Qu'est-ce qui l'emporte dans et pour la psychanalyse ? Son aspect normatif ou libérateur ?
S'il est vrai que Freud s'est distingué par la remise en cause de préjugés populaires et savants ( critique des religions, des supertitions, d'une société trop répressive donc nocive ; mise en évidence du fonctionnement commun, mais plus ou moins adapté au milieu, des névrosés et des gens sains, qui implique que les personnes dites équilibrées peuvent aussi bien s'effondrer ; absence de condamnations morale des "perversions", qui sont le résultat d'un processus, d'un enchaînement causal ; mise à jour de la sexualité infantile, et de son rôle fondamental ; existence et fonction de l'inconscient ; complexe d'oedipe et ses conséquences ), il reste que la psychanalyse comporte de nombreux aspects normatifs, et qu'elle est désormais bien souvent taxée de réactionnaire, ce qui peut sembler étonnant tant elle est parue "révolutionnaire" à ses débuts ( voir sa réception par les surréalistes ).
Sur quoi se fonde t elle, ( surtout Freud en l'occurence ), pour justifier son conformisme ?
C'est ce que nous allons analyser maintenant.
Tout d'abord, Freud n'est pas un anarchiste. Il ne pense pas que l'homme soit un être "naturellement" bon, ni d'ailleurs mauvais. Il le conçoit comme un animal conscient, doué de raison, mais mu avant tout par des pulsions, une énergie, donc essentiellement et primitivement narcissique.
L'homme est caractérisé par un égoïsme social, une sorte 'd'associable sociabilité" comme dirait Kant, et il lui faut donc apprendre à intégrer les moeurs et manières de son milieu, à intérioriser les taboux en vigueur dans l'environnement dont il devra maîtriser les codes, sous peine de sanction, d'ostracisme ( comme l'a développé Eric Fromm, la plus grande peur de l'homme, c'est la solitude, et il est tellement conditonné par sa communauté qu'il s'interdit de dire, mais aussi de penser tout ce qui va à l'encontre, pour se maintenir dans une position confortable ; de cette peur résulte l'esprit si borné de la plupart des individus ) .
Le principe de plaisir doit être limité par le principe de réalité. C'est d'ailleurs la seule façon pour l'individu de parvenir à ses fins, d'apprendre à composer avec le réel. Il lui faut apprendre la médiation, sans quoi il ne pourra jamais parvenir à s'adapter, avec des compromis satisfaisants à la clé.
Une première norme est donc inévitable.
L'individu est obligé de s'accomoder des conditions objectives d'existence de sa communauté. Elle peut ne pas le satisfaire. Il peut vouloir la modifier, et son effort pour en changer les règles peut être suffisamment justifié, fondé, pour être légitime.
Mais rien à faire, ce sera toujours à l'individu de se plier aux règles préexistantes et imposées. Quelques soient la société qui le précède, l'individu aura toujours un effort à faire, une assimilation forcée des codes structurant sa communauté à réaliser !
La critique de ce qui nous paraît comme des imperfections est cependant bienvenue.
Freud n'a cessé de s'y livrer. Et les implications de ses théories pourraient suffire, si elles finissaient par imprégner notre société, à en bouleverser la plupart des orientations, éthiques, économiques, pénales etc
Dans "L'avenir d'une illusion", par exemple, Freud a montré que la religion était une névrose universelle de l'humanité, qui dispensait les individus des névroses individuelles, mais inhibait considérablement leur intelligence.
Elle ne structurerait pas irréversiblement le psychisme humain si on lui substituait, dès le plus jeune âge, des connaissances plus rationnelles, comme des principes scientifiques.
Dans "Malaise dans la civilisation", il explique que le degré d'intériorisation des taboux, donc de répression des instincts et de de la frustration, est proportionnel aux progrès et raffinements de la civilisation. Par conséquent, il importe que les compensations à ce sacrifice libidinal constant soient étendues à la majorité des hommes, et non plus réservées à une élité.
Si ces compensations ne sont pas assurées, la révolte du Peuple est légitime.
Si la norme comme socle, comme forme universelle de l'expérience humaine, n'est pas dépassable, son contenu particulier l'est !
Dans les "3 théories de la sexualité", Freud dévoile le mécanisme des perversions. Stigmatiser certaines pratiques sexuelles comme perverses, déviantes, c'est les situer en rapport à une norme, une référence sur laquelle se modeler.
Cependant, Freud a été, là aussi, complètement novateur, en ce qu'il a établi, scientifiquement, l'origine de ces déviances, le pourquoi et le comment de la fixation libidinale sur un certain type de "choix d'objet". Et, en démontrant que nous étions tous des "pervers polymorphes" dans la prime enfance, c'est-à-dire que la sexualité de tous les hommes se portait sur tous types d'objet, il a tenté de faire comprendre que les pervers étaient des hommes comme les autres, dont l'évolution psychique et sexuelle avait été entravée, s'était figée à un certain moment de son développement, de son processus d'autonomisation.
D'où une déculpabilisation morale. Il a ramené à une explication rationnelle, ce qui était perçu comme relevant du diable, du démoniaque, du mal absolu.
Evidemment, c'est toujours révolutionnaire, puisque cela n'a pas été intégré par notre société pour qui il existe une sorte de "mal absolu", pratique pour se décharger de ses maux internes sur des boucs émissaires, en se masquant le fait que s'ils s'agissaient de "monstres naturels", comme le clame la presse people pour exciter les mégères, il ne pourrait s'agir de les enfermer que pour la prévention, mais qu'ils ne sauraient être tenus pour responsables de leur nature.
