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12 novembre 2017 7 12 /11 /novembre /2017 18:39

Son ami Alexeï lui prêta un livre, donné par son père, de Fong-Yeon-Lan sur la philosophie chinoise. Brian n’avait pas le cœur à lire, son esprit tout concentré sur la femme qu’il avait rencontré, Maria, comme s’il était en lien avec elle dans une sorte d’intrication quantique traversant l’espace. Il n’avait plus du tout envie de lire, mais il avait tout de même parcouru ce « Précis d’histoire de philosophie chinoise ». Il était toujours passionné par les interactions entre le Taoïsme et le Confucianisme, les deux courants s’enrichissant mutuellement. Si le Taoïsme est souvent loué par les artistes pour sa liberté qu’ils opposent au conservatisme supposé du Confucianisme, il semblait à Brian, par les quelques lignes lues, que l’auteur, comme à vrai dire beaucoup de Chinois, réhabilitait Confucius. Apparemment, les Taoïstes se centrent sur le détachement, le reploiement, mais n’ont pas compris les nécessités de l’attachement, du déploiement, et le fait qu’un sain détachement, naturel, logique, ne peut venir qu’après un attachement affectif aux choses et surtout aux gens, sans quoi l’on risque, par souci de préservation, de paix intérieure, de ne pas vivre. Or, Lao Tseu condamne aussi l’excès, les voyages, le savoir, comme si l’apathie était le but. Mais le souci de se réaliser en cette vie est biologique, vital. Il faut faire quelque chose, trouver sa place. Pour les Taoïstes, il faut « non agir pour rien ». Pour les  Confucianistes , il faut « agir pour rien ». Brian préférait la vision Confucianiste.

Lui revint en mémoire un extrait de film de Hong Sang So. Un type réalisait un schéma où il reliait des points. Il expliquait que la vie de la plupart des hommes se concentraient sur quelques idées fixes, symbolisées par des points, qu’ils en étaient prisonniers, ce qui limitaient leur appréhension du monde, la coloriait plus ou moins tristement. Mais il était possible de changer de points, de modifier les perspectives, et alors, les liaisons entre les points changent aussi, et la vie pouvait devenir vraiment différente. Cela avait marqué Brian.

 

Incessamment préoccupé par la façon dont il voulait contacter Maria, il se demanda si elle ne serait pas pour lui, dans sa vie, la femme indispensable à tout roman, l’initiatrice d’une histoire d’amour qui manque aux chefs d’œuvre sans elle. Ainsi, les livres de London, Kerouac, Fante, Miller, Goodis sont pleins de cette dimension affective, des rencontres improbables mais révélatrices, qui donnent leurs intérêts sentimentaux à ces créations. A l’inverse, des classiques comme « Walden », ou « Moby Dick », riches de développements philosophiques féconds, pâtissent de l’absence de femmes et d’amour.

 

On peut aimer les animaux, et Brian les aimait, mais quoi qu’on dise, ils ne peuvent apporter ce qu’un être humain est capable de donner. Seul un  homme peut répondre aux besoins affectifs d’un autre homme. En l’occurrence, Brian pressentait que Maria pouvait lui procurer un peu de ce qu’il cherchait depuis tant d’années. Elle avait peut-être eue une vie plus épanouie que la sienne, et moins de besoins affectifs et spirituels, mais Brian espérait lui donner quelque chose de différent. Il la regarderait vraiment. Elle ne serait plus seule.

 

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10 novembre 2017 5 10 /11 /novembre /2017 17:36

Un imprévu tragique accéléra les processus en cours. Le père de son ami Alexeï passa dans l’autre monde. Brian, proche de son ami mais également de sa famille, assista à l’enterrement. Bien sûr, il voulait soutenir les proches dans cette situation de douleur extrême. Il avait cependant, aussi, la prémonition qu’une jeune femme qu’il aimerait y apparaîtrait. Et, étonnamment, ce fut le cas. L’attirance fut immédiate. Il fut subjugué par sa beauté et son charme, son aura singulière. Il était comme aimanté. L’exception s’offrait à lui, venait à sa rencontre. Et elle, Maria, semblait être attirée, de la même façon, également aimantée. Pour Brian, il était impossible de ne pas la regarder, son attention captivée. Il la surprit à raconter quelques bribes de sa vie à un de ses cousins éloignés. Elle habitait Bordeaux, avec un homme et la fille de 9 ans de cet homme. Brian fut découragé, et s’éloigna, pensant que c’était une souffrance inutile de s’attacher à cette femme prise dans une relation et une vie rangée. Pris de doute, il revint sur ses pas et ne la vit que lors de son départ, échangeant avec elle un bref regard.

Avait-il fui ? Avait-il, par sa faute, gâché une chance, une opportunité sans prix ? Son ami Alexeï lui dit qu’elle était sa cousine. Brian aurait voulu lui dire qu’il la désirait parce que c’était elle, qu’elle était très belle, dynamique, généreuse, mais qu’il existait des femmes aux qualités semblables qui lui étaient indifférentes, mais qu’elle, c’était elle et c’est  pour cela qu’il voulait être auprès d’elle, puiser à sa présence tout le bonheur d’une vie, et lui donner ce bonheur.

Les jours suivants, il fut terrassé par les regrets, la souffrance. Il ne pouvait plus penser à autre chose. Il demanda à Alexeï le numéro de sa cousine. Son ami lui répondit qu’il lui demanderait d’abord si elle voulait le lui donner. Mais Brian hésitait. Que lui dirait-il ? Elle avait sa vie, son travail, son couple à Bordeaux. Lui habitait Poitiers, et ils ne s’étaient même pas parlés. Cela paraîtrait bizarre, insolite, effrayant peut-être ! D’un côté il n’avait peut-être rien à perdre à faire le premier pas. Et puis, tout risquait de s’estomper s’il attendait. Mais il fallait peut-être attendre un peu, se concentrer, méditer pour savoir quoi faire. Et puis, le charme s’estomperait peut-être quand il la connaîtrait. Allait-il prendre le risque de bouleverser sa vie pour une impression peut-être décevante ? Pouvait-il lui offrir quelque chose de mieux que ce qu’elle avait déjà ?

