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1 mai 2018 2 01 /05 /mai /2018 21:03

Brian repensa à la valorisation de l’homme par l’homme, l’humanisme. Etonnant quand même, parce qu’à y regarder de plus près, l’homme est, de loin, la pire espèce sur Terre, tout à la fois pour les centaines de millions d’animaux qu’il tue, qu’il asservit à des fins utilitaires ou domestiques, et pour ses semblables. Observe t-on dans la nature plus effroyable attitude que l’homme qui, avec force canons, épées, nucléaires, instruments de torture divers, tue et mutile par millions sa propre espèce ? Oui, comme l’écrit Nietszche, l’homme doit être dépassé, ou, selon Brian, disparaître, car il est bel et bien le poison qui corrompt et avilit, dégrade, détruit toute noblesse, toute forme de vie, tout élan sauvage, spontané et libre. Il est l’ennemi à combattre. Seigneur Jedi par ses compétences physiques et intellectuelles, Brian était passé du côté obscur, au service des Sith. Il voulait faire évoluer l’espèce sous un autre mode, ou anéantir une forme qu’il détestait telle quelle. D’ailleurs, Pasolini aussi bien que Mishima pouvaient être envisagés comme des seigneurs Sith. Et l’exigence du Tatenokaï, la Société du bouclier, la véritable aristocratie, Brian désirait la revivifier. Tout plutôt que cette société du spectacle affligeante et bruyante. Une dictature imposant des références culturelles élevées valait mieux que cette démocratie dévoyée, sans vitalité et sans idéal.

Jamais les mots de Tocqueville n’avaient sonné plus juste. « Je voudrais prévoir sous quels maux nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde. Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes afin de se procurer de petits et vils plaisirs dont ils emplissent leur âme ».

 

Le pire, chez l’homme, c’est la bonne conscience avec laquelle il commet les crimes les plus morbides. Autour de lui, bien plus que pour n’importe quel animal, ne transpirent que destruction du psychisme, amoindrissement d’autrui, empiètement sur l’intégrité corporel et spirituel. Il fallait être fort pour résister à tout cela, et en ressortir pas trop brisé.

Et l’esprit moutonnier, conventionnel, qui rendait les hommes, philosophes et scientifiques inclus, incapables, dans leur majorité, de toute vraie contestation, de toute désobéissance civile. Désespérant !

C’était sans doute trop tard pour faire évoluer la situation globale des hommes, englués dans un entrelacs sans issue, les privant de toute expression personnelle, trop occupés par les spectacles infantilisants qu’on leur proposait. C’en devenait tellement débile qu’on en arrivait à un point de rupture nécessaire. Toutes ces émissions populaires, ces téléfilms idiots devaient être interdits, leurs animateurs sanctionnés, et les décideurs supprimés. Il fallait inverser les valeurs. Les hommes étaient actuellement persécutés en proportion de leur différence. Plus ils étaient originaux, critiques, philosophes, préoccupés d’emplir leur vie d’activités épanouissantes, plus on les stigmatisait. Il n’y en avait plus, pour tout secteur, que pour les commerciaux décérébrés, conditionnés pour la TV réalité, le foot et Koh Lanta, Taxi et Fast and Furious, Coe et Hanouna, toute cette bouffonnerie insupportable et permanente inondant télé, radio, net et réseaux sociaux.

Putain, la guerre ! Pasolini et Henry Miller triomphant, et le reste au goulag. On y travaillait.

Et en même temps, Brian se savait plongé dans le côté sombre de l’existence, et qu’un aspect plus clair existait pour d’autres, qu’il percevait parfois lui-même. Idées noires et paranoïa qui s’enracinaient dans l’enfance, impossibles à extirper !

Et ce n’est pas avec le Monstre, et deux tueurs expérimentés qu’il allait extirper le mal et se réconcilier avec le monde. Il dérivait. Existait-il des guides pacifiés ? Dominique en était peut-être un, mais il n’avait été possible pour Brian de ne connaître que cet homme. Ca ne lui suffisait pas. Sa haine et sa colère le détruisaient.

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29 avril 2018 7 29 /04 /avril /2018 21:35

 

Il revit Véronique, trop satisfaite de sa situation pour s’ouvrir à de la nouveauté, et, alors qu’il avait laissé le Cosmos librement décider, et qu’il pensait qu’il ne la croiserait plus, il apprit qu’une occasion se présentait pour recroiser Maria.

