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5 mai 2017 5 05 /05 /mai /2017 19:56

 

Tuer pour un tiers, une personne, une organisation, c’est quelque part être un larbin. Si le meilleur tueur ne peut pas refuser 1 contrat parce qu’il craint les représailles, il ne s’appartient plus. Kuklinski tuait pour la Mafia italienne. Il avait une grande réputation, mais il ne pouvait choisir ses cibles, il était sous emprise, et si ses commanditaires lui demandaient de tuer un de ses amis, il s’exécutait. C’est assez lâche. Le mec vraiment courageux, c’est celui qui refuse, la figure du grand banditisme qui répond à une offre : « éliminer ce mec là, ça me dit pas, ce type m’a rien fait, j’ai rien contre lui, il me serait peut-être sympathique si je le connaissais. Donc non, j’y vais pas ». Brian ne voulait être le larbin de personne. On ne lui imposerait rien. Il lui faudrait l’envie, le besoin peut-être, l’inspiration sûrement.

 

De toute façon, si ce n’était le désir de vivre des aventures, de corriger des absurdités sociales, d’éliminer des ordures, Brian savait ce que le métier avait d’intrinsèquement lâche. Pour régler un « problème »,  on préparait, on planifiait, et on partait vainqueur. C’était plus de l’art ninja que de l’éthique samouraï. Si l’on voulait ajouter du piment, on pouvait amener la cible à combattre plutôt que l’éliminer furtivement et sans même qu’elle ait conscience de sa fin, bien que ce ne soit pas professionnel, mais de toute façon, c’était biaisé. Revendiquer l’honneur dans une telle confrontation, c’était du pipeau puisque l’un des protagonistes était généralement surentraîné et l’autre bien moins préparé. C’était plutôt le jeu du chat et de la souris se parant d’un code moral artificiel. Pour une élimination éthique, il fallait que la cible ait une réelle chance. Il aurait fallu affronter des colosses, Jérome Lebanner ou Mike Tyson, face à face. Mais évidemment, cela ne se passe pas comme ça. Et un type qui aurait cette démarche ne durerait pas longtemps, et ne passerait jamais professionnel. Autant s’inscrire à l’UFC pour des confrontations équilibrées. Chacun son boulot.

 

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5 mai 2017 5 05 /05 /mai /2017 01:32

 

J’ai vu un doc sur Gilles Arsène, un homme sympathique, précurseur du MMA en France, et spécialisé en ju jutsu brésilien. Il expliquait que la vraie concurrence pour le judo, ce n’était pas le MMA, mais le JJB et développait d’autres points de vue intéressants. Je voudrais préciser 2/3 idées.

 

Sur le JJB, il était faux de dire, comme le disaient les Gracie en leur temps (ce que ne dit pas Gilles Arsène), que tous les combats vont au sol, et que par conséquent on ne peut pas se battre contre 2 adversaires à la fois. En fait, la perspective du spécialiste en JJB est biaisée, puisqu’il conçoit le combat comme du grappling se déroulant essentiellement au sol, et projette son expertise sur la rue. Mais la plupart des agresseurs dans la rue ne sont spécialistes de rien du tout, ni du sol, ni de la lutte, ni du pied poing. Donc un boxeur peut par exemple mettre ko 2 agresseurs, un judoka en projeter 2 sur le béton sans les accompagner au sol etc… Et bien sûr, un combattant de MMA, polyvalent, aura encore plus d’options.

 

Gilles Arsène dit que l’apprentissage des arts martiaux ne donne pas vraiment confiance en soi, et ne donne pas d’avantages conséquents dans la rue, n’apprend pas à faire face à la réalité, à son imprévisibilité. C’est en partie vrai. Mais il se passe aussi un phénomène fréquent dans l’entraînement, c’est que plus on est fort plus on se sent faible, et on surestime les capacités de combat et de résistance de n’importe quel quidam dans la rue. Un homme immergé dans l’univers du combat, de l’UFC, va imaginer au bout d’un certain temps que tout le monde est aussi fort, aussi endurant, et anticiper une confrontation très dure. Mais les champions, les Rampage, les Dan Henderson ne courent pas les rues. Et la pratique donne bien un avantage important. Un champion de boxe thaï part gagnant contre un homme sans techniques ni conditions, sans muscles ni cardio. Il se pourrait même qu’une seule frappe, un seul low kick, un seul direct dissuade l’agresseur peu préparé. Et même un hooligan habitué à se battre part largement perdant s’il n’a pas l’habitude de subir des coups très durs, ou une projection inhabituelle.