Toute la beauté de la vie était ramenée à cette femme, concentrée en elle. Et l’imagination de Brian ne cessait de broder sur elle et lui. Bien sûr, il s’était mis à délirer. Par exemple, il attendait qu’elle l’appelle, ce qui était irrationnel. Mais il le savait, et ne pouvait s’en empêcher. Il n’essayait même plus de chasser ses pensées. Elles portaient en elles quelque chose de plus important que les livres, le sport, la danse ou le yoga. Il était obligé de les laisser faire, même si elles étaient sans issue.

Elles évoquaient, représentaient, ressassaient ce qui lui manquait, l’essentiel. Il aurait délaissé toute la philosophie pour de l’amour, un peu d’affection vraie, un échange avec une femme pour qui il ressente vraiment quelque chose. Il ne vivait que pour  ça.

Comme le personnage de « The Barber », toutes ses tentatives de rédemption échouaient. Il avait connu un moment de paix lorsque, comme le héros du film, il en fit un livre, "carapace", publié sous le pseudo de Lawrence King. Mais ça ne lui suffisait pas. Il lui manquait quand même l’essentiel.

De retour chez lui, il ne put qu’écouter de la musique classique, spontanément. Pourtant, il en écoutait peu. Mais toute autre musique, émission, le silence, lui était insupportable. Il avait non seulement le cœur, mais l’âme brisée. Etait-ce l’échec, la fuite, la promesse de bonheur, d’amour non réalisé de trop ?

 

Il s’était longtemps cru un monstre, comme Elephant man . En réalité, il était beau. Mais une part de lui-même ne le savait pas. Il n’osait pas aborder les femmes qui lui plaisaient. Il avait peur de faire peur, d’être méprisé, rejeté, de laisser s’écrouler les dernières illusions sur ses possibilités d’être aimé.

Il tenait le coup, dans une solitude si éprouvante, aidé notamment par Tolstoï, qui écrivit à un ami tenté par le suicide quelque chose comme : « Qui te dit que les 3 dernières semaines que tu ne vivrais pas si tu te tuais ne seraient pas celles qui t’auraient fait tout comprendre, qui auraient tout expliqué, justifié toutes les souffrances, t’auraient réconcilié et libéré ? »

Mais il n’en pouvait plus.

Malgré tous ses efforts, le manque de confiance en soi tenace, les problèmes relationnels, l’incapacité à montrer ses émotions, à se laisser réellement approcher et connaître, la carapace si difficile à fissurer le condamnaient à l’isolement et à la mort affective.

 

Qu’allait-il faire ?

Comment survivre à cette approche du vrai bonheur qui s’était enfui, peut-être par sa faute ? Et pourquoi survivre, encore, et encore lutter, et encore tenir, sans affection, sans tendresse, sans chaleur humaine, sans amour,  sans elle ?

Breathless

 

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6 novembre 2017 1 06 /11 /novembre /2017 17:43

 

 

L’actualité agaçait Brian. Toute cette fumisterie Etatique et médiatique.

Sur les chaînes d’info en continue, on voyait défiler en bas de l’écran « Alexia a été autopsiée. Elle a été étranglée, mais pas violée ». En quoi ça nous concerne ? Pauvre Alexia ainsi exposée, quel sort on te fait, quelle indécence !

Et puis, l’Etat qui légifère la prostitution étudiante ! Mais si les filles ont besoin d’argent, quelle autre solution l’Etat leur propose t- il ? Il leur faudra postuler pour des emplois précaires, ou elles se feront lobotomiser pour un salaire de misère, et qui  chronophages, nuiron tà leurs études. N’est-ce pas préférable de batifoler avec des messieurs distingués, et avantageux de part et d’autre ?

Et puis, toujours cette injustice de la justice. Si 90 pour cent des prisonniers sont issus de classes sociales défavorisées, alors il s’agit de statistiques, et donc non de libre arbitre mais de conditions socio-économiques. Un riche aura moins besoin, ou envie, de voler, et s’il vole, il s’y prendra différemment.

Quant au trafic de drogue dans les quartiers, il est voulu par l’Etat puisque, sans cet apport et sans travail, ce ne serait pas vivable pour les habitants.

Hypocrisie des institutions là encore, qui stoppent un petit trafiquant d’armes, mais laissent à d’autres la vente d’engins autrement plus destructeurs.

De même le viol, soi-disant pénalisé, est favorisé dans certains milieux, comme les prisons, où les conditions l'encouragent, avec l’aval de l’Etat.

Et cet Etat qui récompense les « héros » morts ou blessés au combat quand le seul type vraiment courageux est le déserteur, qui refuse de perdre vie, bras et jambes pour de vains idéaux et d’infâmes capitalistes, évêques et ministres. C’est d’ailleurs symptomatique qu’un régiment soit reconnu au nombre de ses morts. Plus la proportion de ses hommes sont tombés au combat, plus le régiment est vu comme héroïque, alors qu’il s’agit plutôt de benêts, ou de lâches soumis et dociles, incapables de révolte.

Quant à cette ministre qui fustigeait les profs démissionnaires de Saint-Martin, qui selon elle  méritaient une leçon, qu’elle aille se faire foutre, comme cette monstrueuse machine à abrutir, à formater, à adapter donc à soumettre qu’est l’éducation nationale. Les profs, comme les chauffeurs de bus, ne sont pas payés pour se faire tuer.

 

Brian avait entendu lors d’une émission de radio des scientifiques qui s’inquiétaient d’une baisse de QI de 7 points ces dernières années, et voyaient un lien avec l’omniprésence des produits chimiques. Mais il semble évident qu’on ne peut pas regarder Hanouna, Sébastien, Arthur ou Coe, Koh Lanta et la TV réalité, et la bouffonnerie constante, sans que le QI en pâtisse.

On critique l’élitisme, mais si l’élitisme, c’est aimer Proust, Dostoïevski ou Pasolini plutôt que la TV réalité, alors c’est s’orienter vers ce qui est bon, et si la culture populaire ne s’élève pas et se complaît dans la médiocrité et l’abject, pourquoi devrait-on la louer ?

 

Parfois, quelque chose de positif émergeait, et même les best sellers pouvaient être bons.

Ainsi Brian appréciait les deux ouvrages de Harari, « Une brève histoire de l’humanité : Homo Sapiens », puis « Homo Deus ». Harari développe nombre de perspectives démystifiantes, notamment sur les mythes, l’humanisme, la liberté, l’égalité, les droits de l’homme, la place de l’homme dans l’Univers. Il expose la cruauté sans limites de l’humain vis-à-vis du monde animal, déconstruit nos croyances.  Il argumente à l’aide de l’histoire et de la science, quand Brian se sert de la philosophie et de la science, mais tous deux parviennent aux mêmes résultats, et appuient les travaux d’illustres prédécesseurs, comme Montaigne, Spinoza, La Mettrie, Schopenhauer, Darwin ou Freud, en certaines de leurs intuitions révolutionnaires.

