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8 juin 2018 5 08 /06 /juin /2018 21:08

Jamais une femme n’avait traité Brian avec autant de mépris que Clara, hormis sa mère. On lui conseillait de la laisser partir, de s’en détacher, ne pas s’intéresser à ses projets. C’eut été facile, si elle avait été moins belle, et moins intéressante. Mais elle préférait l’incertitude au confort, à la sécurité. Elle avait, selon le baroudeur Patrice Franceschi, l’esprit d’aventure. C’était une aventurière. Une femme digne d’être aimé par un Corsaire Malouin ! Une entrepreneuse, une artiste, danseuse, poète, peintre, photographe, vidéaste, animée par une quête spirituelle. Plus Brian en apprenait, plus elle le surprenait et le charmait. Une malédiction que d’être initié à quelques-uns de ses secrets ! Ne jamais refuser ce qui sort de l’ordinaire ! Et elle sortait de l’ordinaire. Il aurait aimé lui ouvrir des mondes convergents avec ses aspirations. « La pensée et le mouvant » de Bergson était sans doute la traduction philosophique de sa recherche  et de son état d’esprit. Il lui aurait permis d’aller plus loin, d’y puiser un nouvel élan. « Il suffit d’un geste » de François Roustang pouvait la stimuler également. Et bien d’autres choses. Et l’amour, aussi.

Brian vivait la chanson de Goldman, « Pas toi ». Seules la souffrance et la profondeur exprimées par la musique classique coïncidait alors avec son état d’âme, et seule elle l’apaisait. Il était comme Ludwig II, neurasthénique prostré dans le film de Visconti, à l’écoute des préludes  Wagnériens ! Un esprit frère. Ah, Helmut Berger, qu’es-tu devenu ? Comment sortir de cette impasse ?

Le mariage très proche d’un cousin de son ami russe Alexeï,  où il reverrait Maria et beaucoup de beautés étrangères, le distrairait peut-être de sa fascination. Et puis, il n’avait que quelques jours à attendre pour valider son passeport. Après, il serait libre de partir vers de nouvelles aventures. Il mûrissait des projets en Asie. Il avait un contact à Hanoï par un ami franco-vietnamien et y trafiquerait sans doute quelque temps, tel un Henry de Monfreid transporté sur le territoire Asiatique. Une échappée Conradienne. Avec l’image de Clara, sa beauté, sa profondeur manifeste comme un regret le poursuivant au bout du monde. Il était plus romantique qu’aventurier. Elle était davantage pragmatique. Plus que l’argent ou la gloire, seul l’amour comptait réellement pour lui.

 

Ce qui le surprenait dans les récits d’aventuriers, c’est le peu de place accordée aux femmes. Si l’un d’eux affrontait le risque de la mort, ce qu’il redoutait, c’était de ne pouvoir vivre une nouvelle aventure, et s’il en réchappait, il se promettait de les vivre encore plus intensément, mais il ne se disait pas « si je meurs, fini les femmes, si j’en sors, je ne passerai plus à côté d’une occasion de rencontre ». Or, ce qui plaisait à Brian dans l’aventure, c’était justement les rencontres, les escales dans les ports plus que la mer, la grâce des Indonésiennes plus que les vagues scélérates, la fille du chef tribal amoureuse du voyageur, la pirate qui complétait le corsaire. Même l’attrait de l’or, de la découverte ou des conquêtes ne valait que pour les femmes entraînées dans son sillage. Rien d’autre ne l’intéressait, bizarrement. A quoi bon les richesses de Cipango, l’exploration du Canada, ou la prise de Rio de Janeiro s’il n’y a pas une femme comme moteur et source d’inspiration, à qui tout donner, s’il n’y a pas l’amour ? Plus homme à femmes qu’aventurier donc. C’est bien de se connaître.

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1 juin 2018 5 01 /06 /juin /2018 21:42

Par association d’idées avec Jean-François Billeter, Brian eut envie de relire François Roustang. Roustang était un de ses maîtres. Ses critiques éclairées sur la psychanalyse, son intérêt pour la pensée chinoise, le mouvement, l’hypnose le stimulaient. Plongé dans « comment faire rire un paranoïaque ? », et aidé par un échange avec Dominique, il crut comprendre ce qui l’avait attiré et fasciné chez Clara. Il aurait voulu être elle quelque part, c’est-à-dire qu’il sentait des points de convergence, mais qu’elle était beaucoup plus avancée que lui en un certain sens. Elle s’était trouvée. Prisonnière de problèmes peut-être proches, motivée par une recherche spirituelle, elle semblait s’être libérée, avoir franchi un point de non retour psychique, et évoluer librement dans et vers la vie. Une femme libre, qui avait trouvé la force, les ressources nécessaires pour puiser à partir d’elle-même. Et elle avait dû sentir qu’il était à l’ « arrêt », que quelque chose bloquait en lui de mortifère, de contraire à la vie. Accepter de le voir, c’était pour elle se freiner, se ralentir. Elle avait, était ce qu’il n’était pas, une femme libre. Pour reprendre des termes Bergsoniens, l’intelligence conceptuelle de Brian le figeait, le bloquait dans ses obsessions idéologiques, ses fantasmes, quand elle était portée par l’intuition et qu’elle épousait l’élan vital. Une belle Niezstchéenne, une danseuse Taoïste voguant dans le flux, la créatrice de son monde. Après le « Surhomme », la « Surfemme ». Lui, homme du ressentiment, de la pesanteur et du passé, il ne pouvait pas suivre. Peut-être était-ce là une interprétation parmi d’autres mais c’était celle qui lui était venue. Elle était la joie et l’énergie, il était la tristesse et les abymes.