 

Il finit « Martin Eden », et sa lecture l’exténua. C’était bon, beau et désespéré. Il y avait trop de similitudes avec sa vie. L’effort harassant pour s’arracher à sa condition, l’inépuisable curiosité intellectuelle en philosophie, littérature, sciences humaines, l’intérêt tout spécial pour la biologie et la théorie de l’évolution, la fierté d’avoir, d’être un corps exceptionnel, l’idéalisation de la femme dont il peinait à se relever, le mépris de sa famille pour ses dons, le seul à croire en ses capacités, la critique du travail abrutissant, le besoin vital d’écrire, les bagarres qui l’avaient enfermé dans  un rôle, la déception et la désillusion confronté au monde étudiant qu’il avait paré de qualités exceptionnelles tant il en avait été éloigné, ou bien la médiocrité, le conformisme, hormis exception, des grands bourgeois, des notables et des professeurs d’université, incapables de pensées originales et qui n’apportent strictement rien au monde, l’accablement, l’épuisement, après tant d’efforts infructueux, et la tentation d’en finir, le désir de ne plus penser à rien, l’aspiration au repos…

 

Seule la gloire à laquelle était parvenu Martin lui manquait, mais, comme dans le livre, et comme Kerouac l’écrit à la fin de « Vanité de Duluoz », au fond « tout ça n’a servi à rien. »

 

Brian s’était reconnu dans le colossal effort de Martin, et comme lui, il était exténué, et aspirait au repos intellectuel, l’esprit saturé par des millions d’idées, de théories. Et cette tentation de plonger dans l’Océan, et de s’y fondre, apaisé,  ne plus rien avoir à penser, à prouver, travaillait Brian. A quoi bon ? Comme l’écrit Sartre, « le génie n’est pas un don mais l’issue qu’on s’invente dans les cas désespérés, ou le désespoir surmonté à force de rigueur », Mais à quel prix se paie ce surmontement. A cotôyer les abîmes et la folie, ou à plonger carrément dedans !

 

Au fond, le vrai monstre c’était lui. Il ne savait rien de la vie ordinaire des hommes, rien du bonheur. Il en avait été tenu éloigné dès la prime enfance par ses parents, et revenir dans la course, dans le flux plus ou moins habituel lui semblait impossible. La voie criminelle qu’il avait choisie confirmait cette irréversibilité de parcours.

 

Le danger, à éliminer des ordures avérées, c’était d’anticiper et de se débarrasser d’ordures potentielles, et finalement, poussant toujours plus loin la quête de pureté, de vices en vices combattus, on en arrivait à tuer quasiment tout le monde, et on se transformait en impitoyable dictateur, en ordure soi-même, et on finissait, comme Saddam ou Kadhafi, par se faire éliminer à son tour par une autre ordure. Etait-ce si important ? L’essentiel, c’était de donner un sens, ou une direction à sa vie. Combattre la société du spectacle, si vulgaire et abêtissante qu’elle dégradait l’homme dans sa dignité, pouvait être un bon motif d’action. Certes, toute révolte, comme l’écrit Laborit dans « Eloge de la fuite », est récupérée et à nouveau soumise à la domination, et à la corruption, mais il est bon que des hommes se révoltent aussi, que s’emportent des Hugo, Zola, Thoreau, que l’on s’insurge contre les prisons, la lobotomie, la psychiatrie, les innombrables injustices et les stupides et hégémoniques préjugés de la foule. Et comme l’homme irrationnel de Woody Allen, comme Marx l’y incitait aussi, ou pourquoi par Fight Club, Brian désirait mettre ses idées en pratique, et réaliser par des actes violents comme l’amorce d’une révolution possible. Comme le dit Gandhi, apôtre de la résolution pacifique des conflits, « s’il n’y a d’autre choix qu’entre la violence et la lâcheté, je préfère encore la violence ».