 

« Aimez-vous les uns les autres », « Aime ton prochain comme toi-même », des injonctions qui semblent louables à la plupart des hommes, et qui sont néanmoins contre-nature. D’abord, qu’est-ce que le prochain ? Tous les hommes ? Il faudrait donc s’efforcer d’aimer tous les hommes de la même manière, avec une semblable intensité ? Freud pensait que c’était impossible, et que chercher à s’y conformer rendait malade. Brian le pensait aussi. On a ses préférences, et c’est bien naturel, c’est animal.

 

On dit que pour aller mieux, il faut aider les autres, c’est donc pour soi-même qu’on le fait, par pur égoïsme. Chercher à aider si on n’en a pas le désir peut être contre- productif.

Il y a les toiletteurs, et il y a les toilettés. Mère Teresa, comme Brian l’avait entendu dire par une orpheline indienne enlevée, n’était pas une sainte. C’était une catho intégriste qui vendait des petites filles.

 

Les sages s’accordent sur le fait qu’à l’origine de tout, il y a l’amour. Ca se discute. Ce qu’on observe, ce qu’ont bien dévoilé Schopenhauer et Darwin, c’est plutôt une lutte constante. Lorsque des morses ne peuvent s’accoupler avec des femelles accaparées par un mâle dominant, ils sont si frustrés qu’ils tentent de s’accoupler avec des pingouins, puis ils les dévorent. Où est l’amour dans tout ça ?

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1 novembre 2017 3 01 /11 /novembre /2017 19:23

Le drame du philosophe, du penseur, c’est que la clarification des idées n’apporte aucune espèce de soulagement. Lorsqu’on s’en aperçoit, c’est un choc. Et plus on approfondit, plus on s’enfonce. La conscience et les idées ne sont pas la même chose. Et croire que son bonheur dépend de la richesse ou de la variété de ses idées est une erreur. Et pourtant, ce que l’on pense a un impact sur notre vie. Etre pour ou contre l’apartheid, catholique ou athée, libéral ou communiste implique des comportements, des associations, des vies différentes. Mais, à mesure que le penseur pense, il s’isole. Il perd son aptitude à communiquer, à entrer en relation, car il lui faut toujours s’adapter, calculer, et même ainsi, il doit masquer, travestir, atténuer sa pensée.

Or, si sa plainte est légitime, il faut reconnaître que cet isolement est inéluctable. Il est logique, pour un être dont les efforts consistent à s’extraire des préjugés, de se trouver rejeté par les masses et le système qui veulent perpétuer ces préjugés. Platon l’a magnifiquement illustré dans l’allégorie de la Caverne. Tout groupe tend, pour se constituer et se maintenir, au conservatisme et à la sclérose de la pensée.

Il est périlleux de ne pouvoir adhérer pleinement à aucun groupe, libéral, communiste ou anarchiste, bouddhiste, catholique ou athée, stoïcien ou hégélien, et c’est pourquoi le philosophe authentique, décalé, ne peut qu’être compagnon de route, ce qu’on lui reproche toujours, sa singularité déviante qui refuse la fusion totale, l’endoctrinement, le consensus. Il est le trouble-fête, l’empêcheur du lynchage jouissif, on lui fait payer cela, et l’histoire lui donne néanmoins raison.

 

Ainsi Brian par exemple, ne croyait pas au mérite. De même qu’on ne choisit ni son intelligence ni sa vivacité d’esprit, son énergie, on n’est pas à l’origine de son propre vouloir. Ainsi, lorsqu’on dit « il a réussi, parce qu’il voulait réussir », comme si l’on stigmatisait les autres hommes d’un manque de volonté s’ils ont échoué, de n’avoir pas eu assez envie de réussir, d’être responsables de leurs faiblesses, on moralise un processus physiologique. Vouloir n’implique pas pouvoir. Il se trouve que nous avons l’intuition de nos propres possibilités, et qu’en général il existe une concordance naturelle entre ce que l’on veut et ce que l’on peut. Un débile léger n’aura pas le désir de créer une œuvre comme celle de Dostoïevski. Mais si, exceptionnellement, c’était le cas, vouloir et pouvoir seraient désaccordés, et sa bonne volonté n’y pourrait rien. La volonté, au sens moral, n’a pas sa place. Elle est une fiction, comme le libre arbitre. Et c’est une perspective, encore une fois, révolutionnaire.

 

L’erreur principal de Marx, n’avoir pas vu qu’on était essentiellement des animaux hiérarchiques, avec le besoin de se faire reconnaître, de dominer, ne serait-ce que pour survivre, pour les mâles posséder des femelles, pour les femelles sélectionner le meilleur mâle reproducteur, et donc que nous luttons pour prendre notre place, exister, fut-ce au détriment des autres, et que l’égalité, au fond, nous n’en voulons pas. Nous désirons la reconnaissance, qui implique la distinction, et donc l’inégalité. Pour une politique efficace, nous devons prendre en compte l’utilitarisme.

Tous les prêcheurs d’amour médiatiques cherchent en fait leurs expressions personnelles en saturant l’espace public, et servent leurs intérêts biologiques. C’est ainsi qu’ils écrivent trente livres, et ressassent les mêmes niaiseries et platitudes.

 

On entend sans cesse fustiger l’ego. En réalité, il faut être réconcilié avec son ego, pas le supprimer. Celui-ci nous a été donné par la nature, il a donc une fonction. C’est parce qu’ils manquaient du narcissisme indispensable pour vivre que Staline ou Hitler ont compensé par de la mégalomanie, non par excès de narcissisme. Moi faible et peu assuré.

De même que l’ego a son utilité, colère, jalousie, souci de l’apparence, si décriés, existent dans le monde animal, et ont leurs vertus évolutives.

Une spiritualité digne de ce nom ne peut faire l’économie du réel.

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1 novembre 2017 3 01 /11 /novembre /2017 19:21

La grande passion de Brian restait la littérature. Les grands romans, en plus de l’affect, de l’identification aux personnages, de l’amour pour eux, contiennent les vues les plus perspicaces en philosophie, sociologie, politique, art, psychologie, métaphysique, ou géologie.

