Je pense que l’on saisit mal ce qu’est réellement l’aïkido, et l’évolution spirituelle de Morihei Ueshiba. Je lis souvent que Ueshiba n’était pas réellement pacifiste, que l’aïkido doit être un art martial redoutable, que Ueshiba était un nationaliste extrêmiste etc…
Mais s’il s’avérait que Ueshiba était vraiment nationaliste, impérialiste, si, peut-être, l’évolution de l’aïkido dépend du contexte, après- guerre, sa perception par les américains comme « art de la paix » lui ayant permis l’autorisation d’être enseigné, je pense que l’évolution spirituelle d’Ueshiba est réelle, et n’est pas qu’opportuniste. Il faut restituer et le parcours individuel, et la période historique.
D’abord, le souci de spiritualité marque l’itinéraire de Ueshiba bien avant-guerre. La mort de son père qui fut un bouleversement, la rencontre avec le chef spirituel de l’Omoto kyo, Onisaburo Deguchi, le désir de fonder une enclave de la paix en Mandchourie, société utopiste, manifestaient clairement que Ueshiba n’était pas juste un guerrier borné du type de Sokaku Takeda.
Ensuite, il faut préciser des choses qui sont connues, mais dont on ne parle pas assez quant à l’itinéraire de Ueshiba. Ueshiba était shintoïste fervent. Il croyait que les kami, les divinités shintoïstes, protégeaient le pays des Dieux. Il formait, également, une partie des élites guerrières, policiers, officiers, aux arts martiaux. Quel autre but que l’efficacité, en effet ?
Or, voici que le Japon, pays « protégé par les Dieux », qui n’avait jamais été envahi, conquis, perd la guerre, et est envahi. Les kamikaze, « vents divins », ont été nommés ainsi en référence aux tempêtes providentielles qui protégèrent par deux fois les Japonais des invasions mongoles. Or, les kami n’ont pas, cette fois, protégé le Japon.
Ueshiba, qui était très shintoïste, et nationaliste, a dû être marqué par cela. Ensuite, la défaite du Japon a été d’autant plus traumatisante qu’elle est due à un crime de guerre effroyable, les bombes atomiques de Hiroshima et de Nagasaki.
Contre cela, rien à faire. Les arts martiaux sont d’un autre temps, complètement inutiles. On parle de l’efficacité des arts martiaux avec le référentiel Ufc. Mais l’Ufc, ce n’est pas la guerre. Et contre les missiles nucléaires, kendo, jujutsu ou daito ryu ne servent strictement à rien.
Soit donc, on cesse la transmission d’arts martiaux devenus inutiles, soit, si l’on veut continuer à les transmettre, ils doivent changer profondément de valeur, puisque tels quels, ils ont perdu leurs fonctions. Leur rôle ne peut plus être le même. Ils ne préparent plus à la guerre. On ne se bat plus avec des sabres, des jo, des naginata, ou des arcs.
Ils doivent servir à l’éducation des hommes. Ce qui devient prioritaire, dans un monde où les armes que les hommes ont créées sont si destructrices qu’elles peuvent mettre fin à l’humanité dans son ensemble, c’est de changer l’esprit des hommes, de le métamorphoser. C’est cela la révélation de Ueshiba. Pas la quête d’une efficacité désuète. Changer le cœur des hommes.
Hélas, combien l’ont réellement compris. Ueshiba disait que quelqu’un qui comprendrait atteindrait son niveau en trois mois.
Je n’ai jamais rencontré un tel homme, une telle femme. Et à ma connaissance, aucun expert, « sensei » ne l’a atteint. Ils buttent tous par leurs techniques. Pourtant, ma première motivation, en pratiquant l’aïkido, c’était cette paix intérieure et bienveillante à partir de laquelle naît la spontanéité des gestes, et pas la répétition figée des mêmes techniques pendant des années. Ma naïveté paraît les « maîtres » de l’aura spirituelle de Ueshiba. Même les gradés étaient nimbés d’une sorte d’auréole magique à mes yeux. La désillusion a été, sur ce point, totale.