 

Enfin, dernier point, on entend souvent : « Ce qui compte, ce n’est pas la technique, l’art martial, c’est le pratiquant ». C’est faux. Un type courageux qui se sert d’un art peu efficace sera désavantagé contre un art martial plus efficace. Dans les vieux combats entre les Gracie et les représentants d’autres styles, les Gracie gagnaient toujours. Est-ce que les Gracie étaient plus courageux, plus tenaces que leurs opposants ? Non, mais leurs techniques étaient meilleures. Prenez un combattant moyen de MMA avec un mental moyen contre un champion du monde de taekwondo très décidé, ou un expert en wing chun, le combattant de MMA l’emportera très facilement, car ses techniques lui assureront la victoire. Etre fort mentalement, c’est un plus, mais le décisif, ce qui compte, ce qui fait la différence, c’est -avec  la condition physique-  la technique, l’art pratiqué.

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5 mai 2017 5 05 /05 /mai /2017 01:26

 

Vu une interview récente sur Micheline Tissier, qui m’a laissé perplexe. Ca a plutôt tendance à me confirmer dans mon orientation actuelle.

 

Elle parlait de sa passion pour l’aïkido, en employant régulièrement le terme « forcément », comme si l’inconscient émergeait et qu’elle se forçait au fond à pratiquer. Elle disait que la plupart des vieux pratiquants qu’elle connaissait étaient « cassés », et qu’elle-même avait des problèmes à l’épaule et aux genoux. Elle disait que s’il fallait recommencer, elle cesserait les sauts dans la danse et le footing pour s’épargner les genoux, mais pas le karaté, car cela lui permettait de voir les « ouvertures » dans sa pratique de l’aïki. Je me suis dit : Tout ça pour quoi ? Moi aussi, je les vois les ouvertures, et ça sert à quoi ? La voyant pratiquer incessamment les mêmes techniques, Sokumen, ikkyo etc… je me suis demandé quel en était le but.

La démarche pacifique dans l’art martial, et dans l’aïkido en particulier, s’inscrit dans un contexte spécifique. Je suis dans un état où j’ai à me battre souvent, je dois être efficace, je détruis mes adversaires pour survivre. Puis, parvenu à un niveau exceptionnel, au sabre, à mains nues etc… je déambule dans les rues, vois par exemple un ancien adversaire à qui j’ai cassé le cou, paralytique, je culpabilise et me dit : Aurais-je pu faire autrement ? Aurais-je pu l’épargner, atténuer les dommages causés tout en me préservant ? Mais cette démarche s’inscrit dans un contexte guerrier, où il est nécessaire d’avoir à se battre et où l’on peut s’interroger sur ses techniques, leur finalité etc… Et modifier pacifiquement ses techniques est alors compréhensible et louable.

Mais pourquoi pratiquer pendant des années un art de projections et de clés, y compris si cet art est orienté vers la préservation, pourquoi s’y faire mal, dans un cadre de vie relativement apaisé où l’on n’est pas forcé de se battre ? Il n’y a plus de nécessité, d’utilité à la pratique, comme être expert au sabre ou au bâton ne sert à rien aujourd’hui. Alors certes, il y a le plaisir du mouvement, la richesse technique, la maîtrise de la coordination, la sociabilité, mais on peut trouver tout cela dans d’autres activités moins traumatisantes. Donc je repose la question : Pourquoi passer des années à projeter, à se faire projeter, se faisant à se forger le corps certes mais aussi à l’abîmer, et donc à réaliser des techniques que nous n’utiliserons jamais ?

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2 mai 2017 2 02 /05 /mai /2017 22:34

 

L’esprit de Brian revint à Kyrill Hamdoulah. Il était le représentant de ce que Brian haïssait dans la démocratie, le triomphe de la majorité, donc de la médiocrité. Etait-ce plutôt la société de consommation qu’il abhorrait ? Partout, sur les ondes, la TV, le net, une universelle nullité dominait. Les romans plébiscités, les films valorisés, la musique dominante, les essais philosophiques, spirituels dont on louait la sagesse, tout n’était que ressassement et platitude. Des types comme Jean D’Ormesson, comme le Dalaï lama égrenant des formules banales, se répandaient dans les médias, et on les prenait pour des modèles, des génies. C’était exaspérant.