Aidé de trois hommes dangereux, il se débarrasserait de Jolloré, puis d’un autre puissant, et encore d’un autre, et peut-être, il ne s’arrêterait plus, et comme les dictateurs fous, finirait-il, dans la paranoïa, par tuer ses amis, par tuer tout le monde, et las animaux, qui sont très violents, également, ou bien, comprenant que la violence est inhérente au fait de vivre, finirait-il, comme les bouddhistes, par condamner la vie, et alors soit se tuerait, soit se retirerait du monde, soit s’accommoderait de cette guerre perpétuelle. Impossible de savoir. La seule certitude, c’est qu’il désirait combattre, et extérioriser le bouillonnement intérieur qui, d’une façon ou d’une autre, le rattachait à l’aventure Malouine, spirituelle, intellectuelle, guerrière, commerciale ou voyageuse, en tout cas radicale, illustrée par Chateaubriand, Surcouf, Duguay Trouin, Jacques Cartier, Maupertuis ou La Mettrie, et il se sentait prêt à reprendre le flambeau.

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22 avril 2018 7 22 /04 /avril /2018 22:25

 

En creusant les danses thérapies, Brian s’aperçut que pour lui, toute danse était cathartique. Les danses de salon, les danses traditionnelles, la danse contemporaine étaient aussi libératrices que les danses façonnées dans le but spécifique de guérir. Il suffisait de danser pour se trouver et se libérer.

 

Relisant Martin Eden, Brian se dit que même si nombre de thèses de Bourdieu étaient pertinentes, il était prisonnier d’une espèce de paranoïa où il voyait de la domination et de la compétition partout, comme si le seul moteur de l’action humaine, c’était la dictinction. On peut fréquenter des musées par goût réel pour les musées, apprécier Proust sans snobisme, et connaître les codes culturels, savoir que Tolstoï ou Mann sont mieux côtés que London, et exprimer sans honte sa préférence pour London.

 

Il repensa à Clara. Il vit sur son blog qu’elle aimait la nature, appréciait Keats, avait fait une formation de danse « life art process » dans le sillage d’Anne Halprin. Bordel, lui aussi aimait la nature, il avait emprunté un doc sur Halprin, et il aurait pu lui parler du film de Jane Campion sur Keats, qu’il avait vu à « La Fontaine des Eaux », sur un auteur dont il avait visité la maison à Londres. Elle était incompréhensible. Il avait retenté une approche et elle l’avait jeté. Pas la moindre chance ! Incompréhensible. Elle resterait un mystère pour lui, et elle était si fermée qu’il ne désirait même plus l’élucider. Elle avait rejeté sa proposition d’amitié, d’échange, de conversation, tout. Cette froideur, dureté, indifférence, insensibilité confinait à de la cruauté. Elle connaissait les bons plans en danse, elle n’avait même pas pris la peine de lui écrire dix lignes pour l’orienter. Quel mépris ! Il ne pardonnerait pas sa violence. Brian aussi savait être dur, et implacable, quand il le fallait. Va te faire foutre Clara, pour ta dureté sans égale ! A bien y réfléchir, c’était une bourgeoise qui ne connaissait rien à la spiritualité, ni à la philosophie, ni à la littérature. Finalement, c’est lui qui la méprisait maintenant. L’idée lui était même venue que son inaccessibilité était la source de son intérêt grandissant, sans cesse réactivé par un motif quelconque, et qu’elle lui rappelait inconsciemment sa mère par son ambiguïté, l’ambivalence de ses signes. Peut-être cette dureté méprisante l’avait-il attiré parce qu’il pensait qu’il y avait du bon en elle, et espérait la fléchir en ce sens. Dans ce cas, il lui fallait considérablement évoluer sur les plans psychologiques, émotionnels et spirituels. Elle avait gagné. Elle s’était débarrassée de lui. Et il la détestait. Fini, terminé. Rupture violente. Adieu Clara. Il était enfin débarrassé de ce spectre cruel qui l’empoisonnait depuis quatre mois. Elle était en définitive toxique, plus monstrueuse que le « Monstre ». Une femme impitoyable, trop méprisable pour être digne d’être une ennemie. Ni amie ni ennemie, du quelconque !

 

Enfin, il fallait  reprendre l’action, monter une équipe pour buter Jolloré. Maharo ne serait pas disponible pour le coup. Mais Brian aurait le « Monstre » avec lui, et deux types aux parcours tourmentés, tous deux abîmés par de longs séjours en prison, et efficaces. Un espagnol, ancien de la légion, puis mercenaire, longtemps enfermé dans des endroits sordides en Afrique, amateur de littérature, et un indonésien, ancien trafiquant d’armes et de substances diverses, qui lui avait appris les bases du silat. Deux bons guerriers et un mutant. Et lui, un putain de génie, au centre ! Ca allait pouvoir se faire.

