30 décembre 2009
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L'histoire de la découverte de Fante par Bukowski est assez connue. Il en a lui-même fait mention.
Plus ou moins désespéré, et désoeuvré, il se réfugia dans une bibliothèque publique et enchaîna la lecture de nombreux livres, dans différents domaines.
Lorsqu'enfin, il tomba sur Fante, ce fut pour lui une révélation, comme il le dit lui-même :
"Un jour j'ai sorti un livre et c'était ça. Je restai planté un moment, lisant et comme un homme qui a trouvé de l'or à la décharge publique. J'ai posé le livre sur la table, les phrases filaient facilement à travers les pages comme un courant. Chaque ligne avait sa propre énergie et était suivie d'une semblable et la vraie substance de chaque ligne donnait sa forme à la page, une sensation de quelque chose sculpté dans le texte. Voilà enfin un homme qui n'avait pas peur de l'émotion. L'humour et la douleur mélangés avec une superble simplicité. Le début du livre était un gigantesque miracle pour moi. J'avais une carte de la Bibliothèque. Je sortis le livre et l'emportai dans ma chambre. Je me couchai sur mon lit et le lus. Et je compris bien avant de le terminer qu'il y avait là un homme qui avait changé l'écriture.
Le livre était "Demande à la poussière" et l'auteur, John Fante. Il allait toute ma vie m'influencer dans mon travail. je terminai "Demande à la poussière" et cherchai d'autres Fante à la bibliothèque. J'en trouvai "Le vin de la jeunesse" et "Bandini". Ils étaient du même calibre, écrits avec les tripes et le coeur [...]"
On trouve de nombreuses correspondances entre Fante et Bukowski, mais aussi, à mes yeux, une différence fondamentale.
Tous les deux vécurent une enfance assez difficile ( pauvreté, donc exclusion de la vie facile, où tout va de soi ; réflexion à partir de cela, sentiment d'exclusion ) .
Ils avaient la passion du baseball, enchaînèrent les petits boulots minables, vivaient des relations complexes avec les femmes, partageaient le fantasme de l'écrivain, et le désir de s'en sortir par l'écriture, donc la conscience que la littérature était le mode d'expression qui leur correspondait le mieux, par lequel ils pourraient donner forme au meilleur d'eux-mêmes, le sortir et le communiquer, donc exister par ce moyen.
Il existe aussi des spécificités qui différencient les deux auteurs.
L'enfance de Buk a été plus rude. Son père le battait, sa mère était indifférente à son sort.
Fante, lui, était aimé par sa famille, et l'aimait.
Les deux écrivains souffraient de plusieurs complexes :
-Tous les deux furent élevés dans une famille pauvre. Chez Fante, cela se compliquait du fait qu'il était rital, donc catholique. Du coup, il fantasmait sur les "wasp", d'origine anglo-saxonne et protestante
-Les tâches de rousseur de Fante lui déplaisaient. Rien à voir cependant avec les furoncles de Buk, apparemment épouvantables, qui empoisonnèrent longuement ses relations amoureuses et sexuelles.
L'éducation catholique de Fante a sans doute contribué à façonner son surmoi, ce qui lui a évité les écueils de Buk, à savoir une complaisance dans le trash ( alcool, baise, bagarre) assez répétitive et lassante à la longue.
L'humour est omniprésent et léger, enlevé chez Fante, lourd et pesant, noir chez Buk.
Malgré des tendances communes entre les deux auteurs, la tonalité entière de leurs oeuvres respectives diverge donc.
L'impression qui se dégage de Buk, c'est le dégoût. C'est subjectif bien sûr, mais il ne me pousse pas à aimer la vie. Il en prend le côté sombre, qui est bien réel, mais, comme Céline, que le côté sombre, ce qui est tout de même partial, orienté. Même le burlesque y est fondamentalement déprimant.
La vision qu'il nous transmet des petits boulots alimentaires ingrats, par exemple, n'est pas dénuée de vérité. Mais heureusement, ils ne s'y résument pas.
Les femmes qu'il met en scène sont toutes plus ou moins dégénérées.
L'épitathe de Buk, c'est, je crois, "n'essaie pas". injonction contraire à la nature d'ailleurs, à laquelle évidemment il ne s'est pas tenu.
Bien lui en a pris car, finalement, il a réussi, et je ne pense pas au fond, qu'il ait été réellement mécontent de la reconnaissance acquise, qui lui apportait entre autres tout l'argent, le confort et les femmes dont il avait le besoin !
Fante, c'est le contraire. Il me donne envie de vivre. Il est léger, fantasque, toujours soutenu par l'énivrant désir d'être écrivain, qu'il narre sur le mode humoristique. Il s'accroche, plein d'espoir. Ses femmes ont de la grâce. La tendresse, le sentiment, l'amour n'y sont jamais totalement séparés de la sexualité. Il insuffle de l'énergie, un élan à ses lecteurs.
Il m'est un esprit frère
"Bandini", son seul roman écrit à la troisième personne, est, je trouve, le moins réussi.
Le "je" lui était indispensable, pour plus d'humanité.
Grâce éternelle soit rendue à Buk pour les efforts qu'il exerça à la promotion de l'oeuvre de Fante. Ils n'auront pas été vains.
Conclusion : Essaie !