Encore avait-il des projets.

Il ne voulait pas finir, comme Kurtz, gourou sanguinaire et détraqué d’une communauté perdue. Il voulait fonder sa propre voie thérapeutique, synthèse de toutes les connaissances et expériences qu’il avait éprouvées. Quand le moment serait venu, enfin il apporterait du positif, de la joie lui aussi, débarrassé du souci du moi.

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27 mai 2018 7 27 /05 /mai /2018 22:36

 

Il repensa à Clara. Des visages de femmes qu’il rencontrait émergeaient à nouveau, et emplissaient son esprit, le détachaient de cette femme si mystérieuse à ses yeux. Il se déprenait d’elle. Il en resterait une tristesse, une incompréhension, l’impression d’un gâchis, pour lui et pour elle, une blessure narcissique qu’elle lui avait consciemment infligée. Elle avait dû pressentir un danger et elle n’avait pas couru le risque, ne s’y était pas ouverte. Comme tout type prisonnier de la violence et sachant que  l’incorporation dans une bande, un gang, un groupe, était toujours un travestissement individuel, la construction d’un faux self, Brian savait qu’il lâcherait tout par amour, parce qu’une vraie rencontre permettait de se libérer vraiment, de faire ressortir le meilleur de soi, la bonté enfouie, et qu’une femme qui ne donnait pas accès à cela, avec qui il fallait tricher, se masquer, jouer un rôle comme dans un gang, n’était pas la bonne personne. Il avait connu ce type de relations, ou il devait rester sur le qui vive, méfiant, dans la crainte de réactions brutales et dévalorisantes, et ces femmes ne l’avaient pas assez aimées et lui non plus, pour l’aider à se détourner de la violence. Il n’avait pas fait la bonne rencontre. Il avait cru un temps que Clara pouvait être cette femme, et s’y était fixé pour cette raison. Il fallait faire le deuil de cette croyance, de cette illusion. Et pour ce motif peut-être, elle ne lui avait pas permis de pénétrer dans sa sphère Et pourtant, il lui était inconcevable qu’elle le jugeât totalement sans intérêt. Il ne pouvait admettre qu’indépendamment d’une attirance réciproque, elle le méprisât effectivement. Incroyable comme cette femme l’avait déstabilisé, l’avait remué. Pourquoi son esprit y revenait sans cesse, malgré d’autres attachements ? Pourquoi Elle ? Si elle n’était pas la femme qu’il croyait, il ne devait pas être si difficile d’en prendre conscience, et de se désillusionner. Etait-il plus amoureux de l’amour que de son objet particulier ? Mais pourquoi Elle, toujours ? Un simple tête à tête dans un café aurait pu ramener cette cristallisation amoureuse à de l’amitié, ou un échange pragmatique d’informations. Mais elle avait tout refusé, et s’était muée par la même occasion en idéal inaccessible. Et pourtant, il avait perçu en elle une riche intériorité, une femme qui réellement était différente, exceptionnelle, isolée dans sa singularité malgré sa vie sociale, et il la préférait à toutes celles qui le draguaient. Maria le sortirait peut-être de sa léthargie, de son obsession. Il avait étalement fait un rêve troublant avec l’artiste un peu gitane, un peu punk et indienne, qu’il avait rencontré à Parthenay. Ca l’avait intrigué au réveil. Il la retrouvait sur une île dans les Mers du Sud. Sa chienne mordait ses fesses amicalement, puis reposait sa tête sur sa poitrine. Il était bien, allongé sur le dos, dans l’herbe, avec la mer à côté et la tête de de la chienne sur lui. Et « l’indienne » s’approcha de lui, se mit dans une position comme pour faire de la danse contact et finalement, après quelques cabrioles, ils s’attirèrent aimantés et firent l’amour. Ils s’aimaient. Un beau rêve.

Une musicienne Japonaise qu’il croisait quelquefois à Poitiers l’intriguait également. Il aimait son regard, plus que leur beauté l’expression de ses yeux. Et il commençait à ressentir uen attirance sexuelle et sentimentale pour une de ses profs de danse. Il s’était surpris à y penser, à imaginer son joli visage. Il ressentait une attraction et de la bienveillance pour elle. Et elle, au moins, ne le fuyait pas. Elle était tout le contraire de Clara, elle montait à l’assaut, et semblait prendre du plaisir avec son corps. Une belle blonde. Il attendrait et verrait ce qui émergerait, quelles possibilités réelles s’offriraient, avec l’incertitude, la « création d’imprévisible nouveauté » cher à Bergson. De la discontinuité, de l’événement, du neuf ! Ou une extinction rapide ! Pas le choix, faut y aller !

