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12 mars 2018 1 12 /03 /mars /2018 20:52

Laurent Jolloré, grand patron et abrutisseur des masses archétypal, devait animer un séminaire pour motiver ses troupes, en Bretagne, région dont il était originaire. Quelques bouffons vulgaires, dont un manchot, un chti, devaient l’accompagner lors de ce raout. Il ferait l’éloge de son ancien protégé, tué par on ne savait qui, mais « ils allaient payer ces salauds » qui descendirent ce brave Hamdoulah.

Brian, issu de la Bretagne Nord, se dit que c’était le moment pour s’occuper de cette ordure. Il alla à la rencontre du Monstre, car il voulait que celui-ci, en plus de son aide, puisse s’amuser. Il lui lâcherait la bride. Cheminant à travers bois, il alla le trouver, impérial et fou, tordu et serein dans son étrangeté. Vieux camarades de maison de correction, ils n’avaient pas à parler pour évaluer les souffrances subies et se comprendre. Ils se rejoignaient sur leur détestation de l’humain, mais les retenues qui restreignaient Brian, parce que même privé de « témoin secourable » jeune, il avait rencontré quelques personnes dignes et attentionnées, le Monstre n’en éprouvait pas le poids et les tabous.

Il avait manqué de tout, et son mépris pour les hommes était si prononcé qu’il n’avait pas l’envie ou le besoin de les réformer. Ni de les exterminer d’ailleurs. Il les ignorait, la plupart du temps. Il suivait sa voie, indifférent. Et ne s’en souciait que s’ils entravaient ses désirs et menaçaient sa façon de vivre.

Quelque part, Brian était plus dangereux, un pied encore dans l’humain, trop pris par ses affects pour se débarrasser d’un passé encombrant. Il était comme ces fanatiques révolutionnaires, ne supportant pas l’ignominie humaine et voulant forcer l’idéal, ayant trop éprouvé en lui-même les bassesses et l’hypocrisie effroyable de l’homme pour envisager une évolution intime parallèle.

Tout à la fois incapable de s’intégrer parce que ne désirant pas l’intégration, ne partageant rien avec ce monde faux, et souffrant de cette exclusion volontaire.

 

Le Monstre était bien plus équilibré, dans la résolution propre de ses conflits. Il n’était pas beau, juste impressionnant, avec un visage intimidant, et un physique dégageant une impression de force extraordinaire, comme on imagine celui de Frankenstein.

A vrai dire, Brian était le seul homme dont il acceptait la compagnie, parce que même en maison de correction, il n’était pas comme les autres, étrange, à la fois violent et attentionné, préoccupé de littérature autant que de combats. Il était une exception, et une énigme pour le Monstre, et le seul qu’alors, il craignait. Il ne le craignait plus à présent. Brian était très fort, mais ses compétences physiologiques restaient dans la norme. Lui en sortait.

Brian avait besoin de lui, pour tuer un type qu’il n’aimait pas, et sans doute, quelques personnes dans son entourage. Soit. Ca ne l’intéressait pas, mais il l’aiderait, et anéantirait ces types. Et même, puisqu'il en était ainsi, leur ferait-il pire que les traitements infligés par les cartels mexicains à leurs ennemis. Il s’amuserait.

 

Il leur restait dix jours pour planifier, préparer. Ce type, Jolloré, devait être protégé par  une flopée de gardes rapprochés. Son séjour serait court. Même s’il disposait d’une villa là-bas, il y séjournait rarement. Il ne resterait que pour le show en soirée, et repartirait le lendemain, après sa ballade habituelle sur les falaises qui longeaient la mer. C’est là qu’il fallait agir.

Les rituels ont du bon, même pour les assassins.

 

Le seul hic, c’est qu’après avoir sauté en parachute et affronté les montagnes à l’armée, Brian avait développé, progressivement, un vertige sclérosant, une véritable phobie du vide. A chaque fois qu’il devait côtoyer les abymes, franchir un pont, l’angoisse le prenait, et il perdait une partie de ses capacités. Peut-être le symptôme déplacé d’un trauma méconnu, ou tout simplement le conflit éprouvant entre l’envie et la possibilité d’en finir brutalement avec la vie, et des résistances psychiques et corporelles à cette fin brutale et sans appel.

Ca allait être périlleux de rester lucide sur ces hauteurs surplombant la mer et d’agir avec efficacité tout en ayant le cerveau et l’esprit figés par la peur. Il perdrait une bonne partie de ses facultés, comme lorsque, au centre de l’attention, se sentant regardé, le jugement et l’évaluation pressentis, supposés, le paralysaient et le plongeaient en état de sidération, d’hébétude.

Peut-être, s’il triomphait de ses peurs, se libérerait-il à la même occasion de ses liens si forts et empoisonnés, et n’éprouverait-il plus alors le besoin, une fois son moi assuré et incontestable, d’éliminer des cibles dont la bêtise et la vulgarité, en même temps qu’elles salissaient le monde, lui donnaient l’impression de le contaminer lui-même?

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14 février 2018 3 14 /02 /février /2018 15:20

 

Brian avait participé à une soirée avec l’association OVS dans un bar du centre-ville, pour l’expérience. Soirée désastreuse. Il n’avait pas connu ça depuis des années. Ils étaient une quinzaine, hommes et femmes, et il n’avait trouvé aucun intérêt à être parmi eux, absolument aucune joie, et éprouvé un immense ennui. D’habitude, même avec des êtres pour lesquels il n’avait pas d’inclinations, il trouvait des accroches. Mais là non. Il avait eu comme le cerveau bloqué. Riche de trop d’idées, le fossé à franchir était trop important. Il s’était vraiment senti un loup solitaire, et complètement indifférent à ceux qui l’entouraient. Il n’était vraiment pas humaniste. Il aimait certaines personnes, mais il préférait chiens, loups, rhinocéros, hippopotames, tigres, crocodiles et dauphins à ces membres de son espèce. Vraiment désappointant. Il s’était fait l’impression d’être le héros de « A beautiful day » au milieu d’esprits de commerciaux gangrenés par la société du spectacle, incapables de pensées complexes, le genre abruti par la TV réalité,  à apprécier « Despacito » et « Fast and Furious », avec qui toute conversation intellectuelle est impossible.

Au bout d’un moment, las, Brian prit sans diplomatie son manteau et partit. Certains participants étaient gentils, mais toute cette médiocrité bruyante donnait à brian l’envie de se battre. La pression montait, et il s’en fallut de peu qu’il ne démonte un maximun de types. Mais ce genre de soirées, ou seul se battre l’intéressait, il voulait le laisser derrière lui.