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28 mars 2018 3 28 /03 /mars /2018 00:11

 

En attendant le moment de buter Jolloré, Brian continuait à danser. Il avait un projet de danse solo. Il voulait montrer de façon esthétique et belle son évolution des arts martiaux durs et destructeurs, synthèse personnelle entre shotokan, kyokushin et divers apports, à une pratique martiale apaisée et harmonieuse, préservant agresseur et agressé, et enfin à la pure joie de danser. De la danse de mort, il passerait à la danse de la vie. Puis il terminerait par un seppuku qu’il ne parviendrait pas à aboutir. C’était de l’histoire vécue. Il l’avait tenté avec un cran d’arrêt, adolescent, dans un moment de désespoir. Mais c’était contre nature, et il avait échoué. Il désirait montrer que la dureté conduit au désespoir et à l’effondrement, et le manifester par une alternance entre le maitien trop rigide et droit et l’écroulement. Puis il se redresserait, et trouverait l’équilibre.

Seul Brian pouvait faire vivre cette histoire. Personne d’autre. Et personne d’autre ne pouvait bouger comme lui.

 

L’idée, c’était donc de « danser sa vie », d’exprimer sa vie. On était en plein concept de danse contemporaine. Il avait découvert les fondements de la mutation moderne avec les innovation de François Delsarte, pour qui le corps entier doit être mobilisé pour l’expression. Ainsi, les mouvements corporels traduisent l’état intérieur, et l’influencent en retrour. Ce précurseur français méconnu eut un rôle pour le développement de la danse en Amérique, grâce notamment à son disciple Steele Mc Kay, qui créa une méthode, les « harmonic gymnastics »

Puis, il y eut l’immense Isadora Duncan, dont la vie fut tragique et passionnante. Elle voulut réconcilier, contre les artifices de l’académisme, le corps et l’âme par des mouvements naturels. Elle s’inspira également beaucoup de la Grèce antique.

« Je suis venue en Europe pour provoquer une renaissance de la religion par la danse, pour exprimer la beauté et la sainteté du corps humain par le mouvement. »

Puis Ruth Dennis, influencée par Geneviève Stebbins, combina le delsartisme avec l’inspirante Duncan et y ajouta une technique rigoureuse et une pratique méditative. Danser était pour elle un acte spirituel.

 

Ces découvertes progressives exaltaient Brian. Il voyait s’ouvrir devant lui de nouvelles perspectives. La pratique quotidienne le réconciliait avec lui-même. Les stages et ateliers lui permettaient de s’initier à de nouvelles techniques, et de rencontrer des hommes et des femmes différents des pratiquants d’arts martiaux. Et comme il était d’un naturel bouillonnant, pressé, il avait du mal à contenir sont excitation.

 

Lors d’un échauffement collectif de Jumpstyle, avec La Horde, il réalisa les exercices proposés, assez physiques, à côté d’une délégation d’étudiants et d’enseignants coréens. Il remarqua de très jolies jeunes filles, mais elles se ressemblaient toutes par leur beauté, indistinctes, et comme le narrateur de « La Recherche », elles n’étaient pour lui que des jeunes filles en fleur, et son attention disposait de trop peu de temps pour s’attacher à une figure en particulier.

Il remarqua quelques coréennes plus âgées. De l’une d’elles, grande et mince, se dégageait une profonde intelligence, et elle était pourvue d’une souplesse remarquable dont Brian se demanda si elle provenait du yoga, ou d’un art traditionnel coréen.