Des grands comme Balzac, London, Proust se réfère constamment à la science par exemple, comme l’évolutionnisme, ou usent de métaphores botaniques ou animales.

 

Brian relisait peu les œuvres qui l’avaient marqué. Il savait que les goûts évoluaient avec les besoins. Il ne pouvait pas relire Proust et Dostoïevski, qu’il avait pourtant vénéré pendant des années. Parmi les œuvres qui avaient compté pour lui, on trouvait « La peau de chagrin », « Splendeur et misère des courtisanes » de Balzac, qui le fascinait, « Le voyage au bout de la nuit » de Céline, « Les mots » de Sartre, «La promesse de l’aube » de Gary, « Le miracle de la rose » de Genêt, les « Essais » de Montherlant, « Le diable au corps » de Radiguet, les premiers volumes de « La Recherche » de Proust, jusqu’à «Du  côté de Guermantes », dont la suite s’embourbait, « Le soleil et l’acier » de Mishima, « Le jeu de l’eau et du feu » de Ya Ding, « Le loup des steppes » de Hesse, « La montagne magique » de Mann, toute l’œuvre de Dostoïevski, « La sonate à Kreutzer » de Tolstoï, « Père et Fils » de Tourgueniev, « Oblomov » de Gontcharov, « Le désert des Tartares » de Buzatti, « Le portrait de Dorian Gray » de Wilde, pratiquement tous les livres de Bukowski, John Fante, Kerouac, Goodis, « La conjuration des imbéciles » de Toole, « Le loup des mers », « Martin Eden » de London, « La crucifixion en rose : Plexus, Nexus, Sexus » de Henry Miller, « La société des vagabonds » de Martinson, « Zorba » de Kazantzakis… Il y en avait beaucoup d’autres, mais  ceux-là émergeaient. En fait, il y en avait tellement !

 

Après une prédilection pour la littérature russe, il avait trouvé à son endroit une analogie avec la réflexion de Sartre à propos de Kierkegaard. Sartre écrivait que Kierkegaard s’était sorti de l’esprit de système Hégélien et avait valorisé l’individu, mais s’était replongé, et abîmé, dans une idéologie particulière au mépris de l’universel, le protestantisme, (comme un technicien du savoir, mais qui serait de bonne foi).

Eh bien, on pouvait appliquer cela à beaucoup d’écrivains russes, qui se limitèrent par un repli  vers l’orthodoxie, même si cela confère également un charme distinct à leurs œuvres.

 

Quelque part, ils sont sortis de leur névrose individuelle par une adhésion à une folie collective, névrose obsessionnelle de l’humanité, comme l’écrit Freud, mais comme ils sont écrivains et lucides, ils ne peuvent se duper complètement, annihiler leur esprit critique, et finalement ils renforcent leur névrose.

 

A l’inverse les américains prennent le risque, directement, de l’individuation, de l’émancipation personnelle, donc de la folie, mais leur chance d’aboutir à une libération réelle, un équilibre relatif, est plus  concret, repose sur la confrontation avec les éléments bruts.

Brian prenait donc désormais davantage de plaisir dans la fréquentation d’auteurs américains. Et puis, il était saturé d’idées. Après Balzac, Proust, Dostoïevski, Mann ou Musil, il est agréable, sain peut-être, de chercher et de trouver une littérature moins chargée.

A l’inverse, quelqu’un qui s’est contenté de polars et veut creuser certaines interrogations trouvera dans Dosto par exemple, les développements qui rassasieront son intellect. Mais on se lasse de ses développements, et beaucoup sont ceux qui, passionné par Dosto dans leur jeunesse, ne peuvent plus s’y concentrer dans leur maturité.

 

La littérature du Royaume-Uni, malgré Wilde, Dickens, les deux Lawrence, l’attirait moins. Il trouvait Shakespeare un peu boursouflé, et avait été ravi d’apprendre que Tolstoï le pensait ainsi.

 

La littérature de langue allemande, avec notamment Goethe, Mann, Musil, Zweig, Rilke, Hesse lui paraissait trop philosophique, privilégiant le fond sur la forme, trop lourde, et manquer l’équilibre typique des russes qui fait les grands romans.

 

Brian lisait peu de  contemporains. On encensait Virginie Despentes, mais même s’il y a des perspectives intéressantes, de l’émotion dans ses livres, elle ne sait pas écrire. Un écrivain, c’est aussi un style. Elle se veut accessible, désire amener des êtres normalement indifférents à a littérature. Un écrivain n’a pas à se préoccuper de cela. Il n’a pas à amoindrir son talent, se rendre plus populaire pour plaire. Il doit juste écrire ce qu’il a à écrire, sans se soucier des lecteurs, qui viendront à lui, ou ne viendront pas s’ils sont trop en deçà, à côté, ou au-delà.

De temps en temps, Brian découvrait des œuvres récentes qui le stimulaient. S’il n’appréciait pas Houellebecq par exemple, il avait pris beaucoup de plaisir à la lecture de « L’élégance du hérisson » de Muriel Barbery, de « Profession du père » de Sorj Chalandon, de « Limonov » de Carrère, Limonov dont il avait apprécié les livres originaux par la suite.

Il lisait peu de revues, mais il s’était enthousiasmé à la lecture d’extraits de Charles Juliet, de Barbara Israel dans la NRF, ou de  Eric Vuillard dans « America ». Il y avait encore de la vraie littérature en France. Rassurant, il n’était pas tout seul.

 

Une autre des passions de Brian, c’était le cinéma. La peinture permettait de renouveler son regard sur les choses, mais cette impression ne durait pas. Le cinéma procurait des émotions qui, parfois, donnait accès à une autre dimension de la conscience, ouvrait et pacifiait l’esprit. Il évitait de revoir des films qui l’avait éveillé  parce que ceux-ci correspondaient à un moment de son évolution. Il avait ainsi été déçu en revoyant « Amarcord », « Nous nous sommes tant aimés », ou « Barry Lindon », qui l’avaient pourtant marqué autrefois. Parmi ses films favoris, on pouvait compter « Miracle en Alabama » d’Arthur Penn, « Lawrence d’Arabie » de Lean, « Lord Jim » de Richard Brooks, « Accatone », « Mamma Roma », « L’évangile selon Saint Matthieu » de Pasolini « La cité des femmes » de Fellini, « Parfum de femmes » de Dino Risi, « Ludwig, le crépuscule des dieux » de Visconti, « Les ailes du désir » de Wenders, « Aguirre, la colère de Dieu » de Herzog, « Le cycle Antoine Doinel » de Truffaut, « Matrix » des Wachowski, «Dogville» de Lars von trier, « Fanny et Alexandre » de Bergman, « Lolita » de Kubrick, « The Barber » des Coen, « Printemps, été, automne, hiver » de Kim ki duk, « Hamsel et Gretel » de Lim pil-seong, « Breathless » de Yabg ik-joon.                   .