 

Il lisait un livre sur le bonheur de Russell. Putain c’était bon. Toujours aussi subversif, et tellement meilleur que les bouquins de développement personnel et les niaiseries et platitudes de Mathieu Ricard, du Dalaï lama, d’Eckart Tollé, de Laurent Gounelle, de Christophe André ou d’Arnaud Desjardins. D’ailleurs, ils écrivaient des dizaines de livres ou ils répétaient toujours la même chose, et en plus se permettaient des leçons de morale. Le bouquin de Russell est beaucoup plus pertinent, provoquant, anti-conformisme, et il n’en a écrit qu’un sur le thème. C’est vraiment un livre, accessible, à faire connaître.

En repensant à la souffrance des esprits libres et originaux, dont parle Russell, Brian reprit conscience qu’ils souffraient tous, et étaient toujours rejetés par la masse. C’était logique mais également injuste que les hommes les plus intéressants, minoritaires, soient ostracisés, persécutés par le troupeau, les imbéciles et les ignorants. Galilée, Copernic, Giordano Bruno, Darwin, Freud, Genêt, Miller, Fante, Kerouac, Polanski ou Woody Allen souffraient de l’immonde ignominie des gens ordinaires. C’était insupportable. Si la démocratie, de par sa nature, doit systématiquement conduire au triomphe de la majorité et donc de la médiocrité, et si l’homme supérieur est sacrifié, elle ne peut être un régime satisfaisant. Le but, c’est que tous aient accès à Dostoïevski ou Pasolini, pas que l’uniformisation évolue vers le plébiscite de Koh Lanta, Arthur ou Hanouna, expressions d’un débilité plus tragique que profonde. Ainsi les plus évolués sont ridiculisés, et l’anti intellectualisme, de pair avec l’ultra libéralisme, est toujours plus influent.

Partout, celui qui lit, donc qui s’isole, se soustrait à l’influence du groupe, est mal vu. Brian avait bien connu ça, notamment à l’armée, et dans un reportage sur la formation des CRS, il avait vu un type, plus fin que les autres, d’origine étrangère, qui lisait. Il était le seul parmi les novices, et ceux-ci ne l’acceptaient pas.  Le jour où les masses seront vraiment éclairées, lire ne sera plus perçu comme quelque chose de subversif par nature.

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11 février 2018 7 11 /02 /février /2018 19:00

 

Brian se morfondait dans ses idées noires, comme dans la chanson de Lavilliers, se sentait glisser vers la parano, quand Maharo sonna à sa porte. Lui, d’un esprit plus scientifique que littéraire, gardait le moral. Il  trouvait toujours à s’occuper, et s’il était secoué par quelque difficulté existentielle, allait courir 15km ou enchaînait pompes et tractions. Brian n’était pas homo, mais comme l’a dit Van Damme, on est tous homo, et si le corps des femmes, même lorsqu’il est empli d’imperfections, est  sexuellement plus attrayant, Brian aimait regarder des corps d’hommes en forme, comme doués d’une énergie qui était également la sienne. Or, Maharo était grand, élancé, et ses muscles exhalaient la puissance, la combativité. Il n’était ni trappu, ni bodybuildé, plutôt comme on imagine le physique de Queequeg dans «Moby Dick», ou de Larsen dans «Le loup des mers». Et c’était un plaisir de le contempler.

 

Son ami lui parla d’une connaissance commune qui, trop las des violences vues et son esprit incapable de s’en détacher, avait rejoint le Cosmos sous une autre forme. A chaque fois que Brian apprenait le départ définitif d’une connaissance, proche ou non, ça l’affectait profondément. Même la mort de gens célèbres le remuaient. Amy Whinehouse, Mickael Jackson, David Bowie, Whitney Houston, Halliday, Dolorès O'Riordan, ça le plombait. La mort, merde, la fin de la vie, des rencontres, de l’amour, plus d’échanges avec les femmes. Vraiment terrible.

 

Il était décidément plus proche de Kerouac que de Miller. En plus de sa misogynie, il y a une sorte de distance constante derrière les plaintes incessantes de Miller. Il a peut-être trop souffert dans sa jeunesse, alors il semble détaché de tout. Il est souvent cynique lorsqu’un de ses amis meurt, paraît indifférent, s’en vante même. Pas pour rien qu’il a intitulé sa trilogie « Plexus, Nexus, Sexus » : « Crucifixion en rose » .

Chez Kerouac, comme chez Brian, il s’agirait plutôt de « Crucifixion en noir ». Kerouac était extrêmement tourmenté, et pratiquement toujours îvre. Dans « Vanuité de Duluoz », il écrit que tous ses périples, sa création littéraire, sa gloire, ses efforts, tout ça n’a servi à rien. Miller lui, a vécu beaucoup plus longtemps, et jouissait de sa célébrité. Il n’avait pas recours sans cesse aux substances pour supporter la souffrance. Kerouac n’a pu colmater l’abîme initial parce qu’il n’a pas su défusionner d’une mère envahissante. Il est revenu vivre chez elle, et y mourir. Miller a souffert des insuffisances maternelles, mais il a coupé les ponts rapidement, et comme un héros de Mark Twain, tôt, il a fait sa vie. Il s’est davantage autonomisé, et était ainsi plus blasé que mélancolique. Il était donc également plus libre et moins fragile. Il semble aussi moins fermé, moins mutique, plus sociable que Kerouac.  Mais ses failles, associées à son génie, le reléguèrent longtemps aux marges.

 

Maharo conta quelques histoires de la légion à Brian. Sortis du service, beaucoup de légionnaires se retrouvaient clochards ou allaient en prison. Ils avaient besoin du cadre et ne parvenaient pas à se motiver seuls, à entretenir une discipline personnelle. Cela plus la violence passée et la boisson, et c’en était vite fini de leur superbe, et de leur prestance. Ils perdaient leur silhouette martiale et prenaient une allure pitoyable. Maharo, lui, n’avait pas besoin du cadre. Il avait aimé s’y éprouver, se confronter à ses limites, ses faiblesses. Désormais il se débrouillait sans. Et il gardait son corps affuté, préparé pour la guerre. Sorte de prince du combat, ses qualités auraient mieux trouvé à s’employer en des époques plus lointaines, ou Brian l’imaginait volontiers, tel Sasaji Kojiro, vaquant de combat en combat, bien droit, seigneurial, l’épée dans le dos. Il était taillé pour ce genre d’aventures, aristocrate de la guerre.

Quant à Brian, lui, il restait l’insatiable malouin, toujours insatisfait, épris d’ailleurs, mélancolique, triste et seul. Un vrai breton, comme Kerouac.