Kyrill, c’était encore autre chose. Un degré franchi dans l’ignominie de la société du spectacle. Comment les hommes pouvaient regarder ça ? Ils n’étaient pas une poignée, ils étaient des millions à participer à l’avilissement, à jouir de l’abjection. Comment était-ce possible? Comment rétablir une saine hiérarchie ? Soit les hommes sont trop abrutis par la société actuelle, leur travail, le déterminisme global de leur milieu, et ils n’ont même pas la conscience d’être abrutis, soit ils s’abêtissent volontairement, soit ils ne peuvent rien faire d’autres que ce qu’ils font. Dans le premier cas, il faut les réveiller par la destruction du système contraignant en place. Dans le second, les hommes montrent qu’ils ne sont pas prêts psychiquement pour le risque de l’individuation, et il faut imposer un nouvel ordre. Dans le troisième cas, les hommes sont intrinsèquement stupides, c’est-à-dire qu’ils font ce qu’ils doivent faire en s’adonnant à l’infantilisme et la scatologie, parce que cela exprime leur potentiel, parce qu’ils n’ont rien d’autres à donner, à éprouver, à sortir d’eux-mêmes. Il faut donc, là encore, restructurer la société en imposant une aristocratie culturelle, car si les horreurs médiatisées ont leur public, elles ne doivent pas dominer, pas avoir la plus grande part.

 

En tuant Kyrill, Brian croyait qu’il allait réaliser une bonne action. Le problème, c’était le libre arbitre. Si les hommes sont réellement, dans leur majorité, si limités qu’ils passent leur vie à asservir leur attention sur des choses futiles plutôt que lire Dostoïevski ou se livrer à des activités créatrices, c’est peut-être que le corps qui les porte est doué de potentialités extrêmement réduites dont ils ne pourront jamais sortir. Ainsi un présentateur TV ou radio ne pourrait faire que ce qu’il fait, et comme il le fait. Il n’y aurait pas de devoir être. C’est pourquoi un philosophe comme La Mettrie a pu écrire : « Le matérialisme radical est le meilleur antidote à la misanthropie ». Mais alors, tuer des êtres médiocres, bloqués dans leur médiocrité, était-ce juste ? On ne choisit pas plus d’être con que débile léger, et si le con avait la profondeur de Dostoïevski ou de Proust, eh bien il ne serait pas ce qu’il est.

 

Ce qui était néanmoins choquant avec la société du spectacle, c’est que sa vulgarité ne laissait pas Brian indifférent. Elle le choquait, le blessait. Il lui semblait qu’on pouvait se passer d’une telle corruption d’une certaine idée de l’homme, de la qualité de l’âme comme l’écrivait Montherlant, et d’un acharnement systématique contre toute forme de noblesse. Il n’éprouvait pas la même haine et le même mépris à l’égard des animaux, qui étaient également les victimes de la cruauté humaine, et dont le comportement souvent violent était contenu dans une certaine mesure. Et puis, pourquoi serait-ce à l’élite de toujours se sacrifier, de se niveler sur les imbéciles ? Si les idiots ne peuvent comprendre et apprécier certaines subtilités et s’en moquent, s’ils ne pourront jamais y accéder, eh bien qu’ils acceptent de rester à leur place ou qu’on les y maintienne de force. Louis Lambert n’a pas à souffrir la compagnie des brutes, et à sourire à leurs obscénités. Préservons-le ! Et Brian, c’était Louis Lambert forcé à vivre avec des brutes, et malgré son raffinement, il en était devenu le plus  brutal, le plus monstrueusement froid, et implacable.

 

Sa curiosité et ses angoisses l’avait poussé autrefois à étudier diverses voies mystiques. Il en était désillusionné. La philosophie ne lui avait pas appris à vivre et à mourir, la mystique non plus. Est-ce qu’un chat, un chien cherche son vrai Moi, ou le Soi en lui ? Il n’y a que les divagations humaines pour créer, comme chez les hindouistes, pareils délires. Se concentrer sur l’unique nécessaire, Dieu, et fuir le divertissement est chez les Chrétiens un grand escamotage, puisque la mort véritable est occultée et y est substituée une vie éternelle, donc Dieu y est le divertissement suprême. Chez les Bouddhistes, entre autres inepties -primat de la souffrance, suppression du désir pour ne plus souffrir- la plus grande fumisterie, c’est l’ascèse mortifiante afin de se délivrer du cycle des renaissances puisque leur but, on l’atteint tous, bien assez tôt et sans efforts, avec la mort. En réalité, il s’agit d’un stratagème inconscient puisque les Bouddhistes, par cette occultation, sont en fait très satisfaits de ce dont ils font un problème, leur croyance en la réincarnation

. Brian avait beaucoup creusé et il lui était facile de ridiculiser toutes les religions et d’exposer  leurs inconséquences. Le seul argument en leur faveur qui lui paraissait tenir était Darwinien, à savoir que l’existence des religions, pour aberrantes qu’elles soient, avaient sans doute une utilité évolutive, comme si la nature apportait par ce moyen un soulagement à la conscience humaine, remédiait au désastre de la lucidité, et sauvait un formidable élan qui paradoxalement menaçait de s’autodétruire.