 

Il suivait assidument les séries américaines, qui recelaient suspense, tension, humour, humanité et intelligence, parmi lesquelles : »Friends », « Scrubs », « My name is Earl », « Spartacus », « Orange in the back », « Americans », «Rectify », « Oz », « Sopranos », « Dexter », « Six feeth under », « Boss », « Twin Peaks », « Kung Fu », « Desperate housewives », « Homeland », Breaking Bad », « The big bang theory », « How I met your mother ».

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24 octobre 2017 2 24 /10 /octobre /2017 22:15

Brian, dès qu’il le pouvait, continuait ses recherches frénétiques. Il relisait parfois quelques philosophes, comme Schopenhauer, Bergson ou Sartre, avait un faible pour Montaigne, mais il s’apercevait que c’était inutile, qu’il n’apprenait rien de nouveau. Il croyait, comme Stephen Hawking, que la philosophie contemporaine avait beaucoup perdu en s’éloignant de la science, et qu’il lui fallait y revenir pour sa légitimité. Brian approfondissait donc, par des ouvrages de vulgarisation, des classiques, des sorties médiatiques.

 

Après par exemple les livres de Harari pour l’histoire, de Bourdieu ou d’Amrani et  Beaud pour la sociologie, comme « Pays de malheur ! », dialogue dans lequel il avait trouvé le jeune bibliothécaire précaire plus convaincant que l’enquêteur installé, de Lévi Strauss ou d’Edgar Morin pour l’ethnologie, l’anthropologie, d’Irvin Yalom, de François Roustang, de Bettelheim, de Searles, d’Alice Miller pour la psychologie, de Crawford sur la richesse cognitive du travail manuel, et tant d’autres en sciences humaines, il cherchait maintenant quelque chose de plus solide et différent.

 

Il creusait la botanique avec Jean-Marie Pelt, et s’émerveillait de l’intelligence des arbres, de la complexité des plantes, de la communication végétale, et créait le lien avec « Avatar » ou le panthéisme nippon, shinto, la force et la beauté de la nature magnifiée dans les films de Miyazaki. Il tentait, avec Etienne Klein ou Neal deGrasse Tyson, de s’approprier les éléments troublants de physique et d’astrophysique. Il s’initiait aux théories de l’évolution avec Ameisen, Gould, Dawkins ou Marc Giraud. Il développait la compréhension du rapport entre le corps et l’esprit avec La Mettrie, Jean Pierre Changeux plus qu’avec Spinoza. Il applaudissait Frans de Waal pour les avancées de l’éthologie, qui montre que l’erreur dans notre perception du monde animal a été de l’évaluer en fonction de nos propres qualités, et non de l’orientation que son adaptation a prise, et qu’à bien considérer différentes espèces, elles sont aussi fascinantes que nous dans leur originalité, leur singularité, ce qu’avait anticipé Montaigne. Il jubilait de la lucidité de Desmond Morris dans « le singe nu », ou d’Henri Laborit dans « Eloge de la fuite », dont les réflexions s’étayaient sur zoologie et biologie. Et ainsi de suite. Ces livres nourrissaient Brian autant qu’ils l’éloignaient du conformisme et des niaiseries dominantes proférées, favorisées par des dominants pour perpétuer leur domination. Tout pour la réforme intérieure, rien pour que le système change, et personne pour clamer que le Dalaï lama, Mathieu Ricard, Christophe André, Jean d’Ormesson, Laurent Gounelle par exemple sont des privilégiés qui servent l’ordre infâme en place, et cherchent à nous y adapter.

 

Enfin ces lectures ne libéraient pas Brian. Tout cela ne lui disait pas qui il était. Un idiot, un débile, un bon à rien ? Comme il était prisonnier du monde de la force et du combat, il restait prisonnier du monde des idées et des mots, cherchant sans cesse à se définir par une quête intellectuelle pour savoir quoi penser, et retenir d’innombrables subtilités pour se distinguer et savoir qui il était. Obligé d’assimiler quantité d’infos et de s’assurer qu’elles étaient restituables, pour se rendre inattaquable, pouvoir résister à toute tentative d’emprise, d’intrusion psychique.

La violence exercée par un père tyrannique et une mère infantile l’avait détruit dès les fondements et il n’avait jamais réussi à se construire, à se trouver. Son existence, ses idées, il devait les justifier, les faire valoir, reconnaître. Sans ce désir, qui lui était besoin, il n’était rien, il était vide, ou se sentait rien, se sentait vide. Et sans doute était-il quelque part, comme son père ne cessait de lui dire autrefois, un bon à rien, un pauvre type qui n’arriverait jamais à rien, car c’est vrai qu’il n’officialisait pas les choses. Sa curiosité, qui confinait à l’obsessionnel, le dispersait, l’éloignait des exigences sociales, et alors que tant de gens parvenaient dans la vie, lui ne poussait pas au bout, trop intéressé par trop de domaines et d’activités. Il ne se rassemblait pas, et ne trouvait pas d’issue viable. Et sa complexité aggravait tout.

 

Alors, par ses projets assassins, il avait trouvé une soupape, un moyen de s’exprimer, de se libérer un peu, de rendre justice, de rétablir l’équilibre.

Et comme les rituels compulsifs permettent aux névrosés obsessionnels de se recentrer, l’élimination de cibles choisies pacifiait Brian, et elle donnait un semblant de sens au cauchemar de sa vie dont, quels que soient ses efforts, il ne s’évadait pas.