 

Il aimait les femmes du Sud. Les filles du Sud-Est Asiatique, les filles des ïles, les espagnoles, les italiennes, les arabes. Il trouvait les anglaises laides et vulgaires, et même les Nordiques, les Scandinaves sur lesquels beaucoup d’hommes fantasmaient, le laissait indifférent. Certes, la beauté de belles blondes aux yeux bleus était parfois impressionnante, mais ça ne le touchait pas. Il avait une inclination particulière pour les femmes arabes. Il les trouvait chaleureuses. La peau mate le réchauffait, même mentalement. Elles étaient souvent énergiques et gentilles, ce qui pour des Occidentales est plutôt contradictoire. Il aimait leur physique, leurs manières gestuelles très expressives. Lui, breton, ne parlait pas avec les mains, et c’était un plaisir de les voir se mouvoir. Et puis, les françaises issues des pays arabes sont partagées entre deux cultures, et ont donc souvent des problèmes d’identité, et cette fragilité liée à la quête identitaire leur ajoutait encore quelque chose, et touchait Brian qui, pour d’autres motifs, partageait cette faille.

La grâce toute royale de certaines arabes, la dignité princière de leur port, et le haut degré de raffinement, d’intelligence, et de sensibilité qui émanent de leurs visages et de leurs expressions l’incitaient, lui le breton, à voyager vers le Sud, et à sortir de sa forteresse Malouine, à s’élancer vers des femmes complémentaires, aux visages moins bornées, moins dures et granitiques, plus colorées que les femmes de sa région. Ceci dit, les bretonnes peuvent également avoir du charme, notamment pour les hommes du Sud, et même Brian était parfois touché par une belle Nantaise au style typique du coin. Ca lui arrivait, aussi, mais moins souvent. Il préférait la chaleur au froid, et l’impression de chaleur générée par l’aspect physique, même réduite à être une impression illusoire, lui suffisait. D’ailleurs, elle n’était pas qu’illusoire. Elle était réelle.

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5 février 2018 1 05 /02 /février /2018 11:47

 

Il commencait tout juste à voir. Oui, c’était possible avec les femmes qui lui plaisaient. Il n’était pas le monstre qu’on lui avait fait croire qu’il était. Il s’autorisait juste à y croire, à l’accepter. Mais à cette découverte narcissique, émancipatrice, s’associait l’idée d’une faute, qu’il allait être sanctionné pour cette ouverture, pour cette liberté qu’il s’octroyait, se découvrait, redécouvrait, car il ne pouvait se permettre de s’estimer aimable. Il ne l’était pas. Il était monstrueux, et se laisser aller à penser qu’il pouvait être désiré, aimé par de belles femmes était une transgression. D’où venait tant de violence, uen telle haine de soi, une telle faille narcissique ? D’un abîme de souffrance qui lui barrait la route de la réconciliation.

Sans amour propre de base, il était dépendant du regard de l’autre, prisonnier de son évaluation, de son jugement. Il n’avait pas d’existence, d’individualité bien définie, d’où un besoin de reconnaissance viscéral. Cela avait généré un colossal effort de compensation, qui l’avait rendu extrêmement fort sur les plans intellectuels et physiques, mais qui, quête sans fin, se révélait inutile pour se libérer de ses peurs, de ses obsessions, de ses traumatismes. Le mal, il luttait contre, mais il ne le coupait pas à la racine.

 

Brian s’était inscrit à un atelier de théàtre. Etre au centre de l’attention lui posait problème. Il détestait ça, et voulait travailler dessus. Passer de l’ombre à la lumière.

 Lors de cette journée, il avait de nouveau fait une rencontre marquante. Il s’était senti pris d’intérêt pour une médiatrice culturelle, Véronique, qui assurait le lien entre la metteur en scène et les stagiaires. Il voulait la revoir, mais ne savait pas grand-chose sur elle, si elle était mariée, avait des enfants, ni comment créer l’occasion. Il voulait donc la revoir, et ne souhaitait même pas parler de lui-même ou se faire reconnaître par elle. Juste la voir, l’entendre, et en profiter.

Il s’interrogeait. Parfois, une femme se distinguait des autres femmes et il y avait comme un contact d’âme à âme. Le physique de la personne plaisait, sa voix, sa manière de parler, de bouger, et surtout, on ne se sentait plus seul en sa présence. Mais pourquoi les femmes qui éveillaient ainsi Brian, le ramenaient à la vie, étaient-elles si rares ? Les autres femmes continuaient, autour, à exister, mais Brian se sentait seul avec elles. Et depuis qu’il s’était imprégné du physique et de l’aura de Véronique, son image revenait sans cesse. Alors faillait-il s’efforcer de chasser le flux continu de souvenirs et de projections, le prolonger et s’y complaire, ou prendre du recul, l’accepter et, sans lutter contre, l’observer ? Il fallait surtout revenir au réel et revoir Véronique. Finalement, Brian trouva le moyen.

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17 janvier 2018 3 17 /01 /janvier /2018 20:04

 

Au fond, la seule chose qui intéressait Brian, les femmes, était la seule qui incessamment lui échappait. Il y avait là comme une malédiction, une fatalité, une tragédie. Il en avait eu, mais pas celles qu'il voulait. Et quand des femmes qui lui plaisaient lui disaient qu’il leur évoquait son ex, il entendait, mais ne parvenait pas vraiment à y croire, tant son image de soi était détériorée. Désormais, il avait l’impression qu’il ne charmait plus les jeunes filles. Il ne savait pas comment vivre avec ça, avec cette conscience d’être passé à côté de tout, et cette souffrance permanente, quotidienne. Comme l’écrit Romain Gary « Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable ».

Il ne pouvait, quand il était plus jeune, draguer, tant sa crainte d'être rejeté était intense, et lorsque les femmes l'abordaient, le sollicitaient, ce qui sauvait son narcissisme, il était bloqué pour deux raisons. D'une part, il se disait qu'elles pouvaient être séduites de loin, mais qu'elles s'apercevraient à quel point il était idiot, stupide, et vide, si elles s'approchaient. Et puis, le rapprochement des corps générait en lui une angoisse insoutenable. Il était submergé par l'émotion. Ca le dépassait, et il était poussé à s'enfuir, comme si la présence du corps féminin, du désir féminin, était intrusif et l'agressait.

Et il lui avait fallu des années pour surmonter tout cela.

Heureusement, en s'ouvrant, les possibilités de rencontre se multipliaient à nouveau. Il n'était plus la bête sauvage qu'il était autrefois. Il avait récemment eu un bon contact avec une femme mi yéménite, mi indienne, rencontrée dans un bar. Et une femme dont l'expression des yeux était formidable, et douée d'intuition comme si elle était une âme soeur, l'avait poussé à s'exprimer et à sortir de lui-même, ce qui lui avait apporté bien plus que son entraînement ou ses lectures quotidiennes, mais avait aussi appuyé là où ça faisait mal, lui avait révélé une nouvelle fois comme il souffrait de ce qui lui manquait. Il en avait perdu le goût de lire.