Et s'il ne s'agit pas de "nature", ils peuvent encore changer, alors...
C'est pourtant sur le caractère normatif de la sexualité chez Freud que se cristallisent les critiques actuels. Mais en fait, ce rejet de Freud ne vise pas la stigmatisation de toutes les perversions, mais seulement de celles qui ont fini par être "reconnues" socialement, qui se veulent tout autant acceptables que la norme établie, qui prétendent accéder aux mêmes prérogatives, être elles-mêmes la norme en quelque sorte, une partie constitutive de la norme, et non plus une pathologie par définition extérieure à la norme.
Les "perversions" acceptables, qui donc ne s'appréhendent plus comme des perversions, ou des transgressions, ce sont l'homosexualité, le fétichisme, le sado masochisme et autres échangismes etc
Ne sont pas admises les perversions plus minoritaires comme la pédophilie, la zoophilie, la nécrophilie, sans doute parce que leurs pratiquants sont plus minoritaires encore, et ne peuvent revendiquer leurs goûts. Mais les homosexuels, qui ont lutté pour que leurs penchants sortent de la stigmatisation, se préoccupent-ils du sort des "exclus" les plus pervers? Nullement.
Il semble qu'ils les considèrent désormais comme à la périphérie de norme qu'ils se sont efforcés de rejoindre. Mais rien n'indique que les choses n'évolueront pas encore, et que ce qui est rejeté comme étant des vices monstrueux actuellement, ce qui était le cas de l'homosexualité il y a peu, ne sera pas intégré dans la norme future.
Or, quelle est la position de Freud sur ces problèmes?
Pourquoi est-il si violemment rejeté par les homosexuels?
Parce qu'il ne reconnaît que l'hétérosexualité, c'est-à-dire la fixation de la sexualité sur les zones génitales du sexe opposé, comme norme !
Tout ce qui s'en écarte, à l'âge adulte, est pour lui une perversion, c'est-à-dire une fixation libidinale qui entrave le développement considéré comme sain de la sexualité.
C'est ainsi qu'il juge tout ce qui a trait au comportement sexuel non hétéro, comme relevant du même plan, celui des perversions. Celles-ci varient par contre en fonction de la fixation libidinale et psychique des individus, elle-même liée à leurs histoires.
Il ne s'agit pas de chercher à les éradiquer d'un coup puisqu'elles font symptômes, et ont donc leur fonction. Mais elles n'ent demeurent pas moins des problèmes auxquels il faut remédier, des pathologies. D'où l'ire des "déviants".
Sur quels critères se fondent Freud pour établir un tel diagnostic ?
S'il définit les perversions par rapport à une norme, pourquoi celle-ci devrait être l'hétéro-sexualité ?
En fait, Freud est influencé par Darwin.
Pour lui, la vie tend à se perpétuer, se transmettre. La finalité naturelle de la sexualité, c'est d'enfanter. Et c'est parce qu'il estime que la vie n'est pas une simple recherche de "résolution des tensions", qui mène à la mort, résolution définitive de toutes les tensions, mais qu'elle vaut la peine d'être vécue ( le but de la cure est de redonner le goût de la vie au patient par une évolution de plus en plus satisfaisante des compromis ), que Freud n'aboutit pas aux conclusions de Schopenhauer.
Pour Schopenhauer, le but à atteindre est la "négation du vouloir vivre" , vouloir vivre qui nous empoisonne. Donc, subvertir la finalité naturelle de la sexualité, qui est la perpétuation de la vie et du vouloir-vivre, est une bonne chose. Cela nous permet de contourner le piège, de rompre l'enchaînement auquel nous destinait la nature.
Puisque, sur la valeur de la vie, les postulats de Freud diffèrent, il ne s'agit plus pour l'homme d'aller à contre courant.
Les pulsions de vie doivent triompher des pulsions de mort même si l'extériorisation, le "décentrement" libidinal est entreprise ardue, et risquée.
Notre intérêt individuel et celui de l'espèce convergent, et ce n'est même qu'en sacrifiant à la logique de l'espèce qu'on y trouve individuellement son compte, pleine satisfaction.
Pour Freud, la logique de l'espèce implique que ce n'est qu'en participant à sa transmission, qu'on développe toutes ses virtualités personnelles, qu'on accède à la maturité. Même si elle n'est pas une condition suffisante, elle est pour Freud indépassable.
Une perversion est donc telle, parce qu'elle est contre nature pour Freud, et la norme sociale, pour être légitime, doit copier la nature, aller dans son sens.
C'est le tribut que l'homme doit payer à la nature qui garantit son équilibre. Et c'est d'autant plus vrai qu'il associe chaque névrose, chaque pathologie mentale à une fixation, ou une régression libidinale, association qui a par ailleurs été contestée par de nombreux psychanalystes ( Jung ).
C'est aussi parce que la vie vaut la peine, que l'homme doit s'interdire la régression infantile et fusionnelle.
La vie, ses exigences, sont dures. Elles réclament la lutte, "struggle for life". Et l'immaturité psychique n'est pas le meilleur moyen d'y satisfaire. D'où la nécessité de résister à la tentation de la régression, de refuser le cloisonnement et la répétition, et de privilégier l'indispensable prise de risque, la confrontation avec la nouveauté. Aller de l'avant.
Enfin, la norme n'est pas nécessairement répressive. La notion de "surcompensation artistique" par exemple, incite à lâcher du lest sur la sublimation, l'équilibre psychique ne pouvant fairel 'économie de la chair.