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16 octobre 2017 1 16 /10 /octobre /2017 19:09

 

La démocratie est basée sur des principes erronés, la liberté et l’égalité. On a beau argumenter, dérouler la philosophie pratique Kantienne, vouloir différencier déterminisme et situation avec Sartre, ça ne tient pas, ce n’est pas scientifique. Et se servir de la physique quantique pour sauver le libre arbitre n’est pas un procédé honnête, car cela n’affecte en rien le fait qu’à notre échelle nous soyons déterminés. Le reconnaître n’est pas être de mauvaise foi comme le prétendait Sartre, c’est au contraire révolutionnaire, car à prendre cette hypothèse métaphysique aussi sérieusement que l’hypothèse adverse d’une existence qui précèderait l’essence, ça implique la fin de la responsabilité, du mérite, et donc une rénovation de toutes nos institutions, l’accès à une pensée, une vision scientifique qui pourrait imprégner les couches populaires et nous faire sortir de l’âge de pierre dans lequel 95 pour cent des hommes sont pris. On est ainsi le responsable d’une action, comme son auteur, qu’en tant que cause elle-même comprise dans la série des causes, comme l’écrit Spinoza. Toute l’argumentation Sartrienne en faveur de la liberté est en fait mal fondée car il n’a pas creusé la question du corps d’un point de vue biologique, et Sartre a projeté sur ses adversaires sa mauvaise foi, car il avait besoin –comme les logiciens fous pour qui il est nécessaire de fonder la logique sur des bases indubitables sans lesquelles leur monde s’écroule- de prouver le libre arbitre, de l’associer artificiellement au déterminisme des structures pour vivre. C’était une idée fixe, une névrose obsessionnelle pour Sartre, qui est à cause de cela passé complètement à côté de la psychanalyse.

 

L’homme est son corps, un corps doué de propriétés particulières, comme l’épagneul est son corps, épagneul par ce corps d’épagneul, et tel épagneul par tel corps d’épagneul.  Un homme est un homme parce qu’il a un corps d’homme, et tel homme parce qu’il a tel corps d’homme. Le tout, à l’inverse de ce qu’écrivait Bergson, n’est pas plus que la somme des éléments qui le composent. L’homme est entièrement réductible à son corps. A chaque instant, son psychisme est la conséquence de la totalité de ses dispositions corporelles. Il y a évidemment une interaction fondamentale avec l’environnement, mais celui-ci ne modifie l’esprit qu’en tant qu’il a d’abord affecté le corps. L’interaction et la plasticité cérébrale ne signifient donc pas que l’homme est libre. Et le libre arbitre s’il existe dans le cadre d’un monisme matérialiste, ne peut faire l’économie des conditions de son émergence à partir de la matière. Prétendre que l’homme est libre parce qu’il est homme, et homme parce qu’il est libre, signifie donc que l’homme est pourvu d’un organisme dont la complexité permet le franchissement d’un seuil, transcende mystérieusement ce qui le rend possible et dont il dépend. Mais cela signifie d’une part que les hommes en deça ne sont pas des hommes, ce qui est tout de même problématique. D’autre part, il faudrait évaluer à partir de quelle niveau de complexité du libre arbitre peut émerger. Mais, surtout, l’idée que du libre arbitre émerge à partir d’une complexification de l’organisation n’est qu’un postulat un peu fumeux.

Par contre, le fait de modifier le psychisme par un « enhancement » du corps, projet du transhumanisme, est cohérent avec le matérialisme, et on ne peut que souhaiter voir l’homme évoluer vers une espèce plus fine que celle qui, cumulant une logique de hiérarchie et une logique de territoire, a été terriblement néfaste à la Nature, comme une erreur qu’il lui faudra de toute façon un jour ou l’autre corriger.

 

L’Ultra humain, Le Surhomme, le transhumain, le règne de l’extropien, voilà l’avenir ! Luc Ferry, dans son livre « la révolution transhumanisme » est passé à côté, empli de préjugés comme souvent les philosophes, incapables d’originalité.

Il trouve scandaleux que le transhumanisme puisse donner une vie plus longue aux riches qu’aux pauvres, ce qui montre qu’il est grandement privilégié pour ne pas s’être aperçu que c’était déjà le cas, et ainsi depuis qu’il y a des riches et des pauvres.

Contre le matérialisme radical, il défend l’existentialisme, avec l’argumentation que l’homme est pris dans des situations qui ne le déterminent pas parce qu’il est libre.  Et c’est tout. Bon, à quoi sert la philosophie si c’est pour en arriver là ? C’est comme être philosophe et et dire que Dieu ne peut exister puisque les enfants meurent. C’est du même niveau. Bref aparté, mais la sacralisation des enfants ne peut par exemple s’établir que si on la valide par de la divinité, donc en faisant de la mort des enfants un scandale absolu, on suppose l’existence de Dieu. Et puis, le vrai scandale avec cette sacralisation, c’est s’ils meurent et qu’Il n’existe pas, pas qu’Il existe. Et même à supposer que par décret divin, il eut été possible que les enfants ne meurent pas, à l’encontre de toutes les lois naturelles, ce qui déjà est absurde, alors il est un âge à partir duquel la mort reprendrait ses droits, mettons à 14 ans, ou à 20 ans, et on se demanderait pourquoi Dieu empêche la mort des enfants mais l’autorise parvenu à l’âge de 14 ou 20 ans. Quel monde insensé que celui-là !

Reprenons sur Luc Ferry. Il critique les évolutionnistes parce que dit-il, comme il existe beaucoup de violence, la morale ne peut être naturelle, mais est arrachement à la nature. Du même genre que les inepties Lévinassiennes ! Mais cette possibilité d’arrachement, d’où surgirait-elle ? Tout est naturel, compris dans la nature, y compris ce qui semble artificiel. Notre morale résulte nécessairement de mutations organiques, et le fait qu’elles soient la source de la guerre n’implique pas qu’elles ne puissent l’être de la paix. L’un n’empêche pas l’autre. Chez les chimpanzés, comme les animaux en général, il y a beaucoup de violence, et aussi beaucoup de coopération, et tout résulte également de l’évolution.

Luc Ferry s’inquiète des êtres qui veulent modifier un monde si bien agencé, providentiel. Mais est-ce la réalité, cet ordonnancement pour le mieux ? La vie des hommes est courte, et en plus, comme l’a écrit Camus, ils sont malheureux. Peut-être les riches conservateurs américains, les intellectuels privilégiés comme Fukuyama, apprécient l’ordre du monde et sont satisfaits de leur sort, mais pour la plupart des hommes, ce monde est un enfer, un bagne, où ils doivent subir l’exploitation, l’harassement et la misère. On s’en passerait bien de cette providence là.