Il était temps de repasser à l'action.

Il avait laissé passer le temps avec Maria et il avait des infos qui lui laissaient peu d'espoir. Comme dans la chanson de Johnny Hallyday, "Oh Marie... Evanouie mon innocence, tu étais pour moi ma dernière chance, peu à peu tu disparais, malgré mes efforts désespérés".

Et Clara, dont il avait besoin, à qui il aurait pu apporter des choses, qui aurait pu lui apporter beaucoup, ne lui avait laissé aucune chance.

Dur de repartir. Buter Laurent Jolloré avec le "Monstre", c'était aussi redevenir un guerrier froid, fermé, implacable. Il le fallait.

 

 

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15 janvier 2018 1 15 /01 /janvier /2018 19:45

Les séries américaines avaient aussi ouvert l’esprit de Brian. Elles touchaient son humanité.

 Il y avait eu « Friends » avec sa bonne ambiance. Il était amoureux de Rachel à l’époque.

 Il aimait, dans « Desperate Housewives », les secrets cachés par les personnages ou les familles, auxquels il s’attachait.

Dans les « Sopranos », il y avait l’impossibilité d’être soi, les mafieux prisonniers d’un rôle, la psychanalyse de Tony.

Les red neck devenaient sympas avec « My name is Earl » et l’idée du Karma, avec le personnage principal qui établissait une liste de toutes ses erreurs et tentait de rattraper tous ses méfaits passés était une bonne trouvaille scénaristique.

Dans «six fith under », le seul homme qui comprend l’héroïne artiste, qui lui est attentif, c’est un commercial de droite. Il est vraiment là pour elle, et l’amour se fout des étiquettes.

Dans « New orange is black », chaque personnage secondaire devient le personnage principal, et révèle une histoire riche et émouvante.

Dans « Dexter », Brian aimait le rapport au père. D’abord, l’obéissance étroite à ses règles, ensuite le questionnement et la révolte, puis la réconciliation distanciée avec son héritage. Et le succès de cette série s’explique parce que la plupart d’entre nous joue un rôle social, porte un masque, se sent différent, et craint que son côté « Hyde » soit exposé.

A l’inverse du héros de la série, psychopathe qui manque d’émotions et qui joue, pour s’adapter, à en avoir, Brian souffrait d’une sensibilité extraordinaire, qu’il s’était efforcé à camoufler, croyant que cette force était une faiblesse.

« Scrubs » lui avait appris des choses. Il était un peu amoureux du docteur Reid, ce qui le motivait à vrai dire. Et puis, la série l’avait rendu plus tolérant. Il y avait une période où il pensait avoir toujours raison, était intransigeant, et n’était pas à l’écoute. Maintenant, il ne cherchait pas à l’emporter dans la conversation. Il était plus attentif à la préservation de l’équilibre de son interlocuteur, et ne cherchait pas à exposer ses raisons si ça lui paraissait préjudiciable. Dans la série, on voit le docteur Cox , sarcastique, se moquer d’une infirmière qui croit en Dieu. Celle-ci lui explique très franchement qu’elle en a besoin, et qu’elle s’écroulerait certainement sans cela. Le docteur Cox est stoppé dans son ironie. Brian s’étit dit qu’il laisserait leurs illusions aux gens si elles leur étaient nécessaires et s’ils ne pouvaient leur apporter mieux.

Dans « Rectify », il y avait l’amitié en prison, la difficulté de repartir vers la vie après tant d’isolement. Son ami, exécuté, lui apparaît en rêve. Daniel lui dit « je ne sais pas si j’y arriverais », son ami lui répond « je ne t’en voudrais pas ». Et puis, Daniel est sympathique, très littéraire, aussi. Il y a une belle rencontre avec la femme de son demi frère.

 

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7 janvier 2018 7 07 /01 /janvier /2018 23:55

Brian avait lu un article sur Paul Auster qui l’avait déprimé. Auster écrivait qu’il était important, pour l’enfant, avant le développement de l’intérêt érotique, d’avoir des amis. Brian n’avait, dans sa jeunesse, connu ni l’un ni l’autre. Il se demandait comment il avait survécu à tout ça. Il en avait marre du reste, depuis longtemps.

La réouverture de ses plaies, avec Maria, puis Clara, avait ravivé ses manques, et enclenché l’urgence de vivre.

 

Relisant « Le loup des steppes », il s’était apercu qu’il était devenu le loup. Mais il y avait des différences aussi. Hesse avait ses naïvetés. Il restait prisonnier des croyances de son monde. Brian n’était pas rentier, lui. Tout le développement sur le suicide dont l’idée aide le loup à vivre est très théorique. En réalité, lorsque l’on est prêt du suicide réellement, ce n’est pas la même histoire. Et puis, Hesse tente de réconcilier la « Sainteté » et la « Sensualité », qu’il continue d’opposer en quelque sorte. Il ne voit pas que s’efforcer à la Sainteté est rester prisonnier d’un idéal du moi, et que refuser la sensualité, la sexualité, non seulement n’est pas une bonne chose, mais est un crime contre le désir, la vie, donc même contre l’Esprit. Etre contre l’amour, y compris charnel, c’est rejeter le meilleur, et offusquer Dieu ou les Dieux.

 

Brian évoluait à différent points de vue. D’abord, il savait que la première impression était souvent trompeuse, et qu’il fallait attendre un peu, laisser sa chance à la personne rencontrée. Puis, il n’était plus prisonnier d’un type féminin. Il appréciait des femmes dont les morphologies s’éloignaient de son genre habituel, des femmes plus grandes que lui par exemple.

 

Il essayait également de se concentrer sur les personnes avec qui il était. Avant, quand il se trouvait en compagnie d’êtres qui lui étaient indifférents, et qu’il voyait une jolie femme passée à côté, il se désintéressait des gens avec qui il était, ou bien, il ne pouvait détacher son imagination d’une femme à laquelle il pensait, et s’absentait psychiquement du lieu. Maintenant, il se disait que dans le moment, la personne qu’il côtoyait était la plus importante, que le reste, la femme désirée, était peut-être une illusion, le fruit d’ajouts subjectifs, mais qu’il pouvait apporter quelque chose d’unique dans le réel, que peut-être, l’échange sauverait la vie de la personne présente, ou qu’elle sauverait sa propre vie.

 

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7 janvier 2018 7 07 /01 /janvier /2018 22:21

D’autres souvenirs affluaient.

 Ces sœurs jumelles qu’il faisait rire avec ses pitreries à la maternelle. Cette fille qu’il avait aimé pendant le primaire mais, bamban honteux, dont il n’avait pu s’approcher. La sœur de son meilleur copain de centre aéré qu’il revoyait tous les été.