 

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18 mars 2017 6 18 /03 /mars /2017 16:21

J'aimerais apporter ma contribution pour les motifs du désintérêt croissant pour l'aïkido. J'ai moi-même arrêté la pratique cette année après environ une quinzaine d'années d'entraînements dans différents dojo (à Niort, Poitiers, Parthenay, Saint-Malo et Londres).

Même si cela me manque, j'éprouve une certaine lassitude. Je vais expliquer pourquoi.

D'abord la prétendue douceur de l'aïkido. En fait, l'aïkido est assez brutal. A force de chuter, et de subir des clés, on finit par s'abîmer.  J'ai pratiqué d'autres arts martiaux, dont le karaté, que j'ai trouvé bizarrement moins violent. Quant à l'esprit pacifique de l'aïkido, il est contestable car se défendre dans la rue avec un violent irimi nage, un nikyo ou un sankyo sur un type non entraîné fait plus de dégâts qu'employer un gyaku tsuki ou un mae geri chudan non appuyé.

Un autre point problématique, c'est la difficulté de le situer. On peut au départ être attiré par pleins d'aspects, l'esthétique, l'efficacité, le mysticisme, le plaisir des mouvements, mais tous ces aspects sont des leurres et s'avèrent décevants, pour moi en tout cas.

L'esthétique, on s'habitue, on ne la remarque plus.

Le plaisir, à force de répétitions, s'atténue. L'envie d'essayer autre chose, d'autres techniques, se fait sentir.

L'efficacité, on en doute. On aimerait bien quand même, après avoir beaucoup sué, savoir si nos techniques passeraient en cas d'agression. Il faut insister sur le fait que l'aïkido est aussi un art martial, et il doit donc être efficace, sinon, si on se désintéresse de l'efficacité, pourquoi ne pas faire que du zen, du taï chi, ou du yoga? Mais s'il n'est pas efficace, pourquoi passer son temps à projeter et passer des clés? Autant passer au muay thaï, au JJB, au silat ou au MMA!

La spiritualité/philosophie peut être un élément central de l'intérêt porté à l'aïkido. J'étais fasciné, adolescent, par la personnalité de Ueshiba et je pensais que la pratique conduisait à la paix intérieure. Las, le niveau d'Ueshiba semble inaccessible, si l'on en juge par les hauts gradés actuels. J'avais aussi l'impression, débutant, que les hakamas étaient sereins car ils dégageaient une sorte de sérénité dans leurs mouvements. En fait c'était illusoire, les aïkidokas étant aussi névrosés que tout un chacun, et la pratique de l'aïkido n'apporte aucune espèce de sagesse ou d'altruisme, malgré la publicité autour de ça.

Enfin, dernière critique, la mentalité de beaucoup d'aïkidokas, persuadés de faire le meilleur art martial, avec l'éthique la plus noble, méprisant les autres arts martiaux, et au final beaucoup plus égocentriques. Il m'est arrivé de m'entraîner plusieurs années dans un même club, et certains anciens ne connaissaient pas mon prénom, et les pratiquants ne demandaient pas de nouvelles si je m'absentais quelque temps. Dans tous les clubs de divers arts martiaux et sports de combat que j'ai fréquentés, l'ambiance était paradoxalement beaucoup plus chaleureuse et fraternelle. Au final, les rivalités, les conflits, les ego sont tout aussi présents dans le monde de l'aïkido si ce n'est plus.

Voilà. J'en ai un peu marre pour toutes ces raisons. Peut-être n'ai-je pas rencontré le prof qui m'aurait permis de garder la motivation, me permettant de franchir un niveau technique, ou de renouveler ma vision. O Sensei disait qu'un Ikkyo n'était jamais le même qu'un autre Ikkyo. J'avais l'impression inverse de faire toujours la même chose, répétant indéfiniment les mêmes kote gaeshi, les mêmes shiho nage etc

Mes centres d'intérêt actuels me portent davantage vers le JJB, Le MMA, le silat ou certains styles chinois tels le Pa kua et le Hsing I.

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16 mars 2017 4 16 /03 /mars /2017 01:18

Après un petit déjeuner rapide, composé de quelques kiwis et d’un bol de chocolat chaud à la place du café que son estomac ne supportait plus, Brian s’habilla rêveusement. Maharo, toujours vif et percutant, était lui prêt pour l’action. Ayant conservé ses habitudes de légionnaire d’élite, il courrait presque quotidiennement quinze kilomètres, en plus de ses cent à deux cent pompes, et des tractions en pronation et en supination dont il s’assurait qu’il pourrait les faire partout où il allait, s’arrangeant avec le décor ou montant le matériel adéquat. C’était une machine de guerre, une machine à combattre, le genre de types à s’en sortir en toute situation. Mettez trente hommes à sa poursuite, il trouverait une solution.