Et puis, encore un argument, si l’on change la nature des hommes, quid des droits de l’homme, naturels, sacrés, imprescriptibles, inaliénables ? En réalité, il n’existe rien de tel dans la nature. Il n’y a pas plus de droits naturels, sacrés en l’homme qu’il n’y en a dans le cheval ou l’arbrisseau. Sauf à considérer que puisque tout est naturel, c’est la nature qui se donne ainsi des droits par l’intermédiaire d’une de ses créatures. Mais cette sacralisation de l’homme est temporaire, et déjà dépassé avec l’extension de droits aux animaux.

Luc Ferry s’inquiète. Et si deux espèces coexistaient dans le futur, l’une augmentée et l’autre telle que nous la connaissons, n’y aurait-il pas inégalité, comme l’homo sapiens balaya l’homme de Néandertal ? En réalité, il existe déjà des différences considérables entre les hommes. Comme l’écrit Montaigne « il y a plus de différences de tel homme à tel homme qu’il n’y a de tel homme à telle bête ». Et Balzac ou Einstein différaient sans doute davantage d’un point de vue cognitif de l’idiot voire de l’homme moyen que l’homo sapiens ne se distinguait du Néandertal.

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16 octobre 2017 1 16 /10 /octobre /2017 02:32

 

 

Brian avait eu par le passé l’envie de s’intégrer. Il avait perdu ce désir pour une société qu’il honnissait. De toute façon, en lui se joignaient trop d’obstacles pour s’adapter. Il avait eu un cheminement particulier, et s’était trop éloigné de la norme dès ses commencements. C’était un rescapé, qui émergeait de traumatismes déstructurants, mais qui survivait tout juste, sans réelle résilience.

Ensuite, ses capacités, le fait d’être surdoué, avait empiré ce décalage permanent. S’il avait été plus rustre, s’il avait ri des horribles mœurs et manières des individus communs, sans trop approfondir, il se serait dégotté un boulot misérable, et s’en serait satisfait.

Las, son tempérament mélancolique et ses inclinations le rapprochaient davantage de Louis Lambert que de Coluche, et il ne pouvait même comprendre la trivialité dominante.

 

Ainsi en avait-il contre la démocratie. Il est entendu que la démocratie est le triomphe de la majorité, donc de la médiocrité, ce qui explique les succès d’hommes comme d’Ormesson, Eckart Tollé, le Dalaï Lama, Paulo Coelho, Laurent Gounelle, Frédéric Lenoir, Christophe André et tant d’autres, mais son intérêt principal est qu’elle permet aux gens médiocres de s’exprimer. En réalité, même cette expression est frustrée et le faible épanouissement de l’homme moyen ne compense pas le sacrifice de l’homme supérieur.

 

Brian pensait, contre Bourdieu, qu’avoir conscience de son aliénation sans pouvoir sortir de son esclavage accroissait la souffrance. Si l’alternative, c’est le suicide ou l’esclavage, le suicide ou des emplois précaires et abrutissants, le fait d’être lucide aggrave la situation.

D’ailleurs, s’il était reconnaissant à Bourdieu d’avoir exposé clairement la reproduction sociale des inégalités, et montré que la plupart des bons élèves paraient ce qu’il avaient acquis par privilège des attributs d’une supériorité innée, ontologique, le but de ce dévoilement s’était fourvoyé.

Que le grand nombre s’élève, ait accès à Spinoza, Proust et Dostoïevski, voilà qui était noble, que les héritiers se complaisent des pitreries vulgaires d’un manchot, des faits divers, ou d’un animateur versant des nouilles dans le slip d’un de ses chroniqueurs ou s’exhibant nu sur les panneaux publicitaires, c’était en deça du pitoyable. Que dire de toutes ces émissions TV et radios plus débiles les unes que les autres, et pourtant plébiscitées ? Comment en était-on arrivé là ?

Brian avait encore récemment entendu un acteur populaire qui louait un ancien film dans lequel il avait joué, aux fabuleuses répliques, dont celle-ci : « Pour être aussi con, t’as pris des cours du soir ». Mais même en primaire, ce genre de platitudes ne faisait pas rire Brian. A huit ans, il était déjà plus profond, plus intérieur, plus complexe que la masse écrasante des hommes mûrs. Et c’était une différence qualitative pénible, plus aisé à surmonter s’il était né rentier.

 

Enfin, à l’inverse d’Annie Ernaux qui se croyait encore immortelle à 60 ans, il avait éprouvé l’expérience Tolstoïenne, Heidegerienne très jeune, et il se savait, se sentait mortel. Cette révélation est très éprouvante, en ce qu’on est forcé de réinterroger toutes ces pratiques, de réévaluer l’investissement de son énergie limitée, et qu’on ne peut que se concentrer sur l’essentiel. Ainsi, Brian ne pouvait par exemple plus lire, depuis bien longtemps, de bandes dessinées ou de polars, comme il s’y prêtait autrefois, comme s’il avait alors tout son temps. Le temps était compté, et il ne voulait, ni ne pouvait l’oublier. Peut-être ainsi quand la mort approcherait, pourrait-il dire comme Jean Rochefort qu’il n’avait cessé d’y penser, d’être obsédé par elle, mais une fois parvenu au terme, que ça n’était plus tellement effrayant, ni important.

 

Cette révélation posait aussi problème pour l’emploi. Comme les anciens militaires qui, après la guerre, ont du mal à s’adapter, qui n’ont plus goût à rien et ne peuvent retrouver des habitudes qui ont perdu tout leur sens, Brian ne pouvait sans difficulté refouler l’impression que si la mort le prenait là, en train de décharger des caisses, de laver des couverts, d’inventorier des articles, de ramasser des pommes, eh bien ça n’avait pas de sens, et toute sa vie était vaine. Il lui fallait quelque chose de plus grandiose. Il en avait besoin. Et d’une mort qui, si elle fauchait là, dans une activité, ne l’aurait pas blessée comme de l’absurde sur de l’absurde, mais le prendrait là où il n’y aurait pas de regrets d’y interrompre sa vie.

Et puis, il était sorti du « on » avec grande difficulté. Il était un « je » encore bancal, et le travail dans son conformisme menaçait son « je » si péniblement conquis d’un retour à la grégarité impersonnelle et lâche.

Et redevenir un « on », un esclave, se renier, c’était recommencer à zéro dans un retour vers la négation, intolérable création destructrice pour qui avait déjà recommencé à zéro vers l’affirmation après l’armée. Pour la synthèse, les forces lui manqueraient.