 

 Il y avait cette charmante blonde, Kathy, qu’il avait rencontré en camp de vacances dans les Alpes. Il n’avait pas osé l’aborder. Elle le regardait, lors de la soirée qui clôturait le séjour, dansant un slow avec d’autres (et tu danses avec lui…). Un de ses camarades avait dit à Brian que s’il ne se dévoilait pas, il le dirait à Kathy. Qui sait, peut-être avait-il pressenti une opportunité ? Mais Brian lui avait répondu de ne pas le faire, tant son angoisse était intense. Il ne pouvait s’approcher ni se laisser approcher par une femme dont il était attiré car l’émotion générée par la proximité des corps le submergeait. Et si son copain avait dit à Kathy que Brian l’aimait, le stress de Brian aurait été bizarrement insoutenable, et il aurait certainement fui.

 

Il y avait une fille d’amis à ses parents, qu’il avait rencontré à 16 ans, de 6 ans sa cadette. Elle pratiquait la danse classique. Il avait été touché par son charme et sa fragilité. Il voulait la protéger, mais comme il ne pouvait montrer ni émotions ni sentiments, il l’avait ignoré lors d’un moment ou elle avait réclamé son attention. Brian en avait été malade une bonne semaine. Il avait à l’époque une bague taoïste noire et blanche qu’elle lui avait demandé. Il lui aurait bien donné mais il n’avait pas osé, car il aurait montré une sensibilité et donc une espèce de fragilité devant sa famille. Alors, de désespoir et de regret, il l’avait ôté de son doigt, rangé dans un tiroir et s’était promis qu’il ne la remettrait pas, mais la réserverait pour cette fille quand il la reverrait. Mais ils ne se revirent qu’une seule fois, un an après. Brian appris par la suite qu’elle pratiquait l’athlétisme. Il avait été un peu déçu.

 

Il y avait eu cette Bulgare, la femme d’un ami philosophe, qui lui avait dit un jour, alors qu’elle le quittait après une soirée, « on t’abandonne », avec gentillesse et regret. Elle l’avait compris. Il aurait aimé lui dire que ça l’avait touché, sur le ton de la plaisanterie enjouée que ça lui déchirait le cœur et l’âme.

 

Il y avait cette jolie étudiante orthophoniste, qui mangeait dans le même resto U. Elle le regardait et n’avait pu se contenir. Elle s’était déplacée et lui avait demandé si elle pouvait manger avec lui. Il avait opiné. Ils avaient bavardé, mais il avait été froid. Ils avaient parlé de psychanalyse. Elle lui avait demandé pourquoi ça lui plaisait. Il lui avait dit, neutre, que c’était intéressant, sans s’ouvrir à rien de personnel. Il s’était fermé, incapable de s’abandonner un peu. Elle l’avait ressenti. Il ne voulait pas aller plus loin, pas prêt.

 

Il y avait eu cette prof de danse de salon, extrêmement belle, qui évoquait pour lui une figure italienne, une héroïne de roman russe. Ils s’étaient croisés, et elle avait insisté pour qu’il danse avec elle. Finalement, pour une fois, il s’était déplacé. Mais il ne l’avait pas regardé, bêtement. Il avait fui son regard, pour lui montrer qu’il la respectait, qu’il n’était pas lourd. Une erreur de plus.

 

Et puis cette philosophe catholique, qui était impressionnée par son parcours et n’avait cessé de lui parler de sexe, chez elle, ou cette autre philosophe, juive, impressionnée elle aussi par sa force morale comme elle disait, qui insistait beaucoup sur le sexe aussi.

 

Il avait rencontré une guadeloupéenne quand il fréquentait encore l’aumônerie des étudiants. Elle était très sensuelle, mais, bizarrement, désirait rentrer dans les ordres. Elle lui disait qu’elle était contente de le voir, à chaque fois, et lui avait demandé un massage. Il n’avait pas réagi. Il avait perdu le contact. Il espèrait qu’elle profitait des plaisirs terrestres plutôt que d’y renoncer, cloîtrée.

 

Lorsqu’il surveillait des examens de caplp français/histoire géo, il avait rencontré lors de 2 sessions différentes 2 étudiantes. L’une d’elles, juriste, désirait être juge des enfants. Elle lui avait dit qu’elle préférait les hommes plus âgés, comme lui. Elle le voyait lire « 3 essais sur la sexualité », et rire, quand il contrôlait le bon déroulement des examens, et lui avait dit qu’il deviendrait fou à force de lire Freud. Il n’avait pas répondu à ses sollicitations. Il ne la trouvait pas si attractive que cela, mais en y repensant… Une fille assez jolie, intelligente, réceptive. Tout de même.

Par contre, il avait ressenti une forte attirance pour l’autre jeune femme. Il y avait quelque chose avec elle. Elle lisait John Irving, et, le voyant lire Dostoïevski, lui avait dit que son père le lisait aussi. Bon point. Mais il n’osait pas la regarder, lui montrer d’ouverture, de crainte d’être rejeté sans doute. Alors, la durée des examens passa et ils se séparèrent. Il en fut anéanti quelques jours. Finalement, il la revit à la gare de Poitiers une année après. Un de ses oncles était mort. Elle allait à l’enterrement, puis partait étudier en Grèce. Mon Dieu, qu’elle était belle ! De retour chez lui, il chercha son numéro, et l’appela. Il lui dit qu’il avait été attiré par elle, qu’il était soulagé de le lui dire, qu’il se débarrassait d’un fardeau. Elle fut surprise. A ce point là ? C’était trop tard. Il aurait été préférable de lui dire en face, à la gare. Mais était-il monstrueux, lui ferait-il peur ? Il se savait beau, et pourtant toujours cette angoisse le travaillait. Crainte, pitié, mépris, il ne voulait pas voir ça dans les yeux des femmes. Ce n’est d’ailleurs pas ça qu’il voyait, quand il les regardait.

 

Il y avait eu , cette prof de philo d’origine coréenne. Brian aimait bien les coréennes. Apparemment, les femmes coréennes, comme les femmes peintres, l’aimaient bien aussi. Allez savoir pourquoi. Elle l’avait soutenue, voulait travaille avec lui pour un projet de master. Une belle femme, très intelligente, très énergique, un alter ego peut-être. Elle lui avait montré qu’il lui plaisait, l’avait même valorisé, et c’était rare de sa part. Il était passé à côté.