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27 mai 2018 7 27 /05 /mai /2018 21:55

Brian subit le contrecoup. Parfois, il était submergé par la tristesse, un désespoir absolu. Il butait sur l’horreur de la condition humaine. La conscience individuelle était précédée d’un néant infini, et suivi d’un néant infini. L’homme n’était rien pour l’Univers. Et pourtant, les spécificités de sa situation lui infligeaient une intensité de souffrance atroce, absolument atroce. Et il résistait, dans l’espoir que la vie lui offrirait un jour une possibilité de bonheur. La même conscience qui lui causait une souffrance intolérable, lui interdisait, par la lucidité qu’elle lui conférait sur sa fin, de s’en échapper.

Brian était effondré, aussi, par la fin de ses illusions sur Clara. Il y pensait depuis cinq, six mois. Des femmes venaient vers lui mais il ne comprenait pas pourquoi elle, elle précisément, l’avait rejeté. Un rejet radical. Elle ne l’avait pas jugé digne de son amitié, de la moindre conversation, elle ne l’avait pas trouvé intéressant. Et pourtant, elle était en quête de profondeur, et il était profond, si profond qu’il en était inadapté. Trop profond ? Ils avaient de nombreux points communs, des centres d’intérêt similaires. Vraiment c’était un coup dur pour lui. Elle avait réactivé son sentiment d’abandon.

Quand sa tristesse était intolérable, ou lorsqu’il était assailli d’images effroyables, il avait parfois recours à un stratagème. Il s’allongeait et se transformait en pierre, en végétal. Il tentait de tuer à la racine tout mot, toute image, de ne pas les laisser apparaître, d’être un vide total. Et il souffrait moins ainsi. A nouveau complètement perdu, il désirait reprendre les exercices de méditation. Il s’éloignait des préoccupations du transhumanisme. Il désirait former comme une ligne de vengeurs, se mettre en relation avec des individus exceptionnels, et œuvrer contre le mal.

Le problème, c’est de s’identifier à des rôles, rôles nécessaires à certaines époques de sa vie, et d’être prisonnier de ses identifications. Alors, on se perd dans des constructions qui ne sont pas le vrai soi. Et ce n’est pas se perdre vraiment pour se trouver. C’est encore plonger dans l’illusion. La violence qui avait suivi Brian partout, et qui lui avait permis de s’affirmer, une part de lui n’en voulait plus, n’y correspondait pas, mais une certaine partie en dépendait. On le voyait, malheureusement, encore comme ça. Il était estimé pour ce dont il voulait se débarrasser. Mais il ne savait pas ce qu’il y avait derrière, ni comment se protéger sans cette carapace. Il aurait aimé prendre une autre identité, aller dans un pays où personne ne le connaissait, et se libérer complètement du passé. Hélas, partout où il allait, la violence le rattrapait. Il en était en partie responsable. Il entretenait cette image en se dévoilant. Mais comment se taire, avec le besoin d’expression qui le minait ? Comme l’écrit Tchouang Tseu, il faut conserver le ressort de l’action en soi. Il se demandait si la thérapie qu’il suivait, comme Tony Soprano, ne l’avait pas encore rendu plus violent, s’il était encore sauvable en somme. Comme il aurait aimé être de ces tribus primitives asiatiques, avec une place naturellement assignée, voué aux tâches utiles à la survie de la communauté, concentrée sur l’action et la contemplation, jamais vraiment seul, sans livres à analyser, une vie simple et sociable. Etait-il possible de se convertir, de fuir le monde Occidental, et tel un héros de Conrad, de refaire sa vie, de tout recommencer ailleurs, de vivre dans un perpétuel présent, sans regrets ni remords ? Ou bien la violence, comme Lord Jim, le suivrait toujours, quelques soient ses réussites ?

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23 mai 2018 3 23 /05 /mai /2018 23:58

Pour se distraire, Brian regarda le film comique « Les trois frères, le retour ». Il le trouva vulgaire, violent. Un ami lui dit que le premier volet des « Trois frères » était nettement supérieur. Il le réserva à la médiathèque, puis il le regarda. Il fut consterné. Comment un film aussi minable pouvait avoir eu autant de succès ? Et aussi démago ? La violence la plus insupportable, ce n’est pas l’élimination de quelqu’un, c’est de rire de l’humiliation et de l’avilissement infligés à un être vivant, animal ou homme. Et qu’y a-t-il de drôle dans le fait de traiter une femme de salope parce qu’elle ne désire pas donner d’argent, dans le fait d’insulter et de frapper un avocat, certes incompétent, ou de rabaisser un huissier en le poussant à dire de lui-même qu’il est une « grosse merde », en le frappant et en lui mettant un slip sur la tête ! Et cette violence est censée être drôle, est plébiscitée, fait rire les gens ? Insupportable. Et même incompréhensible. Il avait hâte de se débarrasser du film, d’un film horrible, plus violent à ses yeux qu’ « Orange mécanique ». Thèse scandaleuse. Orange mécanique, il connaissait en vrai, et cette violence était pour lui beaucoup moins choquante que la TV réalité, le divertissement d’Ardisson à Coe, où l’humiliation, généralisée, était en plus censée faire rire.