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14 septembre 2017 4 14 /09 /septembre /2017 13:21

Eliminer Laurent Jolloré n'était peut-être pas légal, mais c'était légitime. Un abrutisseur des masses en chef ne pouvait s'accorder avec le projet transhumaniste de "l'enhancement", de l'amélioration des qualités physiques, intellectuelles, émotionnelles, morales de l'être humain. Mais Brian ne pouvait compter sur Maharo pour ce projet. Celui-ci était pris par son travail dans la sécurité, et puis il restait attaché au catholicisme, et la nouvelle humanité lui paraissait quelque peu impie. Il n'était du reste pas sûr d'en être, d'y avoir sa place, car bien que différent par certains côtés, il restait essentiellement "humain".

Par contre, lorsque Brian proposa au Monstre de contribuer au mouvement, et pour ce faire de liquider Jolloré, le Monstre parut enchanté. Après tout, il se considérait comme exclu de l'humanité lui aussi, et s'il avait peur de Brian en maison de correction, s'il était impressionné par lui, son enfance avait été bien plus violente et terrible, et ce à quoi il était parvenu depuis le centre de redressement, c'était un état au-delà de la dangerosité.

Il était une force, et ça le branchait bien le concept de mutant. Il en était déjà un après tout, et pour une fois qu'l était en avance, il serait un précurseur. Trouver sa place, non, il l'avait déjà en forêt, mais intégrer une phalange d'extropiens qui lui obéirait, ça pourquoi pas, c'était une perspective envisageable. Et pourtant, le Monstre avait un nom.  Peut-être restait-il une part d'humanité non révolue en lui, qui le laisserait à jamais étranger à tout, sauf à Brian, l'architecte de la Matrice, le chevalier Jedi passé du côté obscur, le Seigneur Sith.

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5 septembre 2017 2 05 /09 /septembre /2017 21:28

 

Même à considérer les humains comme des animaux, le problème c’est qu’ils parlent. Sans les mots, ils seraient supportables. De toute façon, Brian serait seul, partout où il irait. Aucune ville, aucun pays peuplé d’alter ego. Comme l’écrit Schopenhauer, c’est partout la même misère intellectuelle, et le philosophe est toujours incompris. Ainsi c’était à Brian de s’adapter au niveau des autres, mais eux ne s’efforçaient jamais de le comprendre. C’était excessivement déprimant de supporter cette solitude. Et toute la société du spectacle renforçait cet isolement insupportable. Etre le seul être à penser ! Et le reste de l’humanité composé d’un ramassis de singes hurleurs, grégaires et lyncheurs, à 10000 lieues au-dessous de lui. C’était terrifiant. On dit souvent que l’intelligence est la capacité à s’adapter, mais pour Bergson, cette aptitude à répondre aux impératifs de l’action est limitée, et sert d’œillères au détriment de l’intuition. Schopenhauer écrit que chez l’immense majorité des hommes, la soif de connaissance est subordonnée à l’action, mais que chez certains êtres exceptionnels, l’envie, le besoin d’apprendre l’emporte sur toute autre considération, et est déconnectée des nécessités vitales. Ces hommes à la curiosité extraordinaire souffrent d’un décalage, d’une adaptation problématique à la vie quotidienne. Brian était de ceux-là, et comme les x men, il pouvait supposer qu’en lui, quelques mutations le poussaient vers le surhomme, l’ultra humain, qu’il était déjà en quelque sorte un transhumain, et en annonçait le règne. L’homme devait être dépassé. Et puisque ni l’économie, ni la philosophie, ni la sociologie, ni la psychologie, ni la politique, ni les révolutions, ni les religions et leurs pseudo sages n’avaient modifié la bassesse effroyable de l’humain, peut-être la science y parviendrait-il, et lui ferait franchir un bond évolutif par l’accélération de ce que Teilhard de Chardin appelait la loi de complexité-conscience.

 

Et Brian, réfléchissant sur le mouvement, fantasmait sur une « ligue des ombres », un ordre secret, comme les Tigres de Sparte qu’il avait fondé adolescent, le Tatenokaï de Mishima, qui changerait l’humanité. Or, nombre des idées qu’il avait développé étaient proches du transhumanisme, et peut-être qu’il pourrait en être un théoricien, et un bras armé. Alors il aurait enfin une cause où s’épanouir, lui permettant la fructification de ses forces. Or, le matérialisme radical, la critique du libre arbitre, de l’égalitarisme, des institutions basées sur ces hypothèses métaphysiques, l’émergence d’un homme nouveau parce que structurée différemment, l’antispécisme, les critiques des religions, et plus encore, se retrouvait dans le trans, ou post humanisme. Qui sait, peut-être en deviendrait-il l’âme damnée, la figure pensante, le prophète. Tout pour en finir avec la médiocrité triomphante d’une démocratie gangrenée par la vulgarité et le conformisme de la société du spectacle, empêchant toute expression originale et toute noblesse, tout y compris la destruction de l’humanité, l’espèce la plus créative mais aussi la plus malfaisante de tout ce qui existe sur Terre.

 

Brian, donc, parmi les hommes, se sentait radicalement différent, un transhumain, un x men, un mutant, et la société était incapable d’intégrer sa singularité. On lui vantait l’humilité. Brian enculait l’humilité ! Seuls les faibles sont humbles sincèrement. L’orgueil provient de la conscience intuitive de sa propre valeur, et naît de la comparaison. L’humilité est un stratagème inconscient qui permet de différer l’expression urgente de son intériorité. L’humilité sert à survivre, c’est sa fonction. Plus on a de valeur, moins on trouve sa place, moins on se satisfait. Qui peut le plus peut le moins mais ne peut s’en contenter. Dieu est l’absolu de l’insatisfaction.

 

Comme l’arbre de « Charisma », la survie de Brian dépendait de la destruction de tous les autres. Il leur donnerait la chance de les changer, de les modifier, de les faire évoluer. S’ils ne s’y prêtaient pas, il les détruirait. Et il aurait un mouvement derrière lui, extrêmement riche et à la technologie avancée. Tout ce qui ne suivrait pas, Brian l’éliminerait. Et il en était ravi. Au mieux, le monde évoluerait, au pire, la disparition du monde humain pacifierait la Terre. Mais non, le pire pour Brian, ce serait la stagnation, et la répétition de tous les vices humains. Il faut en finir avec l’humanité.

 

Brian, l’âme noire des mutants, le monstre des monstres, le leader incontesté dans la radicalité, la réponse armée de la Nature, la colère de Dieu !

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