 

Ils sortirent se promener, sans Marek cuvant certainement son vin de la veille dans un endroit ou une ruelle quelconque de la Capitale s’il n’était retourné en prison ou libéré de ce monde après une nouvelle rixe, pour jouir de Paris. Paris ! Brian adorait Paris. Il avait eu le désir d’y vivre quelques années auparavant, mais les loyers étaient prohibitifs, et il n’avait pas de projets clairs en tête. Alors une opportunité s’était présentée pour Londres, et il l’avait saisie. Mais Londres, c’est une ville froide. Ce qui l’attirait au fond, c’était le Sud. L’Espagne, l’Italie, la Grèce, le Sud-Est Asiatique, Buenos Aires, Valparaiso. Et Paris, pour son charme énigmatique, la présence imprégnante de tant d’artistes, d’écrivains qu’il admirait, comme Balzac, Proust, Céline, Hemingway ou Henry Miller. Un peu une ville musée certes. Et alors ? A son retour de Londres, à Poitiers, il mûrissait le projet de s’établir dans la Capitale, cherchait des bons plans, des colocs, puis peu à peu, il relégua son désir, au point d’en différer totalement le réalisation. De temps en temps, il repensait à Londres, où il avait vécu mille aventures, écumé les dojos pour pratiquer des arts inaccessibles en Province, comme l’aïkido Tomiki, le Yoshinkan, le karaté Kyokushin, le Wing Chun, ou le Shorinji Kempo. Il y avait travaillé, fait des rencontres, beaucoup bougé, bien vécu, avec l’impression parfois de grande solitude qui étreint le voyageur qui ne se fixe pas à un endroit ou un projet, dont les aventures sont éphémères. Il voulait y retourner pour le plaisir, mais pas pour y vivre.

 

Maharo lui proposa de se poser dans un café près du Sentier, et le sortit ainsi de ses ruminations continuelles. Ils prirent une bière, détendus, se parlèrent à peine, pas besoin, regardèrent les passants, Brian s’en foutant éperdument, selon son habitude, comme s’ils n’étaient que des animaux sans intériorité, ingrats et manipulateurs, Maharo évaluant leurs vulnérabilités, faiblesse physique et fragilité mentale, comme s’il portait des œillères psychiques le vouant exclusivement au pragmatisme et à l’efficacité.

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15 mars 2017 3 15 /03 /mars /2017 02:15

 

Sur Paris, ils logèrent dans le treizième, chez un ami de Maharo, un Polonais, Marek, ex du 2ème Rep également. Marek venait de sortir de prison après une bagarre de bar contre des Nord Africains, et il était d’humeur instable, souvent alcoolisé. L’essentiel, c’est qu’il ne posait pas de questions. Tous trois, après un dîner sommaire, prirent un pot au béret vert, sur le Canal Saint Martin. Puis ils se séparèrent. Le Polonais écumerait les bars, laissant à Brian et Maharo la tranquillité pour se poser et affiner leur projet. Leur cible, Kyrill Hamdoulah, habitait un confortable loft dans le Marais. Préoccupé par sa sécurité, il était protégé par 3 gardes du corps, présents en coulissess durant ses émissions. Un seul le surveillait constamment, inspectant les alentours du loft. Celui-ci, il fallait le neutraliser. Maharo s’en chargerait. Brian en profiterait pour pénétrer chez Kyrill, et il le tuerait. Ils décidèrent que ça se ferait le lendemain.

 

Brian, agité, dormit peu. Il était heureux. Tuer un homme le cœur léger, c’était en finir avec le surmoi oppressant, les règles traditionnelles de morale, être libre dans une certaine mesure. Il se passerait d’armes. Il y en avait beaucoup d’autres à qui il pensait faire leur affaire. Bien sûr, c’était impossible de tous les tuer, mais plus il en tuerait, plus il aurait la conscience nette, l’impression que le monde s’en porterait mieux, débarrassé du pire du pire, l’abjection parmi l’abjecte humanité. L’idéal avec cette espèce folle, l’humanité, erreur produite par la nature, dinguerie toujours délirante, ce serait qu’elle disparaisse. Mais ça Brian n’en avait pas les moyens, du moins pas encore. Et en avait-il seulement envie ? Il y avait bien çà et là quelques individus à sauver, pas trop méchants, pas trop corrompus. L’extinction de l’espèce viendrait de toute façon. Ce n’était pas le rôle qu’il s’assignait.