 

Il y avait cette fille, qu’il avait rencontré dans une formation pour jeunes diplômés. Elle était médiatrice culturelle après des études de socio, était passionnée par le jazz. Jolie, névrosée. Ils étaient sortis ensemble. Dans un bar, le soir, ils discutaient, et une femme croyant que Brian ne le remarquait pas, avait fait des signes à cette fille, évoquant l’idée d’y aller, de « l’attaquer ». Sortis du bar, elle l’invita chez lui, et il déclina. Il ne voulait pas la déranger. « Mais tu ne me déranges pas », «  Mais je ne veux pas te déranger ». Malentendu. A la fin de la formation, après être sortis plusieurs fois ensemble, elle vint à lui tandis qu’il s’accoudait au comptoir d’un bar. Il se mit à délirer, à partir dans son trip légion, « j’aurais dû crever à la légion », il lui dit, sous entendu, « c’aurait été mieux d’y crever que de pas pouvoir m’ouvrir et coucher avec toi», qu’il ne lui dit pas. Elle lui répondit : « Je suis là ». Il lui dit qu’il ne pouvait s’expliquer, et partit. Il la revit une fois, dans un bar, chacun avec une compagnie différente, et c’est tout. Il aurait bien aimé la revoir.

 

Il avait, également, rencontré une jeune femme lors d’un remplacement comme prof de philo à Parthenay. Une jolie fille, un peu gitane, un peu indienne, un peu punk, dont il aurait bien aimé connaître la vie. Ils s’était assis à côté d’elle à la terrasse d’un bar, le skipper. C’était la veille de son premier jour de classe, et il était mort de trouille. Etre prof quand il ne supportait pas d’être regardé, évalué, jugé ! Enfin, il avait soupiré, elle aussi, et ils s’étaient parlés. Elle aimait la philo, et les hommes qui en faisaient. Elle, avait quitté l’école assez tôt. Brian aurait aimé lui dire que lui aussi, avant une reprise d’études, mais il ne voulait pas rentrer dans les détails. Il ne lui dit pas. Il la revit plusieurs fois. Elle semblait chercher une reconnaissance. Il eut l’impression de quelqu'un de sensible, qu’on n’écoutait pas vraiment quand elle pleurait. Il y pensait. Ca le touchait. Et elle était belle, elle lui plaisait. Elle l’avait invité dans un collectif d’artiste. Elle était un peu peintre, photographe, avait été prof de théâtre. Des cours de théâtre, Brian en aurait eu besoin. Elle était très entourée mais il la sentait un peu triste et incomprise. Il lui ferma la porte quand il sut qu’elle était en couple avec un artiste connu du lieu. Elle lui avait dit qu’elle ne se priverait pas d’une rencontre si ça lui apporterait quelque chose. Etait-ce une invite implicite, ou pas ? Il lui avait répondu, bêtement, qu’il était contre l’amour libre, que la jalousie était naturelle, qu’il ne croyait pas au couple Sartre et Simone de Beauvoir. Il l’avait éloigné sans s’en apercevoir. Puis, quand il la revoyait, il craignait de lui montrer son intérêt par un rougissement intempestif, alors il gardait ses distances. De toute façon, dans une petite ville, elle très connue, avec son copain à proximité, comment l’approcher, comment s’isoler ?

Vraiment, ça aurait pu être une rencontre entre deux solitudes. Il y en avait eu l’amorce et quelques échanges prometteurs et sereins. Il la sentait seule. Au fond, il était plus seul qu’elle, et avait au moins autant besoin d’elle qu’elle avait besoin de lui. Et peut-être même n’en avait-elle pas du tout besoin.

 

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29 décembre 2017 5 29 /12 /décembre /2017 20:54

 

 

Comme Zorba, Brian dansait. Il dansait, même, pratiquement tous les jours. Après tant de violences et de combats, il rattrapait le temps perdu à ne pas danser. Souvent, il désirait s’y mettre une demie heure, et il durait trois, quatre heures, en continu. Il s’arrêtait avec difficulté, car quand il dansait, il était bien.

 

Brian aurait aimé dissiper quelques malentendus avec des filles, des femmes rencontrées.

Il y avait eu tant de ratés.

 

Cette arabe, au Collège, dont il avait frappé un copain, parce qu’il l’interdisait de tricher sur lui. Le gars avait été secoué, le coup de tête reçu lui avait fait cogner un pilier, ce qui n’était pas prévu. Brian avait eu peur, la bagarre de trop. L’autre était traumatisé, secoué de spasmes. Plus de peur que de mal. Le pire, c’est que Brian avait davantage pensé à lui, aux conséquences de son acte pour lui, la prison, et pas au type qu’il avait agressé. Il y pensait avec remords. Et à tous les gens qu’il avait cognés autrefois, soit pas rage, soit pour amuser la galerie, exister aux yeux des autres, puis se conformer à l’image pour laquelle il se croyait apprécier, pour laquelle il était valorisé, préférable au néant dont il sortait. Alors, cette arabe, qu’il aimait, lui en avait voulu, et bien qu’il la faisait rire parfois, il n’avait pas pu réellement la connaître, en être intime.

 

Il y avait toutes ces filles qui lui sautaient littéralement dessus, et qu’il n’avait pas su accueillir. Il repensait souvent à cette charmante blonde, quand il était en cinquième, que tout le Collège courtisait. Il se croyait laid, et son narcissisme enfla lorsqu’il comprit qu’elle le désirait. Le frère de cette fille était venu le chercher et le questionner. Lui, manquait tellement de confiance en lui, qu’il voulait être sûr, certain de la non ambivalence de ses signes. Alors il repoussait, fuyait même, car la proximité l’angoissait. Elle se jeta à son cou et l’embrassa, lui fit un jour des gestes de la main à l’autre bout de la cour, un va et vient entre elle et lui, mais il doutait toujours, ne pouvant comprendre qu’il puisse être aimé, et repoussait au lendemain. Il priait Dieu de la lui donner. Il la lui donna, mais Brian ne put, ne sut en profiter. Il eut l’intuition, lors de la kermesse de fin d’année, qu’il lui fallait absolument la trouver et se déclarer, que son destin s’en trouverait changé. Il ne la vit pas. L’année suivante, elle lui demanda s’il voulait sortir avec elle, il ne répondit rien, il pensait à une autre Un collégien lui dit que c’était la chance de sa vie. Il ne la saisit pas.

 

Il y avait cette brune de type espagnole, très jolie, qui le courtisait, en quatrième. Les autres filles lui disaient qu’elle n’avait aucune chance avec Brian, qu’il était indifférent. Elle le regardait, se penchait vers lui. En fait, Brian n’était pas indifférent.. Il ne pouvait s’exprimer, manifester ses émotions.

 

Il y avait cette rouquine rebelle, un peu punk, sensuelle, quand il était en troisième. Elle ne l’aimait pas, mais elle éprouvait de l’affection, une sympathie pour lui. Il avait été étonné qu’elle sache ses sentiments à son égard. Elle lui avait répondu que c’était évident avec son prénom marqué au cutter sur son bras.

