Un livre a du succès en ce moment, c'est 'En attendant Bojangles". L'auteur m'est sympathique, et son itinéraire présente des similitudes avec le mien, même si le sien est beaucoup moins dur. Il a vécu un échec scolaire durable, a été renvoyé de plusieurs collèges, dont un BEP pro qu'il n'avait pas choisi, et après beaucoup d'échecs, est parvenu à la reconnaissance par l'écriture.
"Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage" comme l'écrit Baudelaire
Bouc-émissaire dans l'enfance, seul et maltraité à l'adolescence, dans l'incapacité de me concentrer sur les tâches scolaires, il me fallut me faire un place par la force de mes poings. Redoublant la quatrième, puis après mon renvoi de troisième placé dans l'équivalent des maisons de correction, renvoyé d'une seconde troisième, puis d'un BEP compta que je subissais, placé ensuite en HP pour jeunes un court séjour, para pour me préparer à la légion, puis reprenant des études, je n'ai jamais cessé d'être décalé.
Ce qui m'intéressait vraiment, c'était d'étudier, mais, tout en lisant des classiques comme Balzac ado, les autres me prenaient pour un abruti. Enfin capable de m'affirmer sur un mode particulier, la violence, j'étais incapable de m'affirmer réellement, pleinement, de m'opposer à certains camarades quitte à déplaire, d'exposer ma sensibilité et mes failles, et même souvent de parler. Je passais donc, mais pas toujours, pour un imbécile. Or, lorsque je partis pour l'armée, la difficulté de ma situation fut poussée à son paroxysme. N'ayant aucun diplôme, en situation d'échec, et lent pour plier une tente, démonter et remonter une arme etc, je n'avais pas moyen de me faire valoir, toutes mes qualités étant niées par les autres, comme un gigantesque lavage de cerveau. J'ai donc passé des mois au trou, et face à tant de bêtise dévalorisante, j'aurais du me faire réformer. Las, j'étais sans cesse insulté et rabaissé à la maison, traiter comme un bon à rien, déconsidéré, et si j'avais été réformé, je serais revenu chez les miens, et j'aurais été lynché, comme d'ailleurs je le fus plus tard. Finalement, reprenant mes études après l'armée, et tandis que je lisais Flaubert, Céline, Proust, Dosto, Hesse, Mann, Gide, Goethe, et tant d'autres, la spécificité de ma situation vicia encore le regard des autres. Comme je pratiquais les arts martiaux, que j'avais 4 ans de décalage, que je buvais beaucoup, que j'avais fait les paras, beaucoup me voyait comme une brute. Or, je m'enfermais moi-même dans ce rôle en me conformant à la façon dont on me percevait. Et je jouais au militaire, en venait à défendre l'armée, ce qui était stupide, y ayant souffert plus que nulle part ailleurs. Mais il est difficile de se trouver soi-même, et de s'affirmer tel quel, et tandis que j'étais avant tout littéraire, les autres ne comprenaient même pas pourquoi je lisais. Ca ne collait pas à l'image qu'ils avaient de moi. Ces stéréotypes de violence m'ont poursuivi longtemps, et ont encore un impact sur ma vie et mon psychisme.
Il est tellement difficile de se désidentifier avec des rôles et des enfermements partiels et de trouver sa place avec son vrai Moi, libéré des humiliations, des peurs et des jugements.