 

Pour se calmer et afin de pouvoir dormir, il fit une marche contemplative, puis il se mit en position de méditation. Il aimait se recueillir ainsi, se concentrer sur sa position, sur sa respiration, se laisser absorber par les sons, puis revenir à l’observation de ses pensées, les voir apparaître, disparaître, se figer de temps en temps sur une idée plus obsédante, une image dérangeante qui s’imposaient à lui, puis les voir s’éclipser jusqu’à, parfois, laisser place à un grand calme, une conscience sans objet, sans représentations, ou les peurs habituelles, les anticipations effrayantes, l’angoisse de la mort disparaissaient. Alors il se retrouvait et se levait, en paix. Il pratiquait aussi régulièrement le yoga. Ça lui tranquillisait l’esprit, le pacifiait, bien plus que le taiso, exercices préparatoires au combat, ou que les arts martiaux.

 

Après quarante minutes environ de méditation, Brian, les jambes engourdies, fit le salut rituel et se leva. Il lui vint une brusque envie de faire des pompes. Il en fit trois séries de trente. Puis il se recoucha. Mais il ne s’endormait toujours pas. Alors il usa d’un stratagème dont il usait parfois. Il se mis sur le dos, se fixa dans la position, relâché, et essaya de s’imaginer planer, et rejoindre une sorte de monde des esprits. Quand ça marchait, les sensations étaient vraiment bonnes. Aucun souci n’encombrait plus son âme vide et libérée. Et il s’endormait.

Cette stratégie fonctionna malgré la teneur si particulière de cette nuit Parisienne. Il se réveilla en forme, sans souvenirs de rêveries. Le sang allait enfin couler.

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14 mars 2017 2 14 /03 /mars /2017 01:46

 

 

Après avoir tué, Brian, pas toujours, s’interrogeait. La vie humaine prise, ce n’était rien pour l’Univers, mais tout pour l’individu supprimé. Si les stoïciens étaient dans le vrai, vivre cinq, dix ou cent ans, ça n’avait pas d’importance, ça ne changeait rien. Mais si la vie était un bien, avait une valeur spécifique, alors prendre une vie, ça comptait tout de même. Le néant éternel nous précède, le néant éternel nous suit, et nous luttons et souffrons l’essentiel de la vie, alors pourquoi ne pas partir volontairement, car c’est un sort insensé ? Comme le disent les Antiques, la nature nous a donné une seule porte d’entrée, et mille portes de sortie. Et pourtant, tuer est une chose, et plus aisé qu’il ne paraît, mais se tuer est plus ardu, comme contre nature. Après tout, c’est la nature qui nous a pourvus de l’instinct de conservation, et du désir de croissance. Aussi Brian, tourmenté par l’idée du suicide, avait bien des fois été près de l’acte, jusqu’à tenter un seppuku à l’aide d’un cran d’arrêt. La lame n’était pas entrée suffisamment en lui. Depuis, il avait détourné ses pulsions destructrices vers d’autres objets que lui-même, et il s’en réjouissait.

Combien de temps ça durerait ? Ses démons le rattraperaient-ils ? Finirait-il par se tuer ? Aucune importance. Il n’avait jamais réellement compté pour personne, et il ne comptait pas pour lui-même.

 

Quand vint le moment de tuer pour la première fois un homme, que cet homme fut choisi en conscience, il fallut agir. L’animateur de télévision plébiscité, sa cible (en fait il voulait se débarrasser des ¾ des présentateurs), habitait Paris.

Un ami, Maharo, ex légionnaire du 2ème REP, un peu perdu, regrettant les occasions de guerres manquées, avec qui Brian s’entraînait parfois, lui proposa de l’aide. Ils s’échangeaient des connaissances martiales, chacun sa spécialité, une synthèse personnelle de diverses traditions pour Brian, aïkido, wing chun et krav maga pour son ami. Brian avait trouvé un alter ego, encore plus affuté physiquement, mais dont quelques naïvetés révélaient des failles. Ainsi, comme les mafieux, sa conscience avait besoin de l’artifice religieux, le catholicisme en l’occurrence, pour se pardonner ses crimes, et peut-être vaincre sa peur secrète, enfouie de la mort. De même, il accordait une grande valeur à des combattants ou pratiquants dont le charlatanisme était avéré, comme Frank Dux, et dévalorisait le MMA comme système de combat de rue, MMA qui était selon Brian la meilleure des bases, à la condition qu’on lui rajoute quelques éléments techniques issus du muay chaia, ou du silat par exemple, et des principes issus du krav ou des bujutsu traditionnels.