Mais son attention fut surtout accaparée par une petite coréenne, jeune encore bien que plus âgée que les étudiantes, sans doute une enseignante, ou un personnel de l’encadrement, qui était placée à quelque distance devant lui, à sa droite, moins belle mais douée de plus de charme, dynamique, généreuse et qui amusait Brian. Ils se regardèrent. Il eut l’impression qu’elle l’avait remarqué. Elle se déplaça et se mit juste derrière lui, seule. Elle le regarda et lui fit un signe d’encouragement et de sollicitude sur un geste ardu. Il lui montra de la connivence. Puis l’échauffement prit fin. Brian ne sut que faire. Elle s’était un peu isolée, les mains sur les hanches. Il resta sans bouger, indécis. Comment l’aborder avec le groupe Coréen resté très proche ? Finalement, il mit son manteau sur ses épaules, prit son sac et se changea dans les toilettes de la Maison des Etudiants. Puis il se dit qu’il avait merdé. Avait-il fui ? Il aurait du rester un peu plus longtemps, et la regarder plus longuement, car elle lui plaisait. Et elle l’avait distrait quelque temps de son attachement excessif pour Clara, française d’origine coréenne qu’il avait cru d’abord d’origine chinoise. Il n’y avait pas que Clara, c’était rassurant, même si la probabilité d’une nouvelle rencontre avec la petite coréenne était bien faible. Bon sang, quel tropisme pour les Coréennes tout de même ! Comme s’il partageait une âme commune avec ce Peuple. Il irait peut-être vivre en Corée, et si les choses tournaient mal, et qu’une bombe lui tombât sur la tête, il se dit qu’il mourrait volontiers avec les Coréens, au sein d’une patrie aimée et désirée. Et pourquoi pas ?

Il ne comprenait toujours pas les résistances de Clara. Elle était, se rendait inaccessible. Et il se demandait si elle ne contribuait pas par ce procédé à stimuler son intérêt. Quoi qu’il en soit, elle restait ferme et résolue dans son refus de le voir. C’était dingue parce que tant de femmes cherchaient sa compagnie, sa conversation, mais il fallait se rendre à l’évidence. Sans être indifférente, pourtant elle le fuyait.

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23 janvier 2017 1 23 /01 /janvier /2017 21:58

Dès qu’il le pouvait, Brian lisait. Sa puissance de pensée était considérable. Il était de ces exceptions qui, tel Balzac, London ou Henry Miller, ont une curiosité intellectuelle, une avidité de savoir hors norme, pathologique, et capables de synthétiser les informations accumulées. Il ne pouvait jamais vraiment communiquer car il était toujours au-delà. S’il partait de considérations sur Proust par exemple, il pouvait faire le lien avec Dostoïevski, avec des tendances de la littérature américaine, rattachant tout cela à Sartre, Kierkegaard ou Hegel, et renchérir sur la théorie de l’évolution. Et il avait creusé ainsi en pleins de domaines.
Sur Proust par exemple, il ne s’était pas arrêté à « La Recherche » mais s’était aussi plongé dans « Contre Sainte-Beuve », et les commentaires de Rivière, Deleuze, Gaetan Picon, « l’espace Proustien » de Georges Poulet, ce qui l’amenait à comparer Proust à Bergson, et ainsi de suite. Wilde et ses pièces peu connues comme « Vera ou les nihilistes », Gontcharov et son « Oblomov », Katanzakis, Powys, Harry Martinson n’avaient pas de secrets pour lui. Et tant d’autres. La même chose pour la psychanalyse, les différents courants de spiritualité comme l’Hindouisme, le Bouddhisme, le Taoïsme. Il en savait là-dessus comme un spécialiste. Un VIP comme Alan Watts n’en savait pas le centième. Il était devenu une sorte de monstre, si avancé dans la pensée qu’il en était devenu inadapté, perdu au milieu des conversations ordinaires, évoluant dans des sphères distinctes.

