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5 juillet 2017 3 05 /07 /juillet /2017 14:30

Parfois, tout énervait Brian. La psychiatrie, avec sa manie du classement, la justice toujours partiale, la TV, la radio et ainsi de suite, un accablement sans fin. Les psychiatres pensent un peu comme Spinoza, que la tristesse est une émotion négative, comme la colère, ou la mélancolie. On peut être un peu triste, mais pas beaucoup, sinon c'est trop, et il faut stabiliser l'humeur avec de la chimie. Mais il peut sortir de grandes choses d'un excès de mélancolie, et vouloir tout modérer est une erreur. Avec leurs substances, l'homme devient un être diminué, calmé peut-être mais amorphe. A quoi bon? Ce sont des destructeurs de l'âme. Brian, parcourant le journal, était tombé sur une annonce de surveillants "d'handicapés mentaux". Quelle horreur. On les parque dans des camps. Au moins les prisonniers ont commis quelque crime justifiant leur enfermement. Mais les "handicapés mentaux", qu'est ce qui justifie qu'on leur restreigne leur liberté, qu'on leur dise comment vivre? Le même traitement dégradant, concentrationnaire, est infligé aux personnes âgées que l'on infantilise dans les maisons de retraite, lieu infâme parmi les lieux infâmes, comme tout ce qui nuit à la liberté individuelle.

La justice, selon Foucault, est la "domination d'une classe sociale sur une autre", une classe moins intégrée, moins préparée, moins riche. On ne peut mieux dire l'injustice de la justice. Comme l'écrivait La Fontaine "selon que vous serez puissant ou misérable, vous serez jugé blanc ou noir". C'est dans la nature humaine, mais en fait, c'est inscrit dans l'animalité de l'homme, car la violence, les guerres de territoire, la lutte pour l'influence, la nourriture ou la possession des femelles sont omniprésentes dans le monde animal, et donc chez l'homme. Aucune différence sur l'essentiel, mais les hommes ont également la capacité de s'extraire de la violence, ou de l'exacerber. Si l'on décide de s'en prendre à l'homme, il faudrait aussi tenter de réformer le comportement animal, ce qui est contre nature et absurde. Le lion ami avec la gazelle? Ce ne serait plus un lion, il en perdrait les caractéristiques. La nature voudrait-elle la violence? La nature sait ce qui est bon pour les animaux et pour l'homme, même si celui-ci refuse de le voir. Comme l'écrit Kant, "l'homme veut la concorde, la nature veut la discorde".

Tout de même, Brian, à l'écoute d'une émission radiophonique comique, dans laquelle une humoriste se moquait de son amant lecteur de Dostoïevski, réagit douloureusement. Pour plaire au peuple, toute cette démagogie vantait "l'homme ordinaire", stigmatisait tout élitisme, renversait les valeurs nobles. L'imbécile était sans cesse valorisé, l'homme cultivé sommé de s'excuser. C'en était trop! Il fallait changer les choses par la force. Brian avait beau se répéter, formule tirée de "l'homme-machine", "le matérialisme radical est le meilleur antidote à la misanthropie" comme un mantra, sa rancœur ne cessait de croître. Etant contre l'avortement, pour des raisons scientifiques et psychanalytiques et non religieuses, il avait fustigé l'eugénisme masqué. Néanmoins il s'interrogeait. Les hommes et femmes les plus démunis, matériellement, culturellement, ont tendance à faire beaucoup d'enfants et à commencer très jeune. Les couples cultivés font moins d'enfants, et s'y prennent plus tard. De génération en génération, cela abêtit nécessairement l'espèce, l'empêche de progresser, et  c'est comme cela qu'on se retrouve au sommet de l'évolution, avec une foule d'abrutis regardant Kyrill Hamdoulah, et une infantilisation généralisée. Tout l'effort de l'Univers pour en arriver à une telle dégénérescence, à une telle nullité! L'entropie avance plus vite qu'on le pensait! Il y a même un film comique américain "Idiocracy "-ils sont bien placés pour en parler- qui traite du problème. Eh bien Brian avait réfléchi sur le sujet, et il en était venu à l'idée que la solution consistait dans le "transhumanisme" ou l'homme augmenté. Par ce moyen, on modifierait le niveau de conscience en complexifiant la structure cérébrale, et on ferait franchir un bond évolutif à l'espèce, la plongeant dans ce que Teilhard appelait l'ère de "l'Ultra-humain". La loi de "complexité-conscience" se vérifiant par une accélération due aux prodiges de l'intelligence humaine! Et on éviterait l'eugénisme. Ce serait l'émergence d'un vrai homme nouveau. Ce que n'avait pas saisi Mao, c'est que les hommes sont essentiellement englués dans leur animalité, et que leur très faible capacité, notamment à penser par eux-mêmes, ne leur permet pas de s'isoler du groupe, les empêche, constitutivement, de sortir de leur état pitoyable, de leurs mesquineries et préjugés.

En changeant leur corps, on modifie leur destin. Et Brian songea, égoïstement, qu'ainsi, il aurait davantage d'alter ego, il serait peut-être moins seul.

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