 

Maharo, beau guerrier malgache, fut ravi par la nouvelle opportunité de pouvoir exercer ses talents particuliers, d’éprouver son âme et son corps de guerrier, de se lancer dans une nouvelle bataille, une nouvelle aventure. Il assurerait.

 

Brian fixa le jour. Le Malgache et lui se retrouvèrent à six heures porte de Paris à Poitiers et ils commencèrent à monter. Pas d’armes à feu. Mains nues gantées, couteaux à cran d’arrêt, ça suffirait. Et puis, ce n’était pas un contrat, ça viendrait après. Pour le premier homme, il avait choisi, et il voulait prendre plaisir. Et pour cela, il fallait que l’âme damnée qu’il allait ravir comprenne, prenne le temps de comprendre, et de souffrir un peu oui. Oh, pas une souffrance extrême. Ce serait un sort plus enviable que celui, insoutenable, réservé aux traitres par les narcotrafiquants, mais quand même, il souffrirait. Pas de jambes et de bras coupés. Juste quelques frappes, et des clés articulaires poussées au bout. C’est un peu vicieux oui. Rien de tel que le « hand to hand ». Les armes à feu, c’est utile aussi, indispensable même, pour des cibles plus compliquées. Mais le plaisir est moindre. C’est le travail.

 

Sur le trajet, Brian et son ami plaisantaient, confiants, sereins, en accord. Ils pouvaient partiellement se comprendre car l’un et l’autre avaient vécu des expériences éprouvantes. On peut parler de maisons de correction, de troupes d’élite, de graves traumatismes avec qui ne l’a pas vécu, mais la compréhension intellectuelle est superficielle, et seuls les rescapés se comprennent. Mais pas toujours, sur tout et tout le temps. Parfois seulement, sur quelque chose d’essentiel, le silence pour le respect de la souffrance de l’autre, et c’est déjà formidable. La vraie écoute quoi, l’attention véritable, sans forcer.

 

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23 janvier 2017 1 23 /01 /janvier /2017 21:58

Dès qu’il le pouvait, Brian lisait. Sa puissance de pensée était considérable. Il était de ces exceptions qui, tel Balzac, London ou Henry Miller, ont une curiosité intellectuelle, une avidité de savoir hors norme, pathologique, et capables de synthétiser les informations accumulées. Il ne pouvait jamais vraiment communiquer car il était toujours au-delà. S’il partait de considérations sur Proust par exemple, il pouvait faire le lien avec Dostoïevski, avec des tendances de la littérature américaine, rattachant tout cela à Sartre, Kierkegaard ou Hegel, et renchérir sur la théorie de l’évolution. Et il avait creusé ainsi en pleins de domaines.
Sur Proust par exemple, il ne s’était pas arrêté à « La Recherche » mais s’était aussi plongé dans « Contre Sainte-Beuve », et les commentaires de Rivière, Deleuze, Gaetan Picon, « l’espace Proustien » de Georges Poulet, ce qui l’amenait à comparer Proust à Bergson, et ainsi de suite. Wilde et ses pièces peu connues comme « Vera ou les nihilistes », Gontcharov et son « Oblomov », Katanzakis, Powys, Harry Martinson n’avaient pas de secrets pour lui. Et tant d’autres. La même chose pour la psychanalyse, les différents courants de spiritualité comme l’Hindouisme, le Bouddhisme, le Taoïsme. Il en savait là-dessus comme un spécialiste. Un VIP comme Alan Watts n’en savait pas le centième. Il était devenu une sorte de monstre, si avancé dans la pensée qu’il en était devenu inadapté, perdu au milieu des conversations ordinaires, évoluant dans des sphères distinctes.