Il relisait, depuis peu, quelques classiques qui l’avaient marqué plus jeune. Ainsi, « Le Portrait de Dorian Gray », qu’il avait trouvé si spirituel adolescent, l’avait cruellement déçu, lui avait paru artificiel et peu profond. « La Peau de Chagrin » contenait des passages nettement plus convaincants, brillants, émouvants, mais empli d’un aspect un peu dépassé, peut-être lié aux convictions politiques et religieuses de Balzac qui apportent une certaine lourdeur à son extraordinaire génie. « Jacques le fataliste » avait perdu tout son charme, car celui-ci résidait en une certaine nouveauté de pensée, et il avait lu Spinoza depuis sa première lecture, qui le surpassait et en ôtait toute la substance et l’intérêt. Il comprenait différemment « Le Temps retrouvé », car, ayant lui-même vieilli, il vivait maintenant ce qui ne lui était alors que concept. Le livre était dur, tranchant, exigeait un bon moral, car il disposait d’un potentiel dépressif non négligeable. Mais la révélation, ce fut à la relecture du « Voyage au bout de la Nuit » qu’il l’éprouva. Il voulut surligner tous les passages qui se démarquaient, mais prit conscience que c’était pratiquement tout le livre qu’il aurait fallu surligner. Il y avait là une violence, une subversion, une pensée, un style, une tendresse extraordinaire, incomparable même. Des rapprochements avec Conrad, Kerouac, Henry Miller, René Girard, Lévinas, Alice Miller, Freud, les Stoïciens, Schopenhauer, Genêt lui sautaient aux yeux.
S’il jugeait Proust supérieur à Balzac par ses descriptions liant toujours l’intériorité et l’extériorité, ses métaphores botaniques, et à Dostoievski car moins ethnocentré, replié et limité par une idéologie particulière, donc plus universel et exportable, il plaçait désormais Céline, par la limpidité de son style, quand il ne s’était pas encore fourvoyé par un excès de trois petits points, au-dessus.
Les idées de Céline lui semblaient plus pertinentes. Céline était davantage dans la vie. Proust était un rentier oisif qui n’avait pas besoin de travailler, ce qui l’égarait. Dans « Le Temps retrouvé » par exemple, le narrateur explique que les moments heureux sont des moments perdus puisque seule la souffrance apprend quelque chose, apporte des vues nouvelles, pousse à approfondir. C’est un point de vue éminemment bourgeois, comme le rentier qui veut de l’aventure et se moque de l’ouvrier qui cherche le confort, la sécurité, attitude stigmatisée par le riche comme étant celle d’un petit-bourgeois, critique facile quand on est baigné dans l’opulence, et qu’après toutes les péripéties, on sait qu’on retrouvera, qu’on peut retrouver à tout moment les voluptés du monde privilégié. Ce genre de type oisif et favorisé méprisant les travailleurs pauvres qui rêvent d’une vie tranquille dans un petit pavillon, ça pullule dans les beaux quartiers, et ça ne sait pas s’auto-critiquer, comme les étudiants fils de la classe exploitante frappant les policiers exploités par les pères de ces étudiants, comme l’avait bien vu et clamé Pasolini. Revenant à Céline, Brian se disait qu’il partait du point de vue des travailleurs pauvres, luttant pour survivre, et pour qui la souffrance n’est pas un luxe révélateur, mais un abrutissement quotidien. Pour eux, le bonheur ne peut être perçu comme un moment gâché, comme du temps perdu, bien au contraire. (à suivre)
 

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12 janvier 2017 4 12 /01 /janvier /2017 23:22

Brian    Polar

Brian se reposait. Après chaque contrat, il se ressourçait, méditait, plongeait en lui-même. Comment en était-il arrivé là ? Le boulot était monotone, mais empli également d’excitation. Il risquait sa vie, le moins possible. « L’aventure est un accident que j’ai toujours cherché à éviter » écrivait Monfreid. Brian se préparait, planifiait, anticipait, et il se débrouillait pour avoir toujours le dessus. Rien de particulièrement courageux. Il repensait souvent à la succession d'événements qui l'avait mené tout naturellement à ça. Un vrai traité philosophique contre le libre arbitre. D’ailleurs, la philo, il connaissait. Mais ça n’avait rien changé.

 De quels sombres enfers sortait-il ? Des images de « Miracle en Alabama », de « Breathless », le travaillaient, esquissant des analogies avec son vécu. Tel le héros de « The Barber », ou un personnage issu des romans de David Goodis, il avait essayé de s’en sortir de manière plus conforme aux attentes de la société que celle esquissée par la suite. Après divers placements en instituts lors de sa jeunesse, de l’asile psychiatrique à la maison de correction, un passage chez les Parachutistes, de multiples aventures basées sur le mépris, l’humiliation, le déni de ses capacités, il avait tenté de prouver au monde et de se prouver à lui-même qu’il pouvait mieux que ce qu’il avait montré et exprimé, c’est-à-dire rien. Alors, il avait repris des études, réussi un Bac littéraire quand celui-ci avait encore quelque valeur, puis entrepris des études de philo jusqu’à la maîtrise. Pour rien. Nulle réponse réellement salvatrice dans les bouquins de philo.  Au contraire, il était devenu si savant qu’il ne pouvait plus communiquer avec les gens. Toujours, comme Socrate, obligé de s’adapter. La culture l’avait encore plus coupé du monde qu’il l’était, l’avait irrémédiablement isolé. Il ne pouvait aller vers les gens, car pour aborder des inconnus, il faut une amorce attractive, chercher à plaire. Or, il était autrefois si obsédé par le souci de plaire qu’il en annihilait complètement ses goûts, sa personnalité. Et cela, il n’en était plus question. Plutôt rester seul que s’intégrer en sacrifiant son vrai moi. Il fallait donc venir à lui. 