 

Il lut un extrait du nouveau livre d’Edouard Louis, « Qui a tué mon père ? » dans « Lire ». Il était assez critique envers cet auteur, son style. On était très loin de Genêt. Mais l’extrait était bon, pertinent. Il était question de son père , brisé corps et âme par l’oppression sociale, les préjugés d’un milieu  prolo où il n’est pas permis de  se plaindre, de lire, d’aimer la danse, de pleurer, d’exprimer un aspect féminin. Des critiques du « masque et la plume » sur France Inter s’en moquèrent. C’était assez abject. La plupart, c’étaient de grands bourgeois qui avaient une villa à Deauville, un chalet à Mégève, qui avaient tout obtenu par piston, jamais envoyé, comme Emmanuel Carrère l’écrit sur lui-même, de CV ou de Lettres de candidature, et ils se gaussaient d’un écrivain censé découvrir l’injustice sociale. La différence, c’est que Louis l’avait vécue dans sa chair, en avait souffert, et qu’il décrivait la situation de sa famille, la déchéance de son père, et qu’il avait toutes les raisons d’être énervé contre ce système et les ordures de grands bourgeois sévissant notamment sur France Inter. Tout cela encourageait Brian dans la voie qu’il avait prise.

Le monde était violent, plus violent que lui, beaucoup plus délicat, et cette violence l’avait rendu fou et encore plus violent que le monde.

Et pourtant, il se trompait aussi quelque part, et il ne savait pas où. Il existait d’autres êtres comme lui, différents, et qu’ils soient misanthropes ou non, ils étaient sûrs d’eux-mêmes et ne souffraient pas des abjectes réactions et goûts de la foule. Il lisait « Etudes sur Tchouang-Tseu » de Jean-François Billeter. Ca l’interloquait. Il y  a chez Tchouang Tseu un éloge des gens rustres et simples qui est quelque part une idéalisation, comme des moujiks chez Tolstoï. Ca n’a rien de réel. Quand on connaît vraiment ce monde, on y trouve beaucoup de bêtise, de conformisme, de méchanceté. Les vrais ouvriers ou paysans ne sont ni plus ouverts ni plus épanouis que les bourgeois. Et les vagabonds ne sont pas libres, mais la plupart sont délabrés, psychotiques, alcooliques et drogués, détruits. Et en même temps, l’abondon du vouloir par des méthodes de transe, de méditation, d’hypnose lui semblait une piste intéressante. Quelque part, tous les efforts de Brian avaient été vains. Les milliers de livres lus, le travail exténuant, le besoin viscéral de reconnaissance, tout cela avait échoué à lui assurer sa propre reconnaissance. Il repensa à l’indispensable narcissisme de base dont tout homme a besoin pour vivre et à l’image positive de soi que les parents doivent donner à l’enfant. Sans cette assise narcissique, on passe tout son temps à essayer de l’obtenir, à conquérir le monde pour pouvoir prouver qu’on peut être aimé, parce qu’ « il faut être aimable pour être aimé » comme le serinent les mauvais parents. Il ne se trouvait pas. Or, il est écrit qu’il faut d’abord se transformer pour transformer les autres. Et peut-être s’y prenait-il mal ? Le besoin pathologique qu’il éprouvait de conformer le monde à son image pour s’en protéger exprimait une faille narcissique que des hommes et des femmes pourtant encore plus intelligents ou sensibles que lui, qui s’éloignaient davantage de l’homme moyen, ne ressentaient pas. Donc il était possible de se mouvoir au milieu de la foule, de s’en distinguer par l’esprit, sans vouloir absolument la hisser à son niveau pour se faire comprendre, pour pouvoir en être compris, commes les sages Taoïstes.

 

 Brian se trouvait laid, mais en observant, contre son habitude, les gens se déplacer dans les rues, il les trouva plus laids que lui. Ca le rassura. Il ne ressentit ni empathie ni attirance, moins que pour les chiens, et se demanda s’il n’était pas sociopathe ou psychopathe. La plupart semblait souffrir du drame d’être humain. Leurs visages exprimaient complexes, doutes et névroses. Et pour l’essentiel, ils étaient affreux, ou passables. Une misère dans la diversité, qui le choqua comme Bouddha. Une expérience très valorisante pour lui, aussi, qui le remit dans le flux de la vie. Lui qui ne supportait pas son image, putain qu’il était beau, en comparaison ! Il suffisait de se noyer dans tous ces visages, ces corps difformes, sans grâce ni intelligence, pour retrouver sa juste place, plutôt que toujours se confronter à soi-même et avoir pour seul juge la sévérité d’un implacable surmoi. Bordel, comment ces gens pouvaient se regarder dans une glace, se supporter, et s’aimer quand même ? Leurs façons de s’apprécier était totalement indépendante de critères esthétiques, mais provenaient d’une assurance solide, d’une estime ancrée très profondément, enracinée en eux dès l’enfance par l’amour inconditionnel de leurs parents. Et cela expliquait aussi pourquoi des types comme Vittorio Gassman, Mike Brandt, des acteurs et des actrices très beaux ne se supportaient pas. Alleluia !

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19 mai 2018 6 19 /05 /mai /2018 00:46

Un des amis de Brian lui parla de Pennac. Brian avait lu les Malaussène ado et il pensait qu’il prendrait désormais moins de plaisir à leur lecture. Il avait cependant aimé « Chagrin d’école ». Il avait été touché qu’un homme comme Pennac, qui finalement n’avait pas subi grande violence et grand échec, souffrait malgré tout encore de sa relégation quarante ans après, et cela malgré sa réussite professionnelle, sa vie affective, la reconnaissance sociale, l’argent la célébrité, l’élection à l’Académie Française.

