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19 mai 2018 6 19 /05 /mai /2018 00:46

Un des amis de Brian lui parla de Pennac. Brian avait lu les Malaussène ado et il pensait qu’il prendrait désormais moins de plaisir à leur lecture. Il avait cependant aimé « Chagrin d’école ». Il avait été touché qu’un homme comme Pennac, qui finalement n’avait pas subi grande violence et grand échec, souffrait malgré tout encore de sa relégation quarante ans après, et cela malgré sa réussite professionnelle, sa vie affective, la reconnaissance sociale, l’argent la célébrité, l’élection à l’Académie Française.

Qu’était le sort de Brian à côté ? C’était une destruction en continu de la psyché, telle celle subie par Alejandra dans « Después de Lucia », mais sur cent fois plus de temps. De tant de violences, on ne peut survivre, ou on devient fou normalement, et il ne comprenait pourquoi il restait cohérent, lucide, pourquoi il pouvait communiquer, plus qu’avant en fait, après être resté un muet docile, puis un muet violent pendant tant d’années. Son ami lui parla d’un livre « Le service militaire au service de qui ? » de Pennac. Ca plaisait à Brian. L’armée était ce qu’il y avait de pire dans la destruction de l’intelligence et de la sensibilité, dans l’annihilation de l’originalité, de la pensée personnelle, dans la soumission imbécile à l’autorité, la déresponsabilisation collective par la lâche réduction du « je » au « on ». Les types tuaient, et ils se justifiaient, se dédouanaient par un si facile « Puisque les chefs me l’ont ordonné, c’est que c’est bien ». On avait pas tiré les leçons de Hannah Arendt, ou de Alice Miller. Manifestement, on en était loin. L’armée encourageait à faire ressortir le pire de l’homme. Tout système, institution cependant, qui brise l’expression personnelle aliène l’homme et le rend servile, étranger à lui-même. Le père de Brian l’enhardissait à être toujours plus docile, quand Brian souffrait de sa trop grande docilité qui le bridait, le brimait de l’intérieur, tel un viol psychique, et sa devise, tirée des Jésuites –il avait été dressé au martyr par les Assomptionnistes, quand la mère de Brian avait été dressé par un père militaire- c’était « perinde ac cadaver » « obéis comme un cadavre ». Il faut avouer, mais n’avouons pas, car ce n’est pas une faute, il faut reconnaître que cette devise n’encourage pas l’individuation, l’affirmation de la personnalité.

 

Brian eut envie de relire quelques passages de Marc-Aurèle après la lecture d’un article dans Philo magazine dans lequel une femme racontait qu’il l’avait sauvée, mais « Les Pensées » le laissaient perplexe. Quelque chose de forcé, de désenchanté lui déplaisait, une sagesse triste, et un mépris du corps, une valorisation excessive de la raison. Et puis, si la vie vaut la peine d’être vécue, il n’est pas indifférent que nous vivions un, dix, ou cent ans. Si c’était vraiment le cas, nous devrions tous nous suicider pour retrouver le cher principe le plus tôt possible. D’autre part, la croyance en la Providence est bien suspecte. Si tout est toujours bon parce que toujours conforme (comment pourrait-il en être autrement) à la nature du Tout, il est difficile d’envisager la légitimité de la révolte, ou alors dans sa relativité générale, pas dans son contenu particulier mais parce qu’elle est englobée dans la nature du Tout. Mais cela signifie que tout se vaut, le nazisme comme ceux qui le combattent, toute action étant toujours conforme à la nature du Tout, ce qui est problématique, et très choquant. Et la possibilité de s’éloigner de l’action juste, et donc aussi d’y revenir, et donc la liberté, est également difficile à envisager dans ce Cosmos Providentiel où tout est toujours bien et ce qu’il doit être

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