Libre arbitre et socialisation
Montrer en quoi les interactions sociales (familiales, environnementales, globales) influent sur le devenir de l’individu, le conditionnent.
La société, le système juridique est construit sur l’idéologie du libre-arbitre individuel. C’est-à-dire que la majorité des individus, considérée comme normale et saine d’esprit, est censée agir librement et rationnellement. Toutes les orientations sociales sont définies par rapport à ce postulat.
A côté de ces individus normaux, il y a les anormaux, plus ou moins aliénés, et qui jouissent de circonstances atténuantes s’ils commettent des délits par exemple.
Or, ce postulat du libre-arbitre, la sociologie, après certaines théories philosophiques, le remet sérieusement en cause.
« La sociologie ne pouvait naître que si l’idée déterministe, fortement établie dans les sciences physiques et naturelles, était enfin étendue à l’ordre social ». Durkheim « La sociologie » Texte 1 «Eléments d’une théorie sociale » Ed de Minuit
Si des philosophes, comme Spinoza, Hume, Schopenhauer, Nietszche, ont contesté la pertinence du concept de libre arbitre, tandis que d’autres penseurs, par divers stratagèmes, ont cherché à le préserver à tout prix, comme Kant ou Sartre, la sociologie dispose de données chiffrées, statistiques, issues de l’observation, qui tendraient à accroître l’importance de l’environnement, des situations, des interaction sociales, des déterminismes dans la trajectoire individuelle, au détriment d’une éventuelle liberté absolue, métaphysique, qui viendrait d’on ne sait où interférer avec l’ordre de la nécessité.
« Le degré auquel le monde est réellement déterminé n’est pas une question d’opinion, en tant que sociologue, je n’ai pas à être « pour le déterminisme » ou « pour la liberté », mais à découvrir la nécessité, si elle existe, là où elle se trouve ». Bourdieu « Question de sociologie » Ed de Minuit p 44
Les travaux de certains sociologues rejoignent la position Sartrienne, où la contrainte laisse entière la place à une sorte de liberté absolue de choix.
« Mead, Thomas et Park sont antidéterministes en ce sens qu’ils recherchent un point d’équilibre entre des acteurs totalement libres dans leur volonté et des acteurs dont les actions sont assez strictement déterminées, autrement dit, soumises à des contraintes. Les interactionnistes sont essentiellement anti-déterministes ». A Strauss « La trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme. Ed L’Harmattan
Il y a ici l’essai d’une conciliation entre la volonté de préserver un libre arbitre absolu et le déterminisme des situations, les contraintes structurelles. On retrouve les tentatives de Sartre dans la « Critique de la Raison dialectique », où l’appartenance aux classes sociales, la guerre, les conditions d’existence, tout en ayant une influence sur la vie réelle des hommes, laissent intacte l’existentialisme, l’idée que malgré tout, l’existence précède l’essence en l’homme, et qu’il se fait lui-même. Cependant, plus les situations semblent avoir d’emprise, plus l’existentialisme semble une théorie abstraite, un simple idée, voire une névrose de Sartre, celle –là même qui le fit passer à côté de la psychanalyse puisqu’il semble avoir voulu moraliser le processus de refoulement (le sujet a primitivement conscience de ce qu’il censure puisqu’il le censure comme irrecevable, donc il est à l’origine du refoulement, libre du processus, et de mauvaise foi s’il le nie) alors qu’il s’agit d’un mécanisme de survie psychique dont les causes, une fois refoulées, échappent bel et bien au sujet mais pas les effets.
Ainsi la citation qui suit paraît bien discutable elle aussi :
« L’orientation normative de l’action comporte une part de décision. La liberté est le choix que les individus peuvent opérer entre divers modèles d’action à l’intérieur des limites données. » Guy Rocher « L’action sociale »
Une remarque : La part de décision, la liberté du choix entre différents modèles n’est-elle pas elle-même déterminée par un ensemble de causes ou motifs dont la situation dans l’espace social ?
Nos rêves, nos projets les plus personnels semblent par exemple déterminés par notre position sociale, nos possibilités concrètes d’action.
Ce postulat du libre arbitre, intrinsèquement lié à l’attribution abusive de la responsabilité, est aussi le garant de l’idéologie méritocratique.
La méritocratie implique une égalité des chances qui permettrait à chacun de prendre la place qui correspond à ses qualités personnelles, ses efforts, indépendamment de sa naissance, des privilèges transmis.
Cependant, l’application de cette idéologie pose problème.
D’une part l’on constate que les enfants issus de milieux populaires vivent davantage de difficultés scolaires que d’autres enfants plus privilégiés pour des raisons de transmission et d’une moindre adéquation entre culture familiale et culture scolaire, et qu’ils intériorisent par la suite leur échec comme relevant de l’inné, de l’ordre du substantiel, alors qu’il est de l’ordre de l’acquis, une injustice imposée et subie qui s’ignore comme telle.
D’autre part, la notion même d’efforts volontaires, de liberté individuelle qui donne sa légitimité et portée à la croyance au mérite est contestable.
« Quand on veut, on peut ».
Il n’est pas sûr que vouloir génère systématiquement le pouvoir.
De plus, cette formule implique une distinction culpabilisante entre ceux qui veulent et ceux qui ne veulent pas, (réussir par exemple), ou ceux qui veulent suffisamment et ceux qui veulent mais pas assez. Or il y a là une moralisation abusive d’un processus motivationnel qui ne ressort pas d’une libre décision individuelle, mais est elle-même déterminée. L’homme n’est pas à l’origine de son propre vouloir.
Le mérite serait donc une fiction, tout comme la liberté ou l’identité, qui, peut-être, est indépassable pour nous préserver du chaos mental et social, mais qui, prise au sérieux, engendre néanmoins bon nombre de conséquences, d’évaluations et de jugements, et contribuerait à perpétuer les inégalités.
Nous nous intéresserons plus spécialement aux parcours difficiles et chercherons à déterminer si les individus concernés ont comme choisi délibérément une voie délicate ou ont été poussé par la nécessité, prisonnier d’une interaction de causes et d’effets suscitée par les conditions de leur socialisation.
S’il s’avérait que les facteurs de socialisation conditionnent les trajectoires bien plus qu’un éventuel libre choix, alors la société paraîtrait comme mal fondée car édifiée sur une injustice structurelle, et alors, la fameuse formule de Socrate : « Nul ne fait le mal volontairement », serait affirmée avec plus de force .
Socialisation et délinquance.
Motifs familiaux, groupes de pairs, influence mimétique (René Girard) etc génère décrochage scolaire, enfermement dans un rôle, etc d’où surenchère d’où conséquences, réactions en chaîne, mécanique