Un jour, à l’internat, dans une salle où ils étaient censés réviser leurs leçons, il dit au pion qu’il devait chercher des livres dans une salle de classe. Le voyant se saisir d’un cutter, elle fut prise de panique, crut qu’il allait se suicider, et courut à toute vitesse le retrouver. Elle arriva, essouflée. Mais l’histoire tourna mal. Un des copains internes de Brian en fit une interprétation grandiloquente. Brian surenchérit et surjoua la scène, pour le faire rire, forçant sur le mime avec humour et dérision. Son camarade rapporta la scène à la keupon, qui crut qu’il s’en était moqué. Elle lui en voulut. Las, il est vrai qu’il désirait capter son attention, mais parce qu’il souffrait vraiment de son manque d’amour pour lui.

 

Et puis, cette jeune femme, lors du mariage de la cousine de Brian. Il en était tombé raide dingue, impossible d’en détacher le regard, malgré ses efforts, comme absorbé. Elle était venue le chercher, lui avait posé le bras sur l’épaule pour danser. Il ne s’était pas levé. Quand le DJ avait demandé s’il y avait des célibataires dans la salle, elle avait levé le bras. Pas lui. Il lui avait envoyé une lettre quelques jours après, et comme il craignait que l’amour pour elle cesse après la perte du besoin de l’aimer elle, il avait, pour contrer Proust, crée un stratagème, s’autopersuadant qu’il était naturel de cesser de l’aimer avec l’éloignement, mais qu’elle était la femme qui réveillerait la flamme dès qu’il la retrouverait. Elle fut toute étonnée de la lettre, et quand il put l’avoir d’une cabine téléphonique, elle lui répondit : « mais tu ne m’as pas parlé de toute la soirée ! »

 

Il repensait à cette jolie lycéenne avec qui on lui avait rapporté que c’était ok, qu’elle était intéressée par lui. Elle l’avait invité à rejoindre un groupe d’amis. Un jour, elle s’assit en face de lui et lui dit en souriant qu’il était froid. Il lui dit que oui, c’était pas sa faute, il était comme ça. Il aurait pu faire de l’humour, répondre qu’il n’était pas si froid que ça, mais non, il ne vit rien.

 

Et puis, une asiatique, dans un resto U, dont il était tombé instantanément amoureux. Il fut foudroyé. Elle était devenue la vie pour lui. Pourquoi ne s’était-il pas levé pour lui parler ?

 Et ces étudiantes qui le sollicitaient, lui prêtaient leurs cours. L’une d’elle, mignonne petite brune typée espagnole, lui demanda s’il prendrait son numéro si elle le lui donnait. Il ne réagit pas. Elle lui enlaca le visage lors d’une soirée de musique traditionnelle et il en fut flatté mais s’en détourna. Combien il le regrettait à présent.

 

Et toutes celles qui ne comprenaient pas sa froideur, sa distance, son côté Harry Haller, qui l’invitaient dans leur chambre, lui prêtaient leurs affaires, le sollicitaient et ne recevaient rien en retour, parce qu’il ne pouvait concevoir que ça lui était adressé à lui, que c’était réel, qu’on pouvait désirer l’homme qu’il était, et ne pouvant s’en persuader, il doutait. Quand elles insistaient pour qu’il passe chez elles, il se voulait gentleman et prétextait qu’il ne voulait pas les déranger. Et toutes les fois ou il avait répondu à côté, ou il s’était comporté à côté. Il se souvenait de cette coréenne, une peintre, à qui il avait parlé d’Im Kwon Taek, et clamé son amour pour Kim Ki Duk. Elle lui avait dit qu’elle exposait à New York. Etait-ce vrai, ou pour attirer son attention ? Elle l’avait invité à danser à plusieurs reprises, et il avait décliné. Elle lui avait dit qu’il était gentil, et il lui avait dit que non, prenant comme une insulte ce qui, dans la bouche d’une coréenne, avait une toute autre signification. Et il ne lui avait pas montré qu’elle lui plaisait, ne lui avait pas exprimé, n’avait pas demandé son numéro. Comme il le regrettait à présent !

 

Et des souvenirs de ce type, il en avait des dizaines, accosté à tous les âges, un peu moins désormais faute d’occasions. A l‘inverse du cliché, la femme proposait, et il n’avait qu’à disposer, mais il ne disposait pas hélas, il laissait couler.

 

Un de ses regrets les plus douloureux concerne sa tutrice de philo, quand il était en première année. Il s’en défendait mais il l’aimait. Ils avaient des conversations sur la philosophie, la littérature. Ils se promenaient ensemble. Elle l’avait invité chez elle, avec ses coloc. Elle aussi lui avait fait visiter sa chambre. C’était, en fait, la première véritable amie de Brian. Il était juste bien avec elle. Un peu avant Noël, elle était venue lui dire à quel point elle était contente d’une soirée passée ensemble. Ils parlaient de Dosto, Stendhal, Hesse, de Kitano, de profs, de potins. Et puis, Brian eut l’idée d’aller la voir avant les fêtes pour lui exprimer sa gratitude. Il prit sur lui, fuma quelques cigarettes, sonna, anxieux, et gravit les escaliers menant à son appartement. Elle le reçut sur le seuil, froide. Elle était avec d’autres personnes. Il eut l’impression qu’ils avaient parié sur combien de temps il tiendrait avant de déclarer sa flamme. Il se sentait humilié. Il bafouilla et partit. Les jours suivants, il avait l’impression qu’il allait s’effondrer dans les rues, tomber à genoux, comme Nietzsche sur lequel elle avait fait son mémoire. Il se retira dans un monastère à Ligugé pour supporter l’épreuve, et préparer les examens de la rentrée. Lorsqu’il fut de retour, sur le campus, elle chercha à renouer avec lui, plusieurs fois, le loua de ses brillants résultat, lui sourit, mais il se ferma complètement. Et il perdit la seule vraie amie qu’il ait eu à ce jour. Il tenta, deux années après, de renouer le contact. Il prit le prétexte d’une lettre qu’il écrivait pour une membre de l’association Teilhardienne, et lui proposa de la relire, elle seule pouvant l’aider à la corriger. Elle lui dit qu’elle était très bien écrite, et lui demanda ce qu’il voulait. Il ne pavint pas à lui dire. Après coup, il aurait aimé lui confier qu’il n’était pas un étudiant ordinaire, qu’il avait été maltraité, puis bouc émissaire mutique, harcelé comme Elephant man par les autres enfants, bloqué par un excès d’émotivité, et que ça avait duré jusqu’au Collège, puis qu’il s’était exprimé par la violence, qu’il y avait trouvé une place, mais qu’il passait pour un abruti et ne parvenait toujours pas à s’affirmer vraiment, qu’il avait redoublé quatrième et troisième, été placé en maison de correction, qu’il avait été viré du Bep de compta ou il lisait Balzac et tentait de comprendre, fasciné, la négation du vouloir vivre, puis replacé en institution, qu’il avait voulu faire la légion, s’était fourvoyé chez les paras puis en infanterie de marine, que lorsque les autres jeunes flirtaient, il luttait pour survivre, dans le froid, au trou, couché sur de la pierre, seul et sans espoir, entouré de brutes bornées qui le méprisaient et cherchaient à le détruire, qu’il avait été à la marge de la marge, qu’il avait connu beaucoup plus de violence que d’affection, qu’elle était sa première amie et qu’il ne savait pas y faire, qu’il n’avait jamais embrassé ni serré une femme dans ses bras, que la vie d’Antoine Doinel, c’était luxe, calme et volupté comparée à la sienne.

