Je critique constamment Sartre. Je pense que d'un point de vue romanesque, il manque quelque chose aux "Chemins de la liberte", de la vie.
Ses tentatives de synthese philosophique entre determinisme des situations ( marxisme ) et liberte ( existentialisme en l'occurence ) n'ont jamais ete satisfaisantes, et donnent l'impression aue Sartre avait besoin psychologiquement de la croyance en la liberte, une idole. C'est ce qui pour lui remplacerait Dieu. Ils sont nombreux les philosophes a avoir besoin d'idoles et a faire comme si. On retrouve cette faille dans la formule "l'existence precede l'essence", qu'il pose comme un fait pour l'homme mais qu'il est incapable de demontrer.
L'homme est libre parce qu'il est homme et homme parce qu'il est libre.
Mais l'homme est homme parce qu'il a un corps d'homme, et c'est ce corps, cet arrangement particulier de matiere qui le fait homme et non chien par exemple, et tel ou tel homme ( puisque les bouleversements dus a l'influence du milieu influent sur le psychisme en tant que le corps est d'abord affecte et modifie ).
Il faudrait donc expliquer en quoi on peut faire surgir de l'esprit, du pour soi, de la liberte, de l'autodetermination a partir du monisme materialisme, comment le corps et la matiere peuvents-ils produire quelque chose qui les deborde et se libere de ses conditions de possibilite.
Sartre l'a tente mais il s'y est tres mal pris par prejuge de philosophe et d'humaniste. On retrouve ce type d'erreur chez Simone de Beauvoir : "on ne nait pas femme, on le devient !" Je pense qu'ils ont nie l'importance de la nature en nous, du biologique, de Darwin, le fait que nous comprenons le monde par exemple, parce que nous sommes du monde, nous en procedons, et que notre cerveau, notre corps sont structures selon des lois universelles. L'homme n'est pas hors du monde, maitre et possesseur de la nature. Il appartient au regne animal. Les philosophes et leurs lubies s'enferment dans un monde conceptuel et artificiel qui les rassure, a coups de monde des idees, de "tu dois donc tu peux", de dialectique anthropocentrique, et Sartre, tout contestataire qu'il fut, n'a pas su comprendre les apports de Freud, de Nietzsche, de Darwin par exemple. C'etait un moraliste de faible envergure quelque part.
Et sa posture ( qui lui etait besoin/ideologie ) l'a pousse a affirmer des positions indefendables. Il a ainsi, avec sa compagne, sacrifie des amities : "tous les anti-communistes sont des chiens", et prone le terrorisme ( il estimait que le massacre de n'importe quel pied-noir, en tant que participant du colonialisme et de l'oppression, etait justifie ). Ses obsessions Cartesiennes l'ont empeche de comprendre l'apport majeur de la psychanalyse, l'existence positive de l'inconscient et ses implications revolutionnaires et deresponsabilisantes, par dela le Bien et le Mal.
Il n'a pas compris qu'on passait a un stade de comprehension avancee ou il n'y avait plus ni salaud d'un cote ni juste de l'autre, mais un enchainement causal et une interaction incroyablement complexe qui decouvraient les veritables motifs, et qu'avec les apports de beaucoup d'autres, Spinoza comme precurseur, Marx, Schopenhauer, Nietzsche, Claude Levy Strauss ensuite, Freud annoncait le passage a une ere de civilisation superieure et y contribuait largement.
Ceci dit, on entend souvent la formule de l'epoque "il etait preferable d'avoir tort avec Sartre que raison avec Aron" pour decredibiliser Sartre, en pretendant qu'il etait "tendance" mais qu'il s'est trompe sur tout.
Mais en fait Sartre a aussi souvent raison.
Il a ete un tournant pour moi, il m'a reveille de mon "sommeil dogmatique".
J'ai redecouvert Hegel, Husserl, Marx, Kierkeegard, Descartes, le surrealisme, l'anti-psychiatrie grace a lui.
Il y a pour moi un avant et un apres Sartre, le passage de la droite a la gauche aussi ( quoique j'en ai contre la gauche ).
Sartre est un merveilleux styliste. Il reussit a etre profond et energique, vivifiant. Il a le sens de la formule. Ca porte et c'est tellement rare de lire un philosophe qui ne soit pas ennuyeux, qui n'endorme pas !
Et meme si je ne suis pas d'accord avec ses definitions du genie, bien trop volontaires a mes yeux, elle devait au moins s'appliquer a lui, pour une part :
"Le genie est l'issue que l'on s'invente dans les cas desesperes"
"Le genie est le desespoir surmonte a force de rigueur"
Quelques ecrits marquants pour moi :
-"Les Mots"
-"Question de methode"
-"Situations" ( notamment : Qu'est-ce qu'un intellectuel? ; Materialisme et revolution )
-Prefaces aux "Damnes de la Terre" et a " Aden Arabie"
-"Qu'est-ce que la litterature"?
Pour conclure, c'est a partir de la revelation Sartrienne que j'ai vraiment decouvert l'anti-psychiatrie, dont les leaders etaient Sartriens ( Ronald Laing, David Cooper ) puis la psychanalyse par l'intermediaire d'un eclairage interessant de Pontalis qui exposait les failles de l'antipsychiatrie et de la reflexion Sartrienne sur l'oeuvre de Freud. Et c'est la voie qui m'est encore la plus proche ( quoique j'en ai contre la psychanalyse )!