S’il appréciait quelques individus, il détestait l’humanité, et le concept même d’humanité. Tuer un animal lui était beaucoup plus difficile que tuer un homme. Après tout, les animaux ne lui avaient rien fait. C’était même lui qui les avait brimé, plus jeune, quand il n’avait pas compris qu’il reproduisait un cycle de violence, si tangible dans « Manderley ». Depuis, il tuait des hommes. Certains, parce qu’il était payé pour le faire, d’autres par plaisir, car il s’offrait des extra, et parfois le plaisir et le travail coïncidaient. Les hommes, barbares hurlant, lyncheurs hypocrites, cancer de la création, il ne les aimait pas. Il n’était cependant pas dupe. Il avait lu Schopenhauer, Darwin. Il savait que dans la nature, il y a aussi stratagèmes, camouflages, feintes, manipulations, tensions, violence. D’une certaine façon, le mal était inhérent au fait de vivre, à la vie, mais l’homme lui paraissait de loin le pire. Pire dans ses rapports avec ses semblables, pire dans l’asservissement radical des autres espèces, pire en ce qu’il utilise quantité de moyens d’emprise terribles, dont un en particulier, les mots. Aussi préférait-il la compagnie reposante des animaux, avec lesquels il n’y a pas de jugement verbal de leur part, de pression pour trouver ses mots, de justification à donner sans cesse. Sans doute une pression familiale terrible, en même temps qu’un désintérêt total pour lui, une dénégation de sa vie intérieure, est-elle l’origine de sa relégation, de sa perception du genre humain, et de sa haine envers lui.
Comment être reconnu quand on a été baigné dans « l’effort pour rendre l’autre fou », et qu’on n’a cessé de rencontrer des êtres destructeurs ? Alors, on se méfie de tout le monde, et c’est bien normal.

Les choses avaient commencé simplement. Brian avait des compétences. Il s’était décidé, il avait franchi le pas, il avait sauté. Hésitant à se lancer dans le mercenariat, il eut soudain l’idée qu’il pouvait passer à l’action, éliminer quelqu’un de son choix, quelqu’un de particulièrement odieux à ses yeux, qui incarnerait vulgarité et irrespect.. Ca ne manquait pas, des gens de ce bois. Il se demanda quel être cela lui ferait le plus plaisir d’éteindre. Il y en avait des tonnes. Il opta pour un animateur en vogue, qui lui paraissait particulièrement scabreux. C’était plutôt la norme à la TV, à la radio. Les médias étaient encombrés, saturés d’une débilité volontaire, d’une grossièreté sans limites, d’une infantilisation tyrannique. C’en était à désespérer des radio libres, à regretter la TV sous Pompidou !
La cible, c’était le niveau supérieur, un abrutisseur des masses hors pair, parrainé par un homme d’affaires à l’ambition tentaculaire, un ami des politiques en vue.

Il fallait, de sa province, monter à Paris, trouver la cible dans un moment où elle s’isolerait, prendre son temps entre les présentations et l’acte pour en profiter, la liquider, s’arranger pour ne pas laisser de traces, revenir, et enfin jouir de l’action accomplie, relayée par les médias, bien sûr anonymement.
Pas évident !  (à suivre)

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31 décembre 2016 6 31 /12 /décembre /2016 20:08

 

On avait la médiocrité déjà largement partagée avec Guillaume Musso, Marc Lévy, D'Ormesson, Onfray, Beigbeder et consorts. Il y a un nouveau qui marche fort, un type qui écrit des livres "qui font du bien" selon l'expression consacrée!

Eh oui, dans le genre des écrivains branchés "spirituels", on a trouvé encore plus nul que Coelho. Mais si, c'est possible! J'ai nommé l'insipide, les lieux communs incarnés Laurent Gounelle. Il risque pas de déranger beaucoup celui-là. Un bon businessman comme le très plébiscité et charlatanesque Eckart Tollé, tous les deux compilateurs incohérents de pensées traditionnelles.