Mais il n’avait rien dit. Il en était incapable à l’époque. Et quand ils se revirent, 3 ans après, dans un monoprix, elle fut mal à l’aise, comme touchée, et c’est elle qui le fuit.

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27 décembre 2017 3 27 /12 /décembre /2017 19:31

Il s’était passé quelque chose depuis Maria, une évolution. D’habitude, Brian cristallisait et son imagination, son esprit se fixaient sur une seule femme. Il était très exclusif. Mais là, peut-être parce qu’il se détachait un peu, restait en attente, ne précipitait rien, laissait le Cosmos agir à sa place, il gardait, avec en fond une pensée pour Maria, une attention pour les autres femmes. Jamais il n’avait été séduit par autant de femmes, jamais il n’avait remarqué autant d’êtres de sexe féminin avec qui cela pourrait se faire, avec qui un échange passait.

 

Il avait rencontré une franco-chinoise, Clara, lors d’un cours de danse. C’était assez bizarre. Il avait l’impression paradoxale qu’elle le regardait, attirée, et qu’elle fuyait son contact, sans qu’il puisse comprendre pourquoi. Elle lui avait tout de suite plu. A la fin du cours, un type plus âgé dit à Clara qu’il écrivait et lui donna les références de sa production. Brian aurait aimé lui communiquer ses propres créations, l’intéresser, capter son attention. Il l’entendit parler, la regarda. Puis, chez lui, il y repensa. Il n’était pas certain de la revoir. Finalement, il fut mis en contact avec elle sans savoir d’abord qu’il s’agissait d’elle car il ignorait son nom. Il devait retrouver une femme pour qu’elle le conduise à un stage de danse dans la campagne, et il s’avéra que c’était elle, c’était Clara. Ca tombait bien. Elle amenait d’autres danseurs. Brian s’assit à l’arrière, contrarié par son envie d’uriner après avoir bu des quantités de thé au moment inopportun. Parvenus au lieu du stage, il put se soulager. Ils dansèrent. Elle le regardait, mais pour quelle raison, semblait toujours le fuir à la danse. Elle le vit réaliser des mouvements d’animaux, comme la marche du lézard. Elle lui en parla. Il lui répondit qu’il s’agissait davantage d’arts martiaux que de danse. Elle lui demanda quels arts martiaux. Il lui dit aïkido, karaté, et d’autres apports comme le silat. Alors, enthousiasmée par son passage des arts martiaux à la danse, elle voulut savoir pourquoi il avait évolué vers la danse. Il lui parla de « Timbuktu », du « Locataire ». Elle aimait beaucoup Timbuktu mais elle n’avait pas remarqué la danse du djihadiste. Elle aimait « Printemps, été, automne, hiver », un des films préférés de Brian. Sur le chemin qu’ils empruntèrent pour rejoindre la voiture, elle parut songeuse. Il lui demanda si elle connaissait Ido Portal. Elle le connaissait et ses représentants français. Elle insista à deux reprises pour qu’il fut à côté d’elle dans le trajet retour. Ils parlèrent d’Ido Portal, de biodanza, de la danse gaga. Elle connaissait, et était plus avancée que lui. Elle venait de Paris, habitait Poitiers depuis six mois. Elle écrivait, dansait, et Brian lui répondit qu’il faisait la même chose, qu’il écrivait et dansait, mais pas que ça. Il avait emprunté « Polina, danser sa vie », intéressé par le thème, le passage de la danse classique à la danse contemporaine. Elle l’avait vu et avait été déçue, mais regrettait de le lui avoir dit car en effet il serait influencé. Elle restait un peu distante, semblait se protéger de quelque chose. Parvenu à la gare, ou elle déposa Brian et les autres danseurs, elle lui dit, pour un autre atelier de danse, « A demain ». Brian était stressé le lendemain, mais il se força à se déplacer. Elle n’était pas là. Brian fut déçu, et soulagé aussi, car il aurait été intimidé de danser avec elle, et c’est comme s’il avait déjà une relation plus forte, plus intime avec elle que ce partage dans un cours de danse. C’était Noël. Il lui envoya un message et l’invita après les fêtes. Elle déclina. Il lui dit sa déception. Elle comprit. Elle avait ses raisons. Il fut triste. Elle était une cause occasionnelle, la forme qui, parce qu’il était attirée par elle, lui rappelait qu’il lui manquait l’essentiel. Il était un guerrier entraîné, un intellectuel, mais il lui manquait l’essentiel, l’amour, l’affection, le bonheur. Il ne pouvait être un guerrier indéfiniment ou qu’un guerrier. Certains le pouvaient peut-être. Pas lui. Elle le dérangeait dans sa concentration spirituelle, non pas qu’il veuille être comme Bouddha et qu’elle soit comme un démon sensuel l’empêchant d’attendre le nirvana, annihilant ses capacités de méditation, mais au contraire parce qu’elle le ramenait au plus essentiel, au plus vital et important, le suc de la vie, son charme, ce pourquoi elle mérite d’être vécue. Il la trouvait belle. Elle semblait intelligente, sensible, surdouée. Il pouvait lui apporter des choses en philosophie, littérature, elle pouvait le guider dans la danse. Et il s’interrogeait. Pourquoi avait-elle refusé sa proposition ? Elle avait ses raisons. Evidemment, ça l’avait fait cogiter, et même un peu délirer. Quelles raisons ? Lui rappelait-il son ex ? Evoquait-il un ancien agresseur ? Etait-elle un travesti ? Ou bien malade ? Etait-elle une tueuse payée par les Triades et prise d’affection pour lui, freinée pour le Contrat par son désir ? Allait-il finir par le savoir ? Se rencontreraient-ils à nouveau ? Il l’espérait.

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