuables.
Quelle abomination !