Il se tint sur le balcon, hésitant, calme parce qu’indifférent. Et il se ravisa.
Il vit un film Georgien sur l’émancipation d’un jeune danseur qui évoluait des danses traditionnelles vers son propre style. Il fut très touché par le film. La difficulté à vivre pour les homosexuels, les minorités dans les pays de l’Est, le poids des traditions, la sollicitude fraternelle inattendue, l’amitié d’une danseuse, beaucoup de moments, et le dernier solo, si intense… De la danse qui lui plaisait, c’était pas si fréquent.
Et puis, il vit « Le Joker ». Quel film, et quel acteur que Joachim Phoenix ! Dans « L’homme irrationnel », dans « A beautiful day », il était exceptionnel. Un des plus grands, on était loin de Romain Duris ! Et dans le Joker, encore meilleur que Nicholson. Quelque part, ce dernier, malgré son charisme, comme dans « Shining », surjoue, est moins réel que Phoenix. Et puis, Brian voyait des similitudes avec sa vie. D’abord la maltraitance refoulée, l’ostracisme, la libération partielle par la violence, exister, enfin. Et puis la danse, si intense là aussi, comme extase, délivrance et affirmation. Déjà, dans « A beautiful day », Phoenix, complètement habité par son rôle de vétéran traumatisé, amorçait quelques mouvement, en transe, évoquant le tai chi, mais aussi la danse. Dans le Joker, il danse, seul, comme Brian dansait, seul. Et ce type avait compris ce qu’il fallait faire. Il tuait trois ordures, éliminait un présentateur d’âneries télévisées. Et il était acclamé. Partout, des manifestations, des émeutes éclataient. Les exploités se révoltaient, enfin. Ils prenaient conscience qu’on les abrutissait volontairement, et ils ne le supportaient plus. Et ce qui se passait dans le film se déroulait dans la vraie vie, avec les gilets jaunes d’abord, avec les grèves ensuite. Et Brian, qui avait tué Kyrill Hamdoula, Laurent Jolloré, que la police traquait, dont l’identité était inconnue, le tueur mystérieux et vengeur, était associé dans l’esprit des gens au Joker, était en train de devenir le Joker. Il n’était pas Brian, il était le Joker. Et la vérité était enfin livré au public, les parents de Bruce Wayne n’étaient pas de gentils philanthropes. Ils étaient d’horribles et impitoyables privilégiés. Batman était au service des puissants, pas des opprimés. Le peuple avait foi dans le Joker comme il aurait foi en Brian. Toutes les humiliation endurées, toute la bouffonnerie permanente et dégradante sur les ondes, que la servitude volontaire permettait, c’était plus possible. Les êtres se cabraient. Il était temps pour la désobéissance civile d’advenir, pour une révolution de modifier mœurs et manières, préjugés, visions, rapports de classe, et vie toute entière.