Il relisait, depuis peu, quelques classiques qui l’avaient marqué plus jeune. Ainsi, « Le Portrait de Dorian Gray », qu’il avait trouvé si spirituel adolescent, l’avait cruellement déçu, lui avait paru artificiel et peu profond. « La Peau de Chagrin » contenait des passages nettement plus convaincants, brillants, émouvants, mais empli d’un aspect un peu dépassé, peut-être lié aux convictions politiques et religieuses de Balzac qui apportent une certaine lourdeur à son extraordinaire génie. « Jacques le fataliste » avait perdu tout son charme, car celui-ci résidait en une certaine nouveauté de pensée, et il avait lu Spinoza depuis sa première lecture, qui le surpassait et en ôtait toute la substance et l’intérêt. Il comprenait différemment « Le Temps retrouvé », car, ayant lui-même vieilli, il vivait maintenant ce qui ne lui était alors que concept. Le livre était dur, tranchant, exigeait un bon moral, car il disposait d’un potentiel dépressif non négligeable. Mais la révélation, ce fut à la relecture du « Voyage au bout de la Nuit » qu’il l’éprouva. Il voulut surligner tous les passages qui se démarquaient, mais prit conscience que c’était pratiquement tout le livre qu’il aurait fallu surligner. Il y avait là une violence, une subversion, une pensée, un style, une tendresse extraordinaire, incomparable même. Des rapprochements avec Conrad, Kerouac, Henry Miller, René Girard, Lévinas, Alice Miller, Freud, les Stoïciens, Schopenhauer, Genêt lui sautaient aux yeux.
S’il jugeait Proust supérieur à Balzac par ses descriptions liant toujours l’intériorité et l’extériorité, ses métaphores botaniques, et à Dostoievski car moins ethnocentré, replié et limité par une idéologie particulière, donc plus universel et exportable, il plaçait désormais Céline, par la limpidité de son style, quand il ne s’était pas encore fourvoyé par un excès de trois petits points, au-dessus.
Les idées de Céline lui semblaient plus pertinentes. Céline était davantage dans la vie. Proust était un rentier oisif qui n’avait pas besoin de travailler, ce qui l’égarait. Dans « Le Temps retrouvé » par exemple, le narrateur explique que les moments heureux sont des moments perdus puisque seule la souffrance apprend quelque chose, apporte des vues nouvelles, pousse à approfondir. C’est un point de vue éminemment bourgeois, comme le rentier qui veut de l’aventure et se moque de l’ouvrier qui cherche le confort, la sécurité, attitude stigmatisée par le riche comme étant celle d’un petit-bourgeois, critique facile quand on est baigné dans l’opulence, et qu’après toutes les péripéties, on sait qu’on retrouvera, qu’on peut retrouver à tout moment les voluptés du monde privilégié. Ce genre de type oisif et favorisé méprisant les travailleurs pauvres qui rêvent d’une vie tranquille dans un petit pavillon, ça pullule dans les beaux quartiers, et ça ne sait pas s’auto-critiquer, comme les étudiants fils de la classe exploitante frappant les policiers exploités par les pères de ces étudiants, comme l’avait bien vu et clamé Pasolini. Revenant à Céline, Brian se disait qu’il partait du point de vue des travailleurs pauvres, luttant pour survivre, et pour qui la souffrance n’est pas un luxe révélateur, mais un abrutissement quotidien. Pour eux, le bonheur ne peut être perçu comme un moment gâché, comme du temps perdu, bien au contraire. (à suivre)
 

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23 janvier 2017 1 23 /01 /janvier /2017 21:40

Lu dans "Philo magazine" un article sur un livre d'un philosophe, Markus Gabriel, qui veut sauver la liberté et l'esprit de l'homme, ne le réduisant pas à son cerveau. Mais cela n'a rien de philosophique de vouloir défendre absolument un point de vue. On fait des recherches, et s'il se trouve qu'il n'y a pas de libre arbitre, ou que la conscience est un épiphénomène du corps, eh bien on l'accepte. Les défenseurs du libre arbitre, comme les adeptes du New age, se servent de tout ce qui met de l'eau à leur moulin. Ainsi, de la physique quantique pour la liberté et l'esprit autrefois. Maintenant, on parle de plasticité cérébrale, du rôle de l'environnement, de la socialisation. Mais tout cela n'a rien à voir avec le libre arbitre. Le fait que les interactions avec l'extériorité m'influencent ne signifie pas que je suis libre, car à chaque fois, c'est mon corps qui est affecté d'abord, mon esprit suit. Le libre arbitre est une illusion. Il n'est pas plus réel chez l'homme que chez le chien. Je suis à chaque instant la somme de toutes mes composantes corporelles. L'homme n'est pas "un empire dans un empire" comme l'écrit Spinoza. Cela a des répercussions importantes sur la façon dont on doit envisager la psychologie et les institutions, la politique, mais ça ne nuit pas à la valeur de l'homme, à la richesse de ses productions, de ses oeuvres, à sa fécondité. Ca invalide simplement la responsabilité individuelle, qui n'apparaît plus comme ce qui différencie l'humain. Après tout, les jugements qui pénalisaient les animaux, les cochons autrefois, n'étaient pas si ridicules, puisqu'un homme n'est pas plus libre de ses actes que ne l'est un cochon. Alors soit on ne juge personne, ce qui est sensé, soit on englobe les animaux, ce qui est insensé mais plus cohérent que juger seulement les hommes.

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