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30 décembre 2016 5 30 /12 /décembre /2016 19:24

 

J'ai écrit que pour moi, le prix Nobel attribué à Dylan était superflu. Il n'en avait pas besoin. Vargas Llosa a été plus radical en écrivant que la prochaine fois, il le donnerait à un footballeur. J'ai vu un doc sur Dylan et un doc sur Cohen. Au fond, je connais mal les 2 chanteurs. Eh bien j'ai été déçu par Dylan, et impressionné par Cohen. Finalement, après avoir vu ces reportages, Dylan me paraît surestimé, très opportuniste, voix médiocre et personnage assez fat, petit mec manquant de profondeur. Cohen, lui, en sort grandi. Voix superbe, hypersensibilité, et textes (qui étaient traduits en français) très poétiques.. C'est Cohen qui méritait ce Nobel finalement.

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12 décembre 2016 1 12 /12 /décembre /2016 16:04

 

La fumisterie qui consiste à placer la poésie au-dessus du roman me fait bien rire, et rire jaune. J'aime la poésie, j'en lis, j'en ai écrit, j'en récite depuis de nombreuses années, mais enfin même les plus grands  poètes sont tellement surestimés!

Prétendre qu'écrire 10 misérables vers qui sonnent bien est plus difficile qu'écrire 1 bon roman, et qu'il se cache plus de mystère et de richesse dans les poésies malingres de Mallarmé, de Baudelaire, Rimbaud ou Verlaine que dans "La Recherche", "La Comédie Humaine", l'oeuvre de Dostoïevski, Henry Miller ou Céline, c'est vraiment n'y rien connaître, sachant qu'on a Conrad, Kerouac, Miller dans "Le Voyage", mais aussi René Girard, Lévinas, Freud, Alice Miller, et la meilleure prose poétique qui ait jamais été écrite en français.

Quant à l'éternelle fascination pour Baudelaire et Mallarmé, qui furent 2 pauvres types (Katanzakis a vu juste dans "Zorba", pauvres souris papivores, anémiques et sous tutelle), et pour Rimbaud (précoce certes, mais s'il a cessé d'écrire à 20 ans, c'est qu'il avait déjà tout exprimé de son pauvre génie ; on est loin, très loin de Balzac quand même) eh bien que dire, on en rira bien dans quelque temps, de cette mode pitoyable.

Oh combien Jack London est supérieur à ces étroites gens, ces psychismes étriqués, ces sans vies, ces précieuses ridicules ignorant de l'être et faussement rebelles. Genêt, tiens, en voilà un de vraiment subversif! Et Martinson, Powys, et tant d'autres auteurs oubliés autrement plus valeureux.

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12 décembre 2016 1 12 /12 /décembre /2016 15:46

 

J'ai déjà écrit que pour moi, alors que la littérature russe renforce les névroses de ses auteurs, en substituant le repliement vers une idéologie particulière (l'orthodoxie), au système Hégélien, critique que Sartre développe à propos de Kierkegaard et du protestantisme, la littérature américaine l'emporte parce que ses auteurs cherchent l'émancipation individuelle, la sortie de la névrose dépersonnalisante, ce que Gilles Farcet appelle "individualisme cosmique".

Il y a souvent une sorte d'anarchisme à l'oeuvre dans leurs vies que je situerais plutôt à droite, dans le sens ou il s'agit d'un véritable effort de recherche et de libération individuelle, qui peut avoir de l'impact sur la société, tandis que les anarchistes de gauche, les mouvements d'anarchiste, ne peuvent être véritablement émancipateurs, anarchistes,. Il y règne en fait l'esprit de groupe, l'esprit de parti, et ses membres pensent à peu près tous la même chose, et ont tous les préjugés dominants de leur temps, bref n'ont pas de pensée personnelle. L'anarchisme est d'abord une affaire individuelle, ou il n'est pas.

Whitman, Thoreau, Henry Miller, Fante, Kerouac, London dans une certaine mesure, et tant d'autres sont tous des anarchistes de droite (même s'ils s'intéressent à la société, ils restent farouchement indépendants et peuvent dérouter leurs amis, partenaires de lutte, et admirateurs).

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