Qu’était le sort de Brian à côté ? C’était une destruction en continu de la psyché, telle celle subie par Alejandra dans « Después de Lucia », mais sur cent fois plus de temps. De tant de violences, on ne peut survivre, ou on devient fou normalement, et il ne comprenait pourquoi il restait cohérent, lucide, pourquoi il pouvait communiquer, plus qu’avant en fait, après être resté un muet docile, puis un muet violent pendant tant d’années. Son ami lui parla d’un livre « Le service militaire au service de qui ? » de Pennac. Ca plaisait à Brian. L’armée était ce qu’il y avait de pire dans la destruction de l’intelligence et de la sensibilité, dans l’annihilation de l’originalité, de la pensée personnelle, dans la soumission imbécile à l’autorité, la déresponsabilisation collective par la lâche réduction du « je » au « on ». Les types tuaient, et ils se justifiaient, se dédouanaient par un si facile « Puisque les chefs me l’ont ordonné, c’est que c’est bien ». On avait pas tiré les leçons de Hannah Arendt, ou de Alice Miller. Manifestement, on en était loin. L’armée encourageait à faire ressortir le pire de l’homme. Tout système, institution cependant, qui brise l’expression personnelle aliène l’homme et le rend servile, étranger à lui-même. Le père de Brian l’enhardissait à être toujours plus docile, quand Brian souffrait de sa trop grande docilité qui le bridait, le brimait de l’intérieur, tel un viol psychique, et sa devise, tirée des Jésuites –il avait été dressé au martyr par les Assomptionnistes, quand la mère de Brian avait été dressé par un père militaire- c’était « perinde ac cadaver » « obéis comme un cadavre ». Il faut avouer, mais n’avouons pas, car ce n’est pas une faute, il faut reconnaître que cette devise n’encourage pas l’individuation, l’affirmation de la personnalité.

 

Brian eut envie de relire quelques passages de Marc-Aurèle après la lecture d’un article dans Philo magazine dans lequel une femme racontait qu’il l’avait sauvée, mais « Les Pensées » le laissaient perplexe. Quelque chose de forcé, de désenchanté lui déplaisait, une sagesse triste, et un mépris du corps, une valorisation excessive de la raison. Et puis, si la vie vaut la peine d’être vécue, il n’est pas indifférent que nous vivions un, dix, ou cent ans. Si c’était vraiment le cas, nous devrions tous nous suicider pour retrouver le cher principe le plus tôt possible. D’autre part, la croyance en la Providence est bien suspecte. Si tout est toujours bon parce que toujours conforme (comment pourrait-il en être autrement) à la nature du Tout, il est difficile d’envisager la légitimité de la révolte, ou alors dans sa relativité générale, pas dans son contenu particulier mais parce qu’elle est englobée dans la nature du Tout. Mais cela signifie que tout se vaut, le nazisme comme ceux qui le combattent, toute action étant toujours conforme à la nature du Tout, ce qui est problématique, et très choquant. Et la possibilité de s’éloigner de l’action juste, et donc aussi d’y revenir, et donc la liberté, est également difficile à envisager dans ce Cosmos Providentiel où tout est toujours bien et ce qu’il doit être

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19 mai 2018 6 19 /05 /mai /2018 00:44

Lorsque tous furent de retour dans leurs tanières, grottes et chaos respectifs, stressés quans même parce que, malgré leurs précautions de professionnels, le gros type ciblé et ses hommes allaient focaliser l’attention du public, des médias, de la police sur les mystérieux meurtriers, Brian alluma la radio et chercha à se distraire grace au programme de France Culture, une émission spéciale sur Carlos Castadena. Ca tombait bien. Il danserait ensuite pour se délasser et entrer en transe en se connectant au Buddha Bar via Radio FG

Tout se passa sans accros. Juste quelques vertiges, prononcés, lorsqu’il tournoya longuement sur lui-même comme un derviche tourneur ou les adeptes de danses chamaniques. Un peu dans le brouillard, il se coucha. Peut-être avait-il trop forcé ? Il avait peut-être également réactivé une ancienne blessure, à l’oreille interne, qui lui avait autrefois donné une sorte de mal de mer constant, la vision floue et flottante, jusqu’à ce qu’un kiné lui permette d’en résorber les symptômes. Ou peut-être était-ce la conséquence de la tension des événements, des risques encourus et des forces futures à éviter ou anéantir. Il finit par s’endormir. Le lendemain, tout lui parut normal. Nulle métamorphose ou bizarrerie Kafkaïenne pour chambouler le quotidien. Il prit du café. Son estomac en tolérait à nouveau une petite quantité, qu’il régurgitait à chaque fois qu’il la dépassait. Et il la dépassait presque toujours. Alors il vomissait aux toilettes, et à chaque fois, il le savait. Ce n’était pas agréable, mais il s’en foutait.

Il sortit, ferma la porte à clé et, dans la rue, commenca à marcher. Et là un truc bizarre. Il tanguait, de droite à gauche, comme un homme îvre, impossible de marcher droit. Lors du précédent trauma crânien, qui lui avait bousillé l’oreille interne, tout tanguait, sa vision était brouillée, mais il marchait droit. Là, il dérivait, glissait d’un côté puis de l’autre. Bordel, qu’est-ce qu’il lui arrivait. Il téléphona à son médecin qui l’envoya aux urgences. Là, il fit un énième scanner, et on ne décela ni hémoragies, ni hématomes. Après avoir affolé les infirmières, en soins intensifs, tout excitées à la vue de son torse viril, et être resté un temps en chambre individuelle, il fut installé dans les couloirs, par manque de place. Les infirmières lui proposèrent d’y passer la nuit. Brian déclina et rentra. Eh bien, il le regretta. On se fait toute une idée des choses parfois, et c’est pas si terrible. Quand nous voyons des éclopés agonisant dans les couloirs des urgences à la Télé, on se dit que c’est sinistre et un violent et indigne spectacle. Mais Brian s’y était senti mieux, seul sur son lit à attendre un diagnostic angoissant, avec de la souffrance tout autour, que seul chez lui. Là il y avait au moins de la vie, des êtres humains, de l’animation, des infirmières et des médecins aux petits soins. Peut-être ne connaîtrait-il le bonheur qu’en phase terminale d’une maladie quelconque, entouré de femmes soignantes gentilles et dévouées. Il les ferait rire, les attendrirait, les peloterait au passage, coucherait, s’il le pourrait encore, avec les plus généreuses et attentionnées, tomberait peut-être, sans doute, amoureux une dernière fois, et s’éteindrait dans la ouate et un semi délire. Une fin un peu Proustienne d’asthamatique bourgeois, Malheureusement, il était plus probable qu’il terminerait sous les balles et les coups de couteaux qu’il avait su esquiver jusque là, comme Ueshiba, d’une façon moins noble et plus lâche, mais aidé par le même Esprit, la même Force.

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18 mai 2018 5 18 /05 /mai /2018 22:22

L’équipe constituée, et Dieu sait si Brian n’avait pas l’esprit d’équipe et haïssait les groupes, il était temps de passer à l’action.

Ils arrivèrent sans encombre à proximité de la villa de Jolloré. Une dizaine de gardes du corps à éliminer. Entrer dans les détails pour démonter les stratégies employées pour désamorcer les alarmes, s’approcher furtivement, et entrer dans l’arène, n’a aucun intérêt. On a, 10000 fois, raconté ces choses. On peut néanmoins entrer un peu dans les détails pour l’exécution car, leur étant spécifique, elle peut receler quelque originalité.

L’espagnol trancha la gorge de trois gardes après les avoir martelés de coups de poing. Sa boxe anglaise était remarquable d’efficacité.

L’indonésien, armé de ses kerambit, tua cinq types. Il glissait, rampait, se redressait, et éliminait. Il excellait par la variété de ses coups, et par des clés et projections typiques du Silat, grâce auxquelles il brisait poignets, coudes, doigts, genoux, vertèbres, nuques, mâchoires, ou gorges.

Le Monstre, par sa force brute et sa férocité écrasa les trois colosses chargés de la protection rapprochée de Jolloré et s’occupa lui-même du traitement spécial qui lui était destiné. Brian lui avait laissé carte blanche. Alors, il lui scia bras et jambes, le maintint en vie en cet état, et le sodomisa à l’état de tronc. Puis il lui creva un œil, lui coupa une oreille, lui broya une testicule, fit cogiter Jolloré un temps sur ce qui lui restait comme possibilités et comme organes, et s’occupa du deuxième œil, de la deuxième oreille et  du deuxième testicule. Puis il le pendit à « la grand vergue », avec les quelques morceaux de corps qui subsistaient.

Pour Brian, ce fut plus compliqué. Il parvint, avec difficulté à neutraliser un des deux solides gaillards qu’il avait ciblé. La précision et la rapidité de ses coups ne suffisait à combler son déficit de masse pour détruire les deux blocs qui lui firent face. Et ceux-ci, loin des cobayes figés des cours de self défense, réagissaient. Ils bougeaient, se désaxaient, et cognaient. Avec l’action de ces deux types en même temps, malmené, Brian perdit momentanément l’usage de sa vue, ses paupières clignant avec fébrilité, comme il arrive souvent dans des bagarres de rue, où l’on ne voit pratiquement plus rien et où tout se fait comme à l’instinct, surtout contre plusieurs. Il avait survécu, sans trop de dégâts qu’un visage très tuméfié, à un combat de rue contre sept délinquants quand il en était un lui-même, adolescent, juste avant l’armée. Le pire, c’est qu’il aurait pu éviter la situation, mais comme le leader de la bande lui avait mal parlé, il s’était précipité dessus. Alors tous lui étaient tombés dessus, et il s’en était sorti à l’instinct, sans vraie technique, donnant une sorte de swing dans le tas, pivotant sur lui-même, et, sortant du cercle de ses assaillants, après avoir fait face, il s’était enfui. Il aurait pu sortir son couteau, et aller à l’abordage mais il avait fui pour sauver sa peau. Et son expérience, c’était que se battre contre un si grand nombre  -et il avait eu de la chance parce qu’il n’avait pas été projeté au sol et roué de coups- c’était comme de passer dans une machine à laver, on était bousculé, tiraillé, poussé, on encaissait sans rien pouvoir donner, et on ne voyait plus rien, que des images confuses et indistinctes. Et on ne pouvait s’en sortir que par l’émergence d’une énergie insoupçonnée, une force qui venait des tripes, et on l’avait ou on ne l’avait pas. Et lui l’avait. Et il y avait aussi la chance. Mais ça il ne l’avait pas. Il réussit donc à se mettre sur le côté d’un assaillant (taï sabaki en aïkido), et à lui placer un hiji kime osae solide qui  permit d’amener son adversaire au sol en lui brisant le coude et le poignet droit. Mais au moment où il se redressa, l’autre type le projeta avec une violence extrême sur le sol. Le dos et la nuque de Brian tapèrent sur un nivellement du sol, comme un trottoir, et il fut sonné. Heureusement,, le Monstre débarquait à cet instant et son côté crépusculaire choqua si bien l’agresseur de Brian qu’il en resta paralysé, surpris par le démon qu’il avait face à lui, sorte de Yujiro Hanma au faciès Frankensteinien contre qui il savait qu’il n’avait aucune chance.

Il restait planté là, tétanisé, figé. Le Monstre ne l’épargna pas pour autant, et il lui arracha presque la tête lorsu’il lui pris le cou en « guillotine » pour l’étrangler. Sa victime, complètement passive, n’émit que quelques spasmes, et s’écroula.

Brian, lui, releva partiellement le torse, puis se rallongea, prudent. Il lui semblait ne pas éprouver trop de dégâts. Ses bras saignaient, son dos et son crâne le lançaient. Sans doute un trauma crânien léger mais pas de blessures handicapantes.  

 

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1 mai 2018 2 01 /05 /mai /2018 21:03

Brian repensa à la valorisation de l’homme par l’homme, l’humanisme. Etonnant quand même, parce qu’à y regarder de plus près, l’homme est, de loin, la pire espèce sur Terre, tout à la fois pour les centaines de millions d’animaux qu’il tue, qu’il asservit à des fins utilitaires ou domestiques, et pour ses semblables. Observe t-on dans la nature plus effroyable attitude que l’homme qui, avec force canons, épées, nucléaires, instruments de torture divers, tue et mutile par millions sa propre espèce ? Oui, comme l’écrit Nietszche, l’homme doit être dépassé, ou, selon Brian, disparaître, car il est bel et bien le poison qui corrompt et avilit, dégrade, détruit toute noblesse, toute forme de vie, tout élan sauvage, spontané et libre. Il est l’ennemi à combattre. Seigneur Jedi par ses compétences physiques et intellectuelles, Brian était passé du côté obscur, au service des Sith. Il voulait faire évoluer l’espèce sous un autre mode, ou anéantir une forme qu’il détestait telle quelle. D’ailleurs, Pasolini aussi bien que Mishima pouvaient être envisagés comme des seigneurs Sith. Et l’exigence du Tatenokaï, la Société du bouclier, la véritable aristocratie, Brian désirait la revivifier. Tout plutôt que cette société du spectacle affligeante et bruyante. Une dictature imposant des références culturelles élevées valait mieux que cette démocratie dévoyée, sans vitalité et sans idéal.

Jamais les mots de Tocqueville n’avaient sonné plus juste. « Je voudrais prévoir sous quels maux nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde. Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes afin de se procurer de petits et vils plaisirs dont ils emplissent leur âme ».

 

Le pire, chez l’homme, c’est la bonne conscience avec laquelle il commet les crimes les plus morbides. Autour de lui, bien plus que pour n’importe quel animal, ne transpirent que destruction du psychisme, amoindrissement d’autrui, empiètement sur l’intégrité corporel et spirituel. Il fallait être fort pour résister à tout cela, et en ressortir pas trop brisé.

Et l’esprit moutonnier, conventionnel, qui rendait les hommes, philosophes et scientifiques inclus, incapables, dans leur majorité, de toute vraie contestation, de toute désobéissance civile. Désespérant !

C’était sans doute trop tard pour faire évoluer la situation globale des hommes, englués dans un entrelacs sans issue, les privant de toute expression personnelle, trop occupés par les spectacles infantilisants qu’on leur proposait. C’en devenait tellement débile qu’on en arrivait à un point de rupture nécessaire. Toutes ces émissions populaires, ces téléfilms idiots devaient être interdits, leurs animateurs sanctionnés, et les décideurs supprimés. Il fallait inverser les valeurs. Les hommes étaient actuellement persécutés en proportion de leur différence. Plus ils étaient originaux, critiques, philosophes, préoccupés d’emplir leur vie d’activités épanouissantes, plus on les stigmatisait. Il n’y en avait plus, pour tout secteur, que pour les commerciaux décérébrés, conditionnés pour la TV réalité, le foot et Koh Lanta, Taxi et Fast and Furious, Coe et Hanouna, toute cette bouffonnerie insupportable et permanente inondant télé, radio, net et réseaux sociaux.

Putain, la guerre ! Pasolini et Henry Miller triomphant, et le reste au goulag. On y travaillait.

Et en même temps, Brian se savait plongé dans le côté sombre de l’existence, et qu’un aspect plus clair existait pour d’autres, qu’il percevait parfois lui-même. Idées noires et paranoïa qui s’enracinaient dans l’enfance, impossibles à extirper !

Et ce n’est pas avec le Monstre, et deux tueurs expérimentés qu’il allait extirper le mal et se réconcilier avec le monde. Il dérivait. Existait-il des guides pacifiés ? Dominique en était peut-être un, mais il n’avait été possible pour Brian de ne connaître que cet homme. Ca ne lui suffisait pas. Sa haine et sa colère le détruisaient.

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29 avril 2018 7 29 /04 /avril /2018 21:35

 

Il revit Véronique, trop satisfaite de sa situation pour s’ouvrir à de la nouveauté, et, alors qu’il avait laissé le Cosmos librement décider, et qu’il pensait qu’il ne la croiserait plus, il apprit qu’une occasion se présentait pour recroiser Maria.

 

Il finit « Martin Eden », et sa lecture l’exténua. C’était bon, beau et désespéré. Il y avait trop de similitudes avec sa vie. L’effort harassant pour s’arracher à sa condition, l’inépuisable curiosité intellectuelle en philosophie, littérature, sciences humaines, l’intérêt tout spécial pour la biologie et la théorie de l’évolution, la fierté d’avoir, d’être un corps exceptionnel, l’idéalisation de la femme dont il peinait à se relever, le mépris de sa famille pour ses dons, le seul à croire en ses capacités, la critique du travail abrutissant, le besoin vital d’écrire, les bagarres qui l’avaient enfermé dans  un rôle, la déception et la désillusion confronté au monde étudiant qu’il avait paré de qualités exceptionnelles tant il en avait été éloigné, ou bien la médiocrité, le conformisme, hormis exception, des grands bourgeois, des notables et des professeurs d’université, incapables de pensées originales et qui n’apportent strictement rien au monde, l’accablement, l’épuisement, après tant d’efforts infructueux, et la tentation d’en finir, le désir de ne plus penser à rien, l’aspiration au repos…

 

Seule la gloire à laquelle était parvenu Martin lui manquait, mais, comme dans le livre, et comme Kerouac l’écrit à la fin de « Vanité de Duluoz », au fond « tout ça n’a servi à rien. »

 

Brian s’était reconnu dans le colossal effort de Martin, et comme lui, il était exténué, et aspirait au repos intellectuel, l’esprit saturé par des millions d’idées, de théories. Et cette tentation de plonger dans l’Océan, et de s’y fondre, apaisé,  ne plus rien avoir à penser, à prouver, travaillait Brian. A quoi bon ? Comme l’écrit Sartre, « le génie n’est pas un don mais l’issue qu’on s’invente dans les cas désespérés, ou le désespoir surmonté à force de rigueur », Mais à quel prix se paie ce surmontement. A cotôyer les abîmes et la folie, ou à plonger carrément dedans !

 

Au fond, le vrai monstre c’était lui. Il ne savait rien de la vie ordinaire des hommes, rien du bonheur. Il en avait été tenu éloigné dès la prime enfance par ses parents, et revenir dans la course, dans le flux plus ou moins habituel lui semblait impossible. La voie criminelle qu’il avait choisie confirmait cette irréversibilité de parcours.

 

Le danger, à éliminer des ordures avérées, c’était d’anticiper et de se débarrasser d’ordures potentielles, et finalement, poussant toujours plus loin la quête de pureté, de vices en vices combattus, on en arrivait à tuer quasiment tout le monde, et on se transformait en impitoyable dictateur, en ordure soi-même, et on finissait, comme Saddam ou Kadhafi, par se faire éliminer à son tour par une autre ordure. Etait-ce si important ? L’essentiel, c’était de donner un sens, ou une direction à sa vie. Combattre la société du spectacle, si vulgaire et abêtissante qu’elle dégradait l’homme dans sa dignité, pouvait être un bon motif d’action. Certes, toute révolte, comme l’écrit Laborit dans « Eloge de la fuite », est récupérée et à nouveau soumise à la domination, et à la corruption, mais il est bon que des hommes se révoltent aussi, que s’emportent des Hugo, Zola, Thoreau, que l’on s’insurge contre les prisons, la lobotomie, la psychiatrie, les innombrables injustices et les stupides et hégémoniques préjugés de la foule. Et comme l’homme irrationnel de Woody Allen, comme Marx l’y incitait aussi, ou pourquoi par Fight Club, Brian désirait mettre ses idées en pratique, et réaliser par des actes violents comme l’amorce d’une révolution possible. Comme le dit Gandhi, apôtre de la résolution pacifique des conflits, « s’il n’y a d’autre choix qu’entre la violence et la lâcheté, je préfère encore la violence ».

Aidé de trois hommes dangereux, il se débarrasserait de Jolloré, puis d’un autre puissant, et encore d’un autre, et peut-être, il ne s’arrêterait plus, et comme les dictateurs fous, finirait-il, dans la paranoïa, par tuer ses amis, par tuer tout le monde, et las animaux, qui sont très violents, également, ou bien, comprenant que la violence est inhérente au fait de vivre, finirait-il, comme les bouddhistes, par condamner la vie, et alors soit se tuerait, soit se retirerait du monde, soit s’accommoderait de cette guerre perpétuelle. Impossible de savoir. La seule certitude, c’est qu’il désirait combattre, et extérioriser le bouillonnement intérieur qui, d’une façon ou d’une autre, le rattachait à l’aventure Malouine, spirituelle, intellectuelle, guerrière, commerciale ou voyageuse, en tout cas radicale, illustrée par Chateaubriand, Surcouf, Duguay Trouin, Jacques Cartier, Maupertuis ou La Mettrie, et il se sentait prêt à reprendre le flambeau.

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