Par association d'idées, Brian se souvint de son vieil ami Alexei. Alexei, d'ascendance russe, était trop beau pour être honnête. Malgré ses excès, il ressemblait toujours à Peter 0 Toole, en plus féminin. Une sorte de Peter Orlovski, petit ami de Ginsberg, détruit par les drogues. A lui s'appliquait parfaitement les premiers vers de Howl:
"J'ai vu les plus grands esprits de ma génération détruits par la folie, affamés hystériques nus, se traînant à l'aube dans les rues nègres à la recherche d'une furieuse piqure, initiés à tête d'ange brûlant pour la liaison céleste ancienne avec la dynamo étoilée dans la mécanique nocturne"
Il avait été terrassé par une sorte d'effondrement psychique, et il s'en sortait par la fuite, l'annihilation dans les drogues, les saloperies chimiques amoindrissantes des psychiatres. Cela le dissuadait, l'empêchait de chercher en lui-même la véritable origine de ses problèmes, d'en tirer une cohérence et des buts. Il était, comme Burroughs, essentiellement passionné par toutes sortes de substances psychotropes, et n'opposait aucune résistance à l'espèce de lobotomie chimique dans laquelle on l'enfermait. Et pourtant, il lui venait quelque lucidité. Son attirance pour l'univers de Lovecraft par exemple, s'expliquait aisément. Son esprit était pris au piège, submergé, dépassé par quelque force obscure, qu'il n'était pas parvenu à assimiler. Ctulhu pour lui, c'était du concret. Il était le "fou" de la famille. C'était sa fonction. Il payait pour des problèmes antérieurs non résolus, et de névrose en névrose, de psychose masquée en psychose intégrée il était, au bout de la chaîne, celui qui ne pouvait plus faire comme si, plus tricher, celui par qui le scandale arrive, le déstabilisateur, la vérité dévoilée, exposée, et bien sûr, tout serait fait pour l'étouffer.
Brian ne pouvait s'y substituer pour l'aider à se libérer, à défusionner et à conquérir son autonomie. Il fallait une prise de conscience individuelle, un déclic, quelque chose de mystérieux, du ressort du déterminisme ou du libre arbitre, et qui arriverait ou n'arriverait pas. Brian pensait que l'homme qui s'est libéré n'est pas originairement libre, à l'origine de sa volonté de se libérer car celle-ci est déterminée. Le projet originel d'existence Sartrien, l'existentialisme, c'est de la fumisterie. L'homme n'est pas "un empire dans un empire" comme l'écrivait Spinoza. Il est du monde, et soumis aux mêmes lois que n'